GRAND ENTRETIEN

Avec Patrice PERRET-HERSCOVICI

Patrice Perret-Herscovici est fin connaisseur du terrain des Foires et Salons en France, qu’il pratique depuis plus de 30 ans. En tant qu’organisateur, il a pris part à la production de dizaines de manifestations des plus grandes au plus petites – professionnelles ou grand public. Il occupe aussi des fonctions de certificateur des fréquentations des manifestations pour le compte de DEKRA Certification, ce qui le conduit chaque année à faire le tour en France de plus de 150 d’entre elles. Et il est aussi au cœur des métiers de l’évènement, comme créateur et organisateur des Campus annuels UTAC et CONTAC destinés aux professionnels de la filière évènementielle (technique, marketing et communication). Il nous offre dans cet entretien quelques déplacements qui interrogent l’idée même de fabrique d’évènements, en revenant aux bases des notions de service et d’organisation de rencontres et de leur rôle sur les marchés.

Sommaire de l’entretien

Le sens de la fabrique ou le sens du service ?

La création de la rencontre et la capacité d’évoluer

Le reflet des marchés

Les gens qui savent faire des salons et les retours du digital.

Peu de grands discours des organisateurs sur l’avenir

Se concentrer sur l’essentiel

Les Cahiers - Le thème de la fabrique a un lien avec les Foires et salons, parce que ces derniers accompagnent depuis au moins le XIXème siècle et bien avant aussi, tout ce qui est production, fabrique, manufacture, industrie. Ils présentent soit les résultats de fabrication, soit les machines qui permettent la fabrication. Il existe une histoire commune entre les foires et salons et l’univers large de la production. Et comme nous sommes dans un contexte de pandémie pendant laquelle l‘activité des hommes et des femmes de la profession a disparu, cela valait le coup d’avoir un regard sur comment ces foires et salons qu’on ne voit plus depuis deux ans sont fabriqués. Mais peut-on dire que l’on fabrique des foires et salons ?

Ce n’est pas sûr que ce mot soit le plus approprié. J’avais eu la chance, lors de mes études à l’IAE d’Aix-en-Provence dans les années 80, d’assister au cours en marketing des services de deux professeurs, Pierre Eigler et Eric Langeard[1], qui avaient développé une théorie qui s’appelle la « servuction ». C’est plus qu’une théorie, parce que c’est, en partie, grâce à eux que le groupe ACCOR a développé le service aux clients.

La grande différence qu’il y a entre un produit (et sa fabrication) et un service, c’est que pour qu’il y ait service, il faut qu’il y ait un client. S’il n’y a pas de client, il n’y a pas de service. Un produit est fabriqué, stocké plus ou moins et il est vendu. Dans le cas d’un service, il n’y a pas de réalisation du service tant qu’il n’y a pas le client. Et ceci vaut pour tous les services : la banque, l’assurance, le transport, les restaurants, l’hôtellerie, etc…

« La grande différence qu’il y a entre un produit (et sa fabrication) et un service, c’est que pour qu’il y ait service, il faut qu’il y ait un client. S’il n’y a pas de client, il n’y a pas de service. »

Par exemple, dans l’hôtellerie, on compte l’activité en nuitées, et non pas en nombre de chambres. Le nombre de chambres donne la capacité à générer le service. Si dans les dix chambres de l’hôtel, il n’y a personne, il n’y a pas de service (ni de chiffre d’affaires !).

Le fait d’être client d’un service engendre souvent l’impression de « faire le job ».

On retrouve cette illusion dans les salons : quand les gens, visiteurs ou exposants, disent qu’ils « ont fait » un salon. C’est un abus de langage, ils ne l’ont pas réellement fait, ils y ont participé. Ils sont des acteurs passifs, mais en revanche s’ils ne sont pas là, le salon n’existe pas.

Si je reviens à la base de ce qu’est le service et si je reprends les fameux 4 P du marketing produit (Product, Place, Price, Promotion), dans le marketing des services, il y a quelque chose en plus, c’est le client. Et de fait, cela créé de nombreuses interactions : entre le client et le personnel / entre le client et les autres clients, entre le client et la structure/le support au service.


[1] EIGLER P. et LANGEARD E., Servuction, le marketing des services, Ed. EYROLLES, 2000

Les Cahiers. On ne peut pas dire que le mot « servuction » soit commun dans les conversations des professionnels de l’évènementiel.

Le fait d’utiliser « fabrication » fait appel à des processus industriels ou artisanaux et non pas à des processus de services. Le mot « servuction » a été créé par analogie avec le mot production (la production, c’est fabriqué un produit / la servuction, c’est délivré un service). La sémantique est importante, le concept de la servuction avec tout ce qu’il recoupe l’est encore plus.

Les Cahiers. Qui seraient les « servucteurs » des foires et salons ? Les organisateurs ?

Oui

Ce sont eux qui sont les véritables producteurs de foires et salons ?

Oui

Quel est le service produit ?

La pandémie et surtout le retour après la pandémie nous le rappelle : la valeur ajoutée provient de la capacité que possède chaque organisateur à réunir l’offre et la demande d’un marché donné, dans un lieu donné et à un moment donné.

Cela reste surprenant de dire que les producteurs de tout cela soient les seuls organisateurs. Les exposants et les visiteurs ne produisent-ils pas eux-mêmes, par leur présence, la manifestation. On dit souvent que les foires sont des villes éphémères, or dans une ville, on peut compter ceux qui construisent les immeubles et ceux qui les habitent et qui passent dans les rues. Sans les uns et les autres, la ville ne serait pas une ville. Donc dans une manifestation, s’il n’y a pas les gens qui construisent les stands avec la richesse de ce qu’il y a à l’intérieur, et les habitants-visiteurs, la ville-foire n’existe pas. Un avion, c’est différent, il existe au début et il existe à la fin, il est déjà fini – ou l’hôtel- quand les gens le prennent. Dans la manifestation, il y a une part d’activité des personnes. Et on parle de rencontre, s’il n’y a pas les gens pour la rencontre…Est-ce que cela signifierait qu’il y aurait une rencontre qui serait une sorte de possible sans les personnes et qui préexiste en quelque sorte : les gens viendraient seulement occuper une place dans cette rencontre

« Sur un salon, le service principal rendu est la rencontre. »

Il y a une distinction entre le support qui permet le service et effectivement le service exclusif. Sur un salon, le service principal rendu est la rencontre. Les participants – exposants, visiteurs, congressistes, conférenciers, … - viennent pour se rencontrer, échanger, s’informer, découvrir, prospecter, rechercher des produits et services …  Tout ce qui est autour, ce sont des services secondaires.

Prenons un exemple quotidien qui parle à chacun de nous. Dans une station d’essence, on y va pour remplir son réservoir, mais il peut se trouver que l’on y achète aussi une confiserie ou que l’on aille aux toilettes, mais si à l’entrée est signalée l’absence d’essence, on n’y passe pas, même si la boutique est ouverte. Le service principal est la distribution d’essence.

Sur les salons, la valeur est la rencontre. C’est la source d’incompréhension entre les organisateurs et les installateurs : un installateur, son travail est de créer et construire un stand à l’image de ses clients ; l’organisateur ne vend pas du tout de stands, il vend du contact. L’organisateur fait une double promesse marketing : il promet aux exposants qu’ils vont voir des visiteurs avec certains profils, géographique, professionnel ou autre, et il fait la promesse aux visiteurs, qu’ils vont voir des exposants présentant des produits et services sur une thématique (pour les salons) ou multithématique (pour les foires).

Si cette double promesse fonctionne, c’est parfait. Sinon, la manifestation chute.

Sachant que ces organisateurs eux-mêmes, pour une part d’entre eux, appartiennent aux industries qui vont exposer et se rencontrer sur les manifestations…

Oui, avec le défaut qui existe parfois de la part de ces entités, qui peuvent être des associations professionnelles, de favoriser leurs membres et ne pas avoir un regard sur le marché économique. A ce moment-là, en fait, à terme, ils scient la branche sur laquelle ils sont assis, parce que par nature, le visiteur veut voir l’offre qui correspond à la nomenclature, que les exposants soient adhérents ou pas à l’organisme en question.

 

Les Cahiers- Ce service de rencontre est-il défini par les organisateurs, au-delà de la mise en contact des exposants et des visiteurs. Est-ce qu’il y a un travail fait par les organisateurs, comme il se fait dans l’hôtellerie, pour définir le type de services de rencontre qu’ils veulent proposer ?

« La force des manifestations (en comparaison avec d’autres types de services), c’est leur capacité à pouvoir évoluer très rapidement, faire des essais, créer et abandonner aussi vite. »

Les organisateurs ont toujours su se renouveler pour coller aux attentes de leurs clients (exposants et visiteurs). Ils peuvent modifier les durées de manifestations ou multiplier leurs implantations géographiques (le covid et ses conséquences comportementales vont entrainer ce type de modification par exemple). Certains jouent sur les formules de participation pour les exposants avec, par exemple, des manifestations qui ne proposent qu’une seule surface possible de stands. Dans ce dernier cas, tous les exposants se retrouvent donc à visibilité égale vis-à-vis des visiteurs …

Tous les formats n’ont pas des succès retentissants … mais quand un organisateur a développé un type de format dans une dizaine de pays avec le même succès, alors il est très utile de regarder ce qui se passe.

La force des manifestations (en comparaison avec d’autres types de services), c’est leur capacité à pouvoir évoluer très rapidement, faire des essais, créer et abandonner aussi vite. Les organisateurs n’ayant pas (ou très peu) d’investissements, il est très facile d’être souple et agile. Hélas, la nature humaine aime la facilité et donc la reproduction des schémas existants.

Les Cahiers- Comment viennent ces idées ? Comment les organisateurs font évoluer leurs salons ? Comment ils arrivent à se dire que les grands salons avec des grandes allées, où tout le monde marche et se fatigue, ça ne marche pas. Comment se décident-ils à faire des choses très qualitatives, très spécifiques, avec une offre très définie, égalitaire par exemple ? Comment ça se passe pour en arriver à cette définition ? Est-ce la créativité d’une personne ou d’une petite équipe qui a l’intuition de…ou est-ce un mouvement de fond que l’on arrive à lire en regardant ce qui se passe sur le marché ?

Je ne peux pas répondre à cette question. Ce que je vois et subodore est plutôt une création spontanée de quelqu’un qui a une idée. Je ne pense pas qu’il y ait eu une réflexion par rapport au développement stratégique qui aille plus loin que cela, mais ce n’est pas grave. Les personnes créent une offre sans savoir vraiment où ça va et comment. C’est vrai dans les salons comme dans l’industrie. Quand on voit comment le Viagra a été inventé, il soignait initialement les insuffisances cardiaques et ce sont ses effets secondaires qui ont donné l’idée à Pfizer d’en faire une pilule à vocation sexuelle.  C’est l’effet secondaire qui a fait la force du produit. Il y a un effet de chance et de hasard.

Il peut aussi y avoir des gens qui font de la veille sur les salons, mais il n’y en a pas beaucoup. Les organisateurs disent souvent qu’ils n’ont pas le temps, parfois même pour voir leurs salons concurrents !

Les Cahiers- Pour reprendre l’idée de fabrique des salons dans un autre sens, on dit souvent que les salons ou les foires sont des « configurateurs » d’un champ d’activité, qu’ils structurent un marché ? Peut-on dire que les foires et salons rendent l’immense service de configurer les marchés, de leur donner forme, parfois naissance, d’identifier les technologies, les acteurs, les process et les motifs d’échanges ?

Je trouve que le terme est un peu fort. Je ne crois pas que les organisateurs configurent les marchés, par contre, ils donnent le reflet de ce qui se passe dans leur région pour une foire, sur une thématique pour un salon national ou régional. Si Batimat a lieu tous les deux ans, au moment de Batimat, l’état du marché est ainsi, sous réserve que l’organisateur fasse bien son travail.

« Je ne crois pas que les organisateurs configurent les marchés, par contre, ils donnent le reflet de ce qui se passe dans leur région pour une foire, sur une thématique pour un salon national ou régional. »

Un salon ne peut être que le miroir du marché économique qu’il sert parce que les organisateurs n’ont pas la main sur la réglementation de chacun des marchés. Si sur le marché de la machine-outil, la réglementation internationale dit que les machines doivent avoir tel ou tel standard, c’est la réglementation qui va faire évoluer les produits ou en disparaître d’autres. Les salons peuvent être de très bons miroirs des marchés et c’est cela la principale source de valeur ajoutée pour un organisateur. Si le salon est vraiment le miroir du marché, tout le monde viendra, bien sûr pour commercer, mais aussi pour faire de la veille, voir quelles sont les nouveautés, les concurrents, se jauger, recruter aussi.

Les Cahiers – Est-ce que l’on peut mettre en parallèle cette idée de photo à un moment donné et la notion d’évènement que les organisateurs utilisent de plus en plus pour définir leur manifestation ? La notion d’évènement est en relation avec la question du temps. Est-ce que ce que les foires et salons « serviductent », ce n’est pas du temps, une production de temps. Par exemple on fabrique de l’espace, on le rend possible, les évènements construisent des espaces, et c’est ce qui fait l’immensité des salons et l’admiration que l’on peut en éprouver, mais il y a aussi du temps. Est-ce qu’on peut dire que ce temps est fabriqué, et est-ce qu’il y a des gens qui réfléchissent d’une manière ou d’une autre à ce qu’est cette temporalité particulière. La question est peut-être intéressante, parce qu’avec le digital, les professionnels se sont intéressés à créer la continuité, le fait de pouvoir toujours tout le temps se rencontrer, après, avant les évènements. Mais est-ce qu’il n’y a pas une production particulière d’un certain type de temps qu’il faudrait approfondir pour comprendre vraiment ce qui se passe sur un salon ou sur une foire.

En fait, effectivement je partage votre réflexion, le temps est important sur une manifestation, en termes de durée et en termes de calendrier. Les dates et périodicités des manifestations ne sont pas dues au hasard des calendriers. Cela correspond aux besoins du marché à ce moment-là. C’est une des grandes problématiques des organisateurs et encore plus avec le covid.

Quant à la question de la continuité par le digital entre les salons, c’est un vieux serpent de mer chez les organisateurs : « mon salon est biennal, il faut que je parle à mon marché entre deux éditions ». Jusqu’à présent, rien n’a fonctionné, même si des tentatives ont eu lieu et ont lieu. Un salon avec 50 000 visiteurs répartis sur 3 jours, avec en moyenne 6 stands dans sa journée par visiteur, engendre 300 000 contacts sur l’ensemble de sa durée, sans parler des contacts entre les exposants. Pour en avoir autant entre les salons, il faudrait un salon !

Et les organisateurs de salons et foires n’ont pas particulièrement de légitimité à créer ces places permanentes d’échanges. Un salon rapporte de l’argent sur un temps court, les expériences à l’année mobilisent du temps et des hommes, avec des performances financières bien moindres.

« (…) tout ce qui freine dans un salon l’accès à l’exposition proprement dite, que cela soit l’éloignement des parkings, l’attente aux caisses ou autres, c’est autant de temps perdu pour les visiteurs et par conséquent pour les exposants. »

Enfin dernier élément sur le temps et l’organisation : les participants à un salon, visiteurs ou exposants, n’ont absolument pas conscience de ce qu’est l’organisation, tant qu’ils n’attendent pas trois quart d’heures à l’entrée. Quand c’est fluide, ils ne se rendent compte de rien. Considérer le parcours de visite et ses durées est vraiment très important. Avec Infora, nous avons mené une série d’études comportementales pour un organisateur qui reçoit 200 000 visiteurs à chaque édition de sa manifestation. On s’est rendu compte que les gens ne savent plus exactement à quelle heure ils sont arrivés, en revanche, ils savent à 10 minutes près à quelle heure ils doivent repartir. Cela signifie que tout ce qui freine dans un salon l’accès à l’exposition proprement dite, que cela soit l’éloignement des parkings, l’attente aux caisses ou autres, c’est autant de temps perdu pour les visiteurs et par conséquent pour les exposants. Les gens savent à quelle heure ils doivent partir, parce qu’ils ont autre chose à faire dans la vie, c’est aussi simple que cela.

Les Cahiers- La profession de l’évènement s’est structurée depuis 30 ou 40 ans. Elle est devenue une filière. Il y a de plus en plus d’écoles où on peut être formé à ses métiers, mais comment aujourd’hui se fait la transmission des savoir-faire ? On a parfois l’impression qu’il ne faut pas tant d’expérience que cela pour devenir organisateur, comme si le ticket d’entrée était faible :  avec un carnet d’adresses et des relations, on peut se lancer et apprendre sur le tard…Peut-on parler ainsi ? Comment la transmission évolue-t-elle ?

D’une certaine façon, le savoir-faire d’organisateur marche par palier. Vous voulez organiser un salon de la bière dans une ville de province, vous avez un carnet d’adresses de brasseurs, pour avoir une cinquantaine d’exposants, vous pouvez le faire tout seul et vous allez y arriver. Chaque tâche d’organisation prise séparément est simple, la complexité vient de la taille, d’un nombre d’actions à coordonner entre un nombre toujours plus grand d’intervenants et de participants. Plus la manifestation est grande (en nombre d’exposants, de visiteurs, de contenus…) et plus il faut des méthodes, de l’expérience, du temps : des gens qui savent organiser des salons de plus de 100 000 m², il n’y en a pas 20 en France.

« Les organisateurs savent en tout cas qu’on ne peut pas remplacer un directeur de parc expo ou d’un grand salon par le directeur technique de la grande distribution (…) »

Organiser est un vrai métier.

Concernant la transmission, on va le voir dans l’année qui arrive. Chez les acteurs importants, les licenciements ou départs volontaires ont eu lieu sur toutes les fonctions. Les départs de jeunes diplômés dans le commercial ou la communication ou des fonctions supports qui existent ailleurs ne sont pas les mêmes que ceux des équipes techniques. Pour la technique dans les salons, il faut un an et demi pour former un professionnel. Je connais des gens qui ont plus de 20 ans d’expériences techniques chez le même organisateur, ils s’en vont : comment se fait sa transmission d’expérience et d’expertise, je ne sais pas du tout.

Les organisateurs savent en tout cas qu’on ne peut pas remplacer un directeur de parc expo ou d’un grand salon par le directeur technique de la grande distribution, parce que ce n’est pas la même fonction. Ils peuvent recruter des gens de l’univers du spectacle, du festival, parce que les qualités requises sont un peu les mêmes. Entre une agence évènementielle et un organisateur de salons, sur la partie technique et logistique, on utilise les mêmes outils, mais on n’a pas la même approche des modèles économiques, pas du tout.

Les Cahiers- Et est-ce grave si cette transmission n’a pas lieu ? Est-ce qu’il n’y a pas une tentation de faire table rase, de profiter de la situation pour changer, dans une époque dans laquelle on a l’impression que de toute façon les choses changent. Donc on va recommencer avec des nouvelles personnes avec des nouvelles pratiques. Ce serait une sorte de rêve de renouvellement ? Est-ce qu’il y a de cela ?

Non, je ne crois pas qu’il y ait cela. Les grands groupes (dans l’évènementiel et ailleurs) partent du principe qu’il y a des process et des procédures internes et que cela suffit à formater les pratiques.

« Sur le digital, tout le monde en est revenu. »

Par contre, sur le digital, tout le monde en est revenu. On a eu une contrainte qui empêchait d’ouvrir les manifestations pendant quasiment un an et demi, il fallait trouver des solutions pour chaque marché. Des tas de solutions ont été développées, mais globalement, cela n’a pas marché. Aujourd’hui les organisateurs connaissent les limites du digital : chronophage ; cher ; techniquement une épée de Damoclès ; sans business model pour l’organisateur, donc sans ressources ; avec des résultats catastrophiques en termes de contacts. Le seul bémol à ce constat peut se trouver chez les organisateurs de congrès et de conférences, qui, par nature, vendent une transmission de savoirs : il peut y avoir un modèle économique du digital par la vente de conférences post évènement.

Les Cahiers-Quand on écoute la profession, par exemple un rapport d'un institut allemand, le bvik - Der Industrie Verband für Kommunikation & Marketing [1], qui fait des recherches dans la communication et qui a été transmis sur les réseaux sociaux par l'AUMA, les tendances à venir sont : les contacts personnels qui auront toujours plus d'importance ; les manifestations auront un avenir hybride ; les foires et salons seront plus petits et plus locaux ; l'environnement suscitera plus d'attention ; il sera de plus en plus difficile d'organiser dans le bon planning le calendrier des manifestations ; il y aura plus d'investissement dans la technique et dans le personnel. Quand la profession se met  réfléchir, elle dit cela, mais elle n'émet rien de plus général sur son avenir dans la construction de la société, sur les liens entre l'économie et la politique, elle dit peu sur le fait que les manifestations sont des lieux de rencontres où peuvent se clarifier des enjeux environnementaux, pas seulement être un lieu moins carboné, mais être aussi des lieux normatifs d'explicitation des enjeux écologiques de filières, elle ne parle pas de la situation de croissance des structures organisatrices pour avoir la capacité de concurrencer les Chinois ou les Américains, il n'y a pas de vision sur l'Europe...Comment cela se fait-il qu'il y ait si peu de regards sur les enjeux macroéconomiques ou macropolitiques des manifestations ?

Je pense que c’est aussi une conséquence du niveau de reconnaissance de la profession en tout cas en France : on l’a vu au début de la pandémie, la profession, en France, avec l’Unimev et les sept organisations professionnelles, s’est rendu compte très vite combien elle était transparente. L’organisation est en quelque sorte invisible. Les politiques, les acteurs des Chambres de Commerce et d’Industrie participent aux évènements, font les inaugurations, mais ne se rendent pas toujours compte de ce à quoi ils participent, à l’ensemble du process. C’est comme le visiteur qui va sur un salon où tout lui apparaît naturel, sans voir qu’il y a une organisation derrière.

Mais cela est aussi le fait des organisateurs eux-mêmes, de leur volonté initiale, disons il y a une trentaine d’années, de ne pas se mettre en avant, mais de promouvoir chaque manifestation avec son marché. On mettait en avant la marque, le salon, mais jamais l’organisateur. Ce fait de ne pas signer nos manifestations m’a toujours frappé et j’ai souvent fait la remarque quand je travaillais chez un organisateur.  Puis on a commencé à mettre dans le commissariat général un panneau lumineux pour dire qui organisait, mais autrement on le disait nulle part. Cela a un peu changé aujourd’hui. Mais globalement, il n’y a pas de visibilité des organisateurs. Cette discrétion était voulue, pour mettre en avant les acteurs des marchés, mais aussi pour ne pas exposer ses excellentes performances financières.

Et il n’y a pas effectivement de discours large sur la macroéconomie ou les enjeux parce qu’il n’y a pas de discours des organisateurs en tant que tels.

Les Cahiers- Mais par exemple, il n’y a jamais eu autant de villes dans le monde : un organisateur pourrait dire que l’urbanisation croît, qu’il n’y a pas d’urbanisation sans foires et salons, donc que l’avenir des foires et salons peut être radieux. On pourrait dire aussi qu’il faut que l’on tienne des positions en Europe pour résister à la concurrence chinoise. C’est assez peu verbalisé.

Non. Je ne peux pas parler pour les grands organisateurs mais pour les plus petits, ils voient d’abord midi à leur porte : comment être concrètement plus efficace sur leur marché. L’organisateur fait en sorte de développer son business au mieux.

Dans le passé, j’ai entendu des débuts de discours comme cela, chez de grands organisateurs, avec des réflexions plus générales sur l’avenir des salons et leur fonctionnement, mais je n’ai pas la sensation que ces réflexions aient donné des résultats tangibles sur les manifestations créées ou sur le fonctionnement. L’opérationnel quotidien revient au galop.

 

[1] Bundesverband Industrie Kommunikation e.V. NACH DEM EINBRUCH DER AUFBRUCH: CHANCEN EINER NEUEN MESSEWELT, 2021

Les Cahiers- Est-ce que la production, la servuction des foires et salons a de l’avenir ?

Oui, et pour revenir sur l’étude allemande, effectivement il y a de l’avenir en termes de déploiement de manifestations régionales, du salon grand public ou professionnel, liés au tissu économique régional.

« Les grandes manifestations ont un avenir certain dans la mesure où elles comprennent où est leur valeur ajoutée, sans s’éparpiller. »

Ce sont les grandes manifestations internationales qui vont éprouver le plus de difficulté. Elles devront faire toujours plus de propositions au-delà du seul aspect commercial : les progrès technologiques, les changements réglementaires, ou montrer très concrètement les tendances.

Les grandes manifestations ont un avenir certain dans la mesure où elles comprennent où est leur valeur ajoutée, sans s’éparpiller. Sinon elles ne seront plus compétitives par rapport à des manifestations locales.

Je suis très pessimiste sur les foires… vaste sujet !

Les Cahiers- D’après vos observations sur le terrain, comment l’activité a-t-elle redémarré ?Depuis le mois de septembre, il y a une montée en puissance de réouverture des salons. On peut estimer que l’activité était à moins 35% en septembre et qu’elle gagne chaque mois 10%. Mais il faut quand même faire la distinction entre les manifestations qui vont redémarrer normalement et celles qui ne vont pas le faire.

« Et s’il y avait 80 foires avant la pandémie , je pense qu'il ne fautr pas s'attendre à la survie de plus de trente d'entre elles.»

Et justement parmi ces dernières, on peut compter les salons de l’habitat et les foires. Ils ne peuvent pas redémarrer normalement pour une raison conjoncturelle : les sociétés exposants de l’habitat ont globalement des carnets de commandes très bien remplis et elles ont des problématiques d’approvisionnements (en acier, en bois, …) qui les empêchent de servir dans les temps leurs clients. Je connais des salons de l’habitat qui ont dû être annulés pour ces raisons. Et les foires dont la plus grande part de leur offre est sur le thème de l’habitat vont être aussi impactées. Les foires qui annulent aujourd’hui, c’est d’abord en raison d’un manque d’exposants. Mais sur les foires, il faut noter une deuxième raison, cette fois-ci structurelle. Et s’il y avait 80 foires avant la pandémie, je pense qu’il ne faut pas s’attendre à la survie de plus de trente d’entre elles.​​​​​​​

Les Cahiers. C’est un constat extrêmement sévère sur les Foires, vous pensez vraiment que si peu de Foires vont passer le cap ?

Oui, les raisons de fond sont nombreuses. Le gros bataillon des exposants de l’habitat, qui prennent de nombreux m², comme je l’ai évoqué précédemment et puis les petits bataillons des exposants de la gastronomie, les artisans de la richesse du monde, ont besoin de passage. Et ces gens-là ont aussi eux-mêmes disparu ou ont pu trouver d’autres moyens de commercialiser leurs produits. Les foires sont en très grand danger.

Les Cahiers – Est-ce, selon vous, le modèle des foires qui est obsolète ?

Il faut regarder l’exemple du salon « Made in France », MIF, qui est bien une foire, avec tout le côté positif de la foire, mais sans son côté négatif. Il n’y pas la gastronomie, on a l’impression d’être dans un salon professionnel. Il a lieu à Paris, il va avoir lieu à Bordeaux et à Lyon. Le MIF accueille d’abord des petits stands, le plus grand ne dépasse pas 70 m², avec des pavillons régionaux : Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Ile-de-France. Et chaque pavillon accueille 50 exposants, des artisans, des petites TPE sur la nomenclature classique d’une foire, très qualitatif. C’est un succès.

Dans le Hall 7-2 Porte de Versailles, 800 exposants étaient présents, avec une offre pléthorique sur des petits stands (moins cher pour les exposants, donc plus facile à rentabiliser). On y voyait des marques que je croyais disparues ! Les sucettes Pierrot, qu’on avait quand on était gamin, le slip français, etc…très riche. L’entrée était gratuite, inscription par internet, un fichier visiteurs efficace pour l’organisateur et pas d’animation. C’étaient les exposants qui comptaient, sans rien qui détournent les visiteurs des exposants. Ce n’est pas comme sur les Foires où vous avez des concerts. Ceux qui aiment le jazz ne vont pas à la foire pour voir un concert, et les gens qui sont là écoutent, mais du coup ne sont plus attentifs aux exposants. On scie la branche sur laquelle on est assis. Cela ne veut pas dire qu’il ne doit pas y avoir des animations, mais elles doivent avoir un rapport avec le contenu, par exemple des ateliers bricolage dans un salon habitat. Sinon, l’organisateur a bien l’impression de faire venir des gens, mais en fait ils ne viennent pas pour les exposants.

Les Cahiers – Vous organisez cette année à La Baule, les 5 et 6 juillet prochains, deux congrès qui n’avaient pas pu avoir lieu l’année dernière, l’UTAC, le Campus des responsables techniques, logistiques et de production évènementielle, et CONTAC, le Campus destiné aux fonctions marketing et communication de l’évènementiel, quels en seront les thèmes ?

Retour aux bases !  

Extrait des programmes UTAC et CONTAC 2022 (LA Baule, 5 et 6 juillet)

 

T3 - GESTION DE PLANS :

- Urbanisme des plans : où comment optimiser les surfaces et rendre homogènes les circulations ?

- Numérotation des stands : règles de base pour une numérotation efficace.

C1 - MANIFESTATIONS PRO - ENREGISTREMENT DES PARTICIPANTS

- Panorama des solutions disponibles et services de supervision en ligne.

 

M1 - LES EXPERIMENTATIONS PENDANT LE COVID

- Les différentes expérimentations réalisées … et ce qui va en rester ;

- Pourquoi les rencontres "en live" ne sont pas près de disparaitre (expliquées par la théorie des comportements des humains).

 

BILLETTERIE GRAND PUBLIC :

- Règlementation administrative et fiscale,

- Différents types de billetterie.

 

C2 - NOUVEAUX MODELES & NOUVEAUX FORMATS

Depuis quelques années, de nouveaux formats de manifestations sont apparues avec plus ou moins de succès. Retours et analyses sur ces essais.

Les changements de comportement des consommateurs et professionnels sont les prémices d'adaptation rapide des salons et congrès.

 

M4 - LA « BOITE A OUTILS » DU RESPONSABLE MARKETCOM

- Descriptifs - avantages / inconvénients – évolutions,

- Nouvelles pratiques,

- Les outils qui disparaissent - les nouveaux outils.

 

T2 - LES PLATEFORMES D’ENREGISTREMENT EXPOSANTS :

- Etendue des services proposés,

- Différents types de fonctionnement.

 

T1 - WIFI THD, technologies et bonnes pratiques, …La transformation digitale des évènements et des lieux évènementiels impose des infrastructures capables de répondre à de très nombreuses sollicitations. Découvrez les technologies capables de répondre à ces problématiques, ainsi que les bonnes pratiques associées !

 

M2 - ESPRIT CRITIQUE & EVENEMENT

Comment les évènements peuvent se positionner comme créateur de confiance dans un monde d'infox ?

 

 

C4 - SIGNALETIQUE :

- Rendre la signalétique extérieure et intérieure efficace,

- Les nouveaux supports de signalétique.

 

C6 - GESTION DES CONFLITS

La participation à une manifestation est source de tensions et de stress pour les exposants. Cela engendre parfois des conflits avec les équipes organisatrices. Comment les éviter ? Comment les désamorcer ? ... Tous les trucs de comportement à connaitre.

 

M3 - FAIRE VENIR et REVENIR DES PARTICIPANTS INTERNATIONAUX : 

- Les actions mises en place par les Pouvoirs Publics ;

- Comment optimiser son budget communication à l'international

 

C3 - NOUVEAUX SITES :

- Tour de France des sites : rénovation / extension / ouvertures / projets.

 

C5 - PANORAMA DES CERTIFICATIONS

& LABELS POUR LE DD ET LA RSE ….

- Existants ? Futurs ?

- Pertinents ? Valorisables ?

- Impliquant pour les publics participants (exposants et visiteurs) ?

 

M5 - TRAITEURS :

- Critères pour choisir son traiteur ;

- Panorama des différents types de traiteurs et de prestations proposées.

Retrouvez l'intégralité des entretiens et articles des Cahiers n°8.

Les Cahiers Recherche et Innovation, Foires, Salons, Congrès, N°8, Mai 2022 - nundinotopia.com

Tag(s) : #Entretiens, #Les Cahiers
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