• Barbara WEIZSAECKER

GRAND ENTRETIEN

Avec Barbara WEIZSAECKER

Barbara WEIZSAECKER travaille depuis plus de 20 ans dans le secteur des foires et salons et plus largement de l’évènement, en grande partie sur ses enjeux européens. Elle dirige depuis sa création en 2012 l’European Exhibition Industry Alliance (EEIA) qui réunit deux grandes associations majeures de la profession du monde de l’exposition, l’UFI the Global Association of the Exhibition Industry, et l’European Major Exhibition Centres Association (EMECA), dont elle est aussi pour cette dernière la secrétaire générale.

L’entretien a aussi été mené avec l’aide de Sara LANZILOTTA, secrétaire générale adjointe de l’EEIA.

Sommaire de l’entretien

  • L’implication des professionnels de l’exposition sur les questions européennes
  • Les relations et les collaborations avec l’Union Européenne
  • La Recherche, l’Innovation et l’Europe43
  • La transition écologique
  • Quelle vision sur la reprise et l’avenir des positions européennes sur le marché mondial ?

Le présent européen de l’industrie des Foires et Salons n’est pas aussi évident que l’histoire européenne des foires médiévales : il faut se parler, argumenter, expliquer, chaque jour. Et la crise du COVID intensifie les relations de l’Industrie de l’exposition avec les Institutions de l’Union Européenne. Barbara WEIZSAECKER, dans cet entretien, nous expose les liens et relations possibles entre les Foires et Salons et l’Union européenne, notamment via les actions de l’EEIA, de l’UFI et de l’EMECA. Elle laisse aussi comprendre concrètement combien les professionnels sur le terrain peuvent être d’abord pris par leurs enjeux régionaux, quand ce n’est pas par celui pur et simple de leur survie dans la situation pandémique.

Les grands axes de légitimité des Foires et Salons se dessinent sur les champs des politiques industrielles et des accords internationaux de commerce. En ce qui concerne la Recherche et l’Innovation, les Foires et Salons sont souvent identifiés secteur par secteur comme des leviers des phases de transition et d’innovation technologiques. Au niveau européen, la récente création de l’European Innovation Council peut contribuer à l’intégration plus systématique des foires et salons dans la stratégie de dissémination des innovations. Mais il n’y a pas de vision du rôle des Foires et Salons dans une ambition européenne de l’Economie de la connaissance. Ce but politique initial (Lisbonne 2000) est aujourd’hui réévalué à l’aune d’une nécessaire réindustrialisation et de nouvelles politiques sectorielles. Les Foires et Salons peuvent jouer un rôle décisif dans la transition écologique et digitale, à la fois dans les passages Recherche-Marché et dans les processus de cocréation et de transversalité. Leur premier atout est le temps, la vitesse d’exécution, comme il le sera pour assurer la reprise de l’économie et un retour au niveau prépandémique, espéré au plus tôt en 2022.

Près de la moitié de l’activité mondiale des Foires et Salons se réalisait en Europe avant la pandémie. Toutefois une nouvelle donne asiatique et américaine est possible, si les voyages internationaux ne reprennent pas. L’inquiétude est là. Les mots d’ordre : être positif, avoir beaucoup d’imagination et de créativité et construire des réseaux européens. MAINTENANT. C’est le moment.

L’implication des professionnels de l’exposition sur les questions européennes

Les Cahiers-Pensez-vous que les professionnels de l’exposition en Europe ont bien cette vision d’un ensemble européen des foires et salons ?

Si nous regardons d’abord l’histoire européenne des Foires, je pense que nous en avons une bonne vision. Il existe par exemple à Messe Frankfurt (dans laquelle j’ai travaillé pendant 12 ans), toute une série d’archives sur l’histoire des Foires. Un historien[1] a même publié trois tomes sur l’histoire de Francfort[2]. Et cette histoire n’est pas limitée à la seule Foire de Francfort, mais est ouverte aussi à la concurrence, notamment à celle de la Foire de Leipzig, aux routes marchandes de toutes provenances, notamment du Sud de l’Italie. Ceux qui voulaient faire du commerce, exposer leurs marchandises, par exemple des tissus et textiles, ou prendre des commandes avaient voie libre pour voyager, sans être arrêtés aux douanes ou devoir payer une taxe. On peut citer par exemple la Bulle d’Ascoli de 1240 par laquelle l’Empereur Frédéric II accordait des privilèges et la protection de l’Empire aux marchands qui voulaient négocier sur la Foire de Francfort est très fameuse, au moins à Francfort : tout le monde est extrêmement fier de cette histoire

Sur l’histoire européenne des Foires, oui, cela semble appartenir à l’imaginaire des professionnels, mais en revanche, au présent, l’idée qu’il y a une Europe des foires très active, j’ai l’impression que nous l’avons moins en tête, que les professionnels sont peut-être plus tournés vers leur propre territoire local, leur pays.

C’est difficile de répondre. Dans l’association EMECA, dans le Chapitre Européen de l’UFI et dans l’Alliance EIEA, les groupes de professionnels sont nombreux. Ils travaillent ensemble sur des thèmes et des actualités, à tous niveaux, de dimension européenne. Nous nous rendons bien compte des atouts que représentent ces échanges. Cela contribue à ce que nous soyons plus forts en Europe. Et nous voulons aussi conserver notre rôle dans le monde : avant la crise, l’Europe représentait près de la moitié du marché global des foires et salons. Nous verrons évidemment ce qu’il adviendra après la crise, mais nous sommes quand même confiants et conscients de l’importance de l’Europe.

 

[1] Brücke zwischen den Völkern - Zur Geschichte der Frankfurter Messe, 3 Bände, dirigé par Rainer KOCH (Hrsg.), Ffm., Union Druckerei und Verlag / Historisches Museum der Stadt Frankfurt, 1991. Voir aussi ROTHMANN Michael, Die Frankfurter Messen im Mittelalter, Franz Steiner Verlag Stuttgart, 1998

Rassemblement des membres de l’EMECA lors de l’Assemblée générale à Paris en novembre 2019 (source : EMECA)

Rassemblement des membres de l’EMECA lors de l’Assemblée générale à Paris en novembre 2019 (source : EMECA)

Quant à la vision européenne des gens sur le terrain, c’est normal qu’elle soit relative. Ils doivent trouver des réponses pour leur activité qui dépend des autorités locales de santé. C’est aussi normal, en pleine crise, de ne pas avoir la tête à penser stratégiquement et à long terme. Et les grands parcs d’exposition européens ont des échéances à court terme, avec des pertes de liquidités, et la nécessité d’ajuster les dépenses et d’envisager certains licenciements. Et il y aussi des compétences exigées dans le digital, il faut donc se former. On lutte pour survivre. Une fois que l’on aura repris, cette perspective s’ouvrira de nouveau, les gens, aussi les parcs des expositions en France, vont de nouveau voir la perspective s’agrandir. C’est normal, et nous sommes là pour les aider, pour de temps en temps ouvrir la fenêtre.

Extrait de la prise de position de l’EEIA le 2 juin 2021

“The European Exhibition Industry

- welcomes the EU Digital Covid Certificate and urges all European countries to restore and maintain safe travel for business purposes at any time

- calls for recognising and involving trade fairs and other professional events as the key instrument for green and digital transformation of all industries.

Industry and business communities need live exhibitions and events

(…)

The exhibition sector needs clear opening perspectives and timelines to serve the business communities in a reliable way

(…)

Europe may permanently lose market share to other regions in the world

(…)

Exhibitions are the key instrument to implement and accelerate transformation towards sustainable and digital economies

(…)

To address and realise these major projects in a short time frame, platforms like exhibitions, congresses and other types of professional events will play a major role. They need to be strengthened and involved systematically in EU and Member States government programmes. Without a competitive exhibition sector and leading exhibitions and professional events in Europe the necessary transitions will be less efficient and much slower.”

 

Qui sont les acteurs professionnels qui travaillent avec vous à l’EEIA ? Quels sont les groupes de travail et sur quels sujets travaillent-ils ?

L’European Exhibition Industry Alliance est une alliance, ce n’est pas une association, une entité légale. Elle réunit tous les membres de l’UFI du Chapitre européen : les fédérations et associations nationales, les organisateurs, les gestionnaires de parcs, les prestataires de services (aménagement, logistique, etc…), les consultants, toute une panoplie de membres. Les organisateurs et les gestionnaires de parcs des expositions en forment la majorité. Et s’y joignent aussi les membres de l’EMECA, l’Association des grands parcs en Europe, au nombre de 23, qui adhèrent aussi à l’UFI.

Pour ne pas redoubler le travail fait à Bruxelles ou pour mener des analyses de la situation, nous avons décidé de travailler ensemble, là où il n’y a pas de conflits d’intérêts, et de faire cela sous le label de l’EEIA. 

Nous deux, Sara LANZILOTTA et moi-même, faisons tout ce qui est interne à l’EMECA. Nous avons un Bureau et des groupes de travail. Par exemple nous avons un groupe de travail technique dans lequel nous pouvons parler de restauration, de l’efficacité énergétique, de la sécurité ou d’autres sujets en fonction de l’actualité. Quand on avait des enjeux très importants sur la sécurité et le terrorisme, nous avons travaillé ensemble pour déterminer les règles et les pratiques de précaution, y compris de cybersécurité.Nous faisons toujours appel aux experts des membres. Nous avons des réunions physiques, nous nous voyons régulièrement !

Et nous avons aussi un groupe de travail composé d’experts juridiques des parcs des expositions (voir la liste page suivante). Ils travaillent sur les sujets de l’Union Européenne, sur les nouveautés législatives, qui passeront ensuite dans les législations nationales, pour savoir comment s’y adapter et y répondre.

Par ailleurs, un groupe sur la recherche se réunit avant tout orienté sur les marchés et les indicateurs de performance ou le benchmarking. Ce sont vraiment des questions pratiques du quotidien, pour la performance interne des parcs, pour les clients aussi, pour qu’ils puissent mesurer au mieux l’efficacité de leur participation aux salons.

Nous avons donc plein de groupes différents. Nous échangeons beaucoup pour apprendre des uns des autres, sur les bonnes pratiques et les astuces, sur les modalités pour simplifier la vie de tous les membres.

Les 23 membres de l’EMECA :

  • RAI Amsterdam
  • Fira de Barcelona
  • MCH Group
  • Bilbao Exhbition Centre
  • The National Exhibition Center (NEC-Birmingham)
  • BolognaFiere
  • Brussels Expo
  • Koelnmesse
  • Palexpo (Genève)
  • Deutsche Messe (Hannover)
  • Feira International de Lisboa
  • Eurexpo (Lyon)
  • IFEMA (Madrid)
  • Fiera Milano
  • Expocentre (Moscou)
  • Nürnbergmesse
  • Viparis
  • MTP Poznań Expo (Postdam)
  • Italian Exhibition Group (Rimini, Vicenza)
  • Messe Stuttgart
  • Royal Dutch Jaarbeurs (Utrecht)
  • Feria Valencia
  • Veronafiere

Combien de personnes se voient régulièrement, dans l’ensemble des instances UFI, EEIA, EMECA pour parler d’enjeux européens ?

Les réunions ont lieu à trois niveaux : au sein d’EMECA, au sein d’UFI, au sein de l’EEIA.

Si on parle d’EMECA, ce sont des groupes de travail entre dix et quinze personnes.

Au sein de l’UFI, Il y a beaucoup plus d’acteurs, avec des objectifs très divers : les parcs et les organisateurs, des associations, des prestataires de services, des consultants. C’est du networking et aussi un marché pour faire des affaires entre membres. La tonalité est plus marketing. Mais il existe aussi de nombreux comités lors du congrès annuel ou séparément, par exemple un groupe sur le développement durable, qui fait aussi l’objet d’une conférence, plus formelle. Les deux associations sont bien complémentaires. Tous les thèmes abordés et leur actualité, objectifs et besoins sont repris dans le travail de représentation auprès de l’UE. Et puis nous, l’équipe de l’EEIA, nous allons aussi dans les associations nationales pour informer des discours tenus à l’UE et pour connaitre leurs différentes perspectives nationales.

A l’EEIA, nous organisons tous les deux ans un évènement à Bruxelles pour les membres qui s’intéressent à la politique européenne, pour créer une proximité avec les instances européennes, pour voir par exemple le Parlement européen et parler avec les députés et les autres personnes qui y travaillent. Quand on est dans son pays, on est très distant de l’Europe, donc c’est important de se déplacer et de venir voir les gens et les lieux qui « sont » l’Europe. Là nous avons environ cinquante personnes, les plus impliquées.

A l’échelle de l’EMECA, l’ensemble des personnes concernées par ces réunions et évènements représentent 150 personnes environ, mais elles ne se réunissent jamais en même temps. A l’UFI, c’est différent. Elle peut rassembler, lors de la conférence européenne, 250, 300 personnes, dont une part que l’on retrouve régulièrement. Ceux qui viennent à notre évènement de l’EEIA à Bruxelles appartiennent aux deux groupes, UFI et EMECA.

Et vous allez rencontrer qui ? les gens de l’UNIMEV, de l’AUMA, de l’AEFI ?

A l’UFI, il y a un groupe de travail, un chapitre institutionnalisé qui s’appelle l’Associations Committee. Nous nous connaissons très bien et nous intervenons facilement dès qu’il y a une question. Nous avons beaucoup d’échanges informels et spontanés.

Quels sont les acteurs de la Commission européenne que vous rencontrez ?

Il y a plusieurs institutions qui sont intéressantes pour nous et au sein des institutions de l’UE, il y a des nœuds d’intérêts et des interlocuteurs constants et d’autres en fonction des actualités et des nouveaux sujets.

A la Commission européenne, nous parlons majoritairement avec la Direction Générale GROW (Département de la Commission en charge des politiques européennes sur le marché intérieur, l'industrie, l'entrepreneuriat et les PME) actuellement dirigée par le Commissaire Thierry Breton. Ses fonctionnaires sont nos principaux interlocuteurs parce qu’ils définissent les politiques industrielles : c’est là où nous avons le plus d’intérêt à être présents pour identifier les secteurs qui seront les plus encouragés. Quand il y a un grand projet comme, il y a quelques années, sur la protection des données (GDPR), mené entre différents services, nous sommes aussi présents. Nous recueillons l’information et faisons la « traduction » pour notre secteur et cherchons à motiver chacun pour qu’il adapte son processus. Dès qu’il y a une question des professionnels, nous jouons le rôle de contact et d’intermédiaire pour obtenir une clarification de la part des services européens. 

Nous intervenons aussi au sein du Parlement européen. C’est très intéressant de voir les différents points de vue des députés européens liés à leur territoire dans les pays d’origine et les opportunités qu’ils voient selon leur propre histoire personnelle. 

Ils ont aussi de professions, ils ont une vie d’avant leur fonction politique, avec une connaissance éventuelle de notre secteur. Ils peuvent par exemple avoir travaillé dans une entreprise qui était exposante quelque part. On ne rencontre quand même pas mal d’intérêt et de liens avec notre secteur dans tous les partis et aussi dans différents comités.

Le Trade Committee[1] du Parlement est important, principalement à chaque nouvel accord (Trade agreement). Nous essayons de suivre tout cela, les meetings, les échéances, et nous maintenons des relations, par exemple dans ce cas du Trade Committee, avec le Président, Bernd LANGE. Nous le connaissons bien, il est de Hanovre et il connaît très bien les salons. Il a organisé avec la Deutsche Messe de Hanovre des rencontres avec d’autres députés européens et avec la Commission, notamment dans le cadre de la Hanover Messe ou du Cebit (qui aujourd’hui n’existe plus). Nous avons là la chance d’avoir une personne, même si nous ne sommes pas toujours d’accord sur toutes les vues politiques, qui a un intérêt et des liens avec notre secteur. Le Président Bernd LANGE est conscient du rôle et de la contribution des salons pour mettre en œuvre les politiques européennes. Par exemple si un accord de commerce est signé avec le Vietnam, il sera mis en œuvre dans nos salons, avec l’aide de notre secteur. Nous connectons la politique avec la pratique. Cela ouvre de nouvelles perspectives pour ceux qui organisent les salons.

 

[1] Commission du commerce international (European Parliament Committee on International Trade)

Extrait de la brochure de l’EEIA : chiffres-clefs de l’industrie de l’exposition

Extrait de la brochure de l’EEIA : chiffres-clefs de l’industrie de l’exposition

Vous avez donc à faire avec des personnes au niveau européen qui sont plutôt sensibles à la question des Foires et Salons. Comment voient-ils le monde des Foires et Salons ? Comme une activité qui a toujours existé et qui fait partie du paysage économique habituel en Europe, comme quelque chose qui est une possibilité de créer une avant-garde dans l’économie européenne, comme un outil des pouvoirs publics ou comme une ouverture entre les pouvoirs publics et le monde des entreprises ? Comment voient-ils cet univers-là en fait ?

Ce n’est pas uniforme. Au sein de la Commission, cela dépend de la place des salons dans le périmètre des actions. Quand il s’agit par exemple de l’internationalisation des PME, l’enjeu est clair. Des projets sont définis avec des financements. Nous avons en ce moment un projet de soutien des start ups qui ont atteint la maturité pour vendre au-delà des frontières européennes. Ces start ups ont déjà grandi en partie dans le cadre de programmes européens et maintenant elles sont prêtes au prochain pas vers l’exportation. Les Foires et Salons sont intégrés dans ce programme. Et nous œuvrons pour démontrer combien nous sommes là pour les aider pratiquement, et contribuer en tant que professionnels au succès des entreprises.

 

Dès qu’on parle d’économie et de soutien aux entreprises, l’administration de l’UE est-elle toujours partante pour inclure des dispositifs de foires et salons dans ses politiques ?

Oui et non, ce n’est pas si tranchée. Il y a aussi beaucoup de changement dans les postes, donc il faut toujours suivre les mutations et prendre contact avec les nouveaux arrivants, voir si les personnes ont déjà un peu d’expériences des foires et salons. Très souvent, nous recommençons à zéro : c’est pour cela que nous avons fait un petit dépliant -accessible sur internet – avec des chiffres-clefs, qui nous sommes, pourquoi nous sommes importants. Il faut souvent répéter les bases. Mais dès que les personnes voient les applications pratiques pour leur activité et leur mission, ils sont parties prenantes.

Fiera Milano (source : Fiera Milano)

Fiera Milano (source : Fiera Milano)

Est-ce qu’ils ont conscience que le continent européen, ou en tout cas l’UE, est le territoire leader mondial des Foires et Salons ?

Oui, mais nous sommes une industrie qui ne se range pas dans une boîte.  Nous réunissons des infrastructures, des écosystèmes avec plein de prestataires. Nous appartenons au monde de la logistique, mais aussi beaucoup au monde du tourisme (avec les retombées de notre activité en termes de voyages et d’hébergement). Et nous sommes aussi une partie de chaque secteur d’activité dans lequel nous organisons une manifestation. Donc où sommes-nous ? A quel domaine d’activité appartenons-nous ? L’avantage de cela est toutefois que nous n’entrons pas dans le périmètre d’un seul département de la Commission, mais de plusieurs, et donc de plusieurs politiques possibles.

Il faut donc passer du temps à expliquer notre activité. En général, nos interlocuteurs sont très ouverts et intéressés. Nous recevons de nombreux soutiens. Il faut toutefois rappeler que les politiques qui vont concerner notre secteur ne sont pas toujours de la compétence de l’UE, mais souvent des Etats-membres.  Donc nous sommes bien appréciés, mais finalement c’est à Berlin, à Paris que tout se décide. Le financement passe par les Etats-membres qui assurent sa redistribution. Donc nous agissons pour obtenir des financements à l’échelle de l’Europe, mais il faut poursuivre notre action au niveau des pays pour que cela soit réellement le cas. Cela rend plus difficile la tâche, et nous nous y attelons.

Est-ce que la crise du Covid et sa brutalité, qui a réduit au silence le monde des foires et salons (et plus largement de l’évènement), ont provoqué une prise de conscience, au niveau de l’administration européenne ou des acteurs européens, de l’importance de l’activité des Foires et Salons en Europe et de la nécessité de travailler ensemble ou plus ensemble ?

« Nous sommes une industrie qui ne se range pas dans une boîte. (…) L’avantage de cela est toutefois que nous n’entrons pas dans le périmètre d’un seul département de la Commission, mais de plusieurs, et donc de plusieurs politiques possibles. »

Oui, nous avons intensifié les échanges. Mais il faut bien insister sur le fait que cela a été possible parce que nous avions ces contacts déjà avant la crise. Cela a rendu plus facile les échanges via les moyens digitaux, par exemple avec un groupe de stakeholders « tourisme et voyage » et la Commission. Plus on se réunit avec des partenaires, plus on nous écoute. Nous avions jusqu’à une rencontre par semaine. Nous avons aussi pu faire parvenir des rapports de synthèse au Commissaire. Nos interlocuteurs européens étaient non seulement très intéressés mais avaient aussi une attitude concernée en cherchant à s’informer de notre situation et en faisant circuler des tableaux d’information auprès de leur hiérarchie. La Commission nous a soutenus, par exemple en intégrant plusieurs recommandations, même si les Etats-membres restent libres de les mettre en œuvre.

Par exemple, au début de la crise, nous avons eu ce débat sur notre différence avec les rassemblements de foule. Un match de football n’est pas un salon. Les politiques ne voulaient prendre aucun risque, surtout au début et avec la deuxième vague : dès qu’il y avait rassemblement de personnes, une interdiction était prononcée. Ils ne voulaient même plus réfléchir sur les distinctions. Il y avait d’autres urgences, des femmes et des hommes malades et qui mourraient. De son côté, la Commission a adopté rapidement, dans ses recommandations, une catégorisation des rassemblements qui permettait de faire la différence, ce qui allait dans le bon sens. Toutefois comme la décision d’ouverture restait sous l’autorité locale, dans la pratique, cela fut d’abord inefficace, En plus, les frontières étaient fermées, c’était difficile de voyager, les règles étaient fragmentées, la situation changeait tout le temps. Nous n’avions donc pas d’horizon. Bien que nous ayons eu de très bons contacts avec les membres du Parlement européen et bien que les problèmes leur étaient bien visibles, en raison du principe de subsidiarité et des décisions qui incombent d’abord aux Etats-membres, notre influence est restée limitée, Notre secteur n’était très clairement pas la priorité. Cela change maintenant grâce aux vaccinations.

Est-ce qu’il y a des acteurs professionnels qui ont des comportements particulièrement européens, des bonnes pratiques d’alliance et de communication qui pourraient servir d’exemple pour les autres ? Des associations nationales, des entreprises comme un gros organisateur qui auraient particulièrement joué la carte de l’Europe dans la crise.

Non, parce que le seul point de référence des acteurs dans la crise, ce sont vraiment les autorités locales, l’administration de leur région et le gouvernement national. Ce dernier peut suivre ou pas l’Europe, mais les acteurs sur le terrain dépendent entièrement de leur région.

Est-ce qu’il y a des acteurs aujourd’hui qui sentent un peu plus que les autres l’importance d’une carte européenne, d’un atout européen.

Oui, tous, ils voient que plus de 60% de la législation vient de l’Europe, qui est transformé en législation nationale, avec un impact sur leur pratique des affaires. De même ils sont bien conscients des politiques sectorielles que l’on retrouve sur les salons. Dans le quotidien, ils reçoivent avec plaisir nos synthèses et nos informations. Nous voulons être le lien entre nos membres sur le terrain et l’Europe, être des interprètes, dans les deux sens. Nous rappelons toujours que quand il y a un élément législatif ou n’importe quelle décision, nous sommes là.

Vous avez évoqué précédemment le thème transversal de la protection des données. Plus généralement, quelles sont les grandes décisions européennes qui ont un impact sur notre activité ?

La protection des données est un domaine dans lequel l’Europe a vraiment pris des décisions valables pour tous. Elles ont un impact fort sur les salons. La protection des données a vraiment été un grand projet. Cela impliquait aussi des adaptations au sein des entreprises de notre secteur : quelles données avons-nous ? Qu’en faisons-nous ? Avons-nous le droit de les utiliser ? Qu’est-ce qu’il faut changer ? Cela a aidé de nombreux acteurs à être plus méthodiques, à évaluer leurs actions. Cela a été un grand travail, une prise de conscience par tous les acteurs de notre secteur.

Il faut aussi mentionner tout ce qui est Commerce, Innovation, Recherche, tout ce qui concerne l’internationalisation surtout des PME et aussi la question de la propriété intellectuelle (IP-Intellectual Property). Sur chacun de ces sujets importants, nous avons des liens récurrents que nous cultivons.

Prenons l’exemple de la propriété intellectuelle. Il y a toujours des entreprises sur les salons qui découvrent leurs produits sur le stand d’un autre exposant, avec pour conséquence la querelle sur la propriété intellectuelle du produit (ce qui les détournent d’ailleurs des relations avec leurs clients). Dans les temps hors crise, nous avons vraiment essayé d’être au service des entreprises sur ces questions de protection de la propriété intellectuelle, de les inciter à enregistrer leur IP avant le salon, de les assurer de notre soutien en cas de conflit. Nous avons offert l’intervention d’experts juridiques et des institutions de propriété intellectuelle au niveau national ou européen pour des séminaires de formation et des stands d’information sur les salons. Et nous sommes partenaires de la Commission dans ce domaine pour la dissémination d’information IP aux entreprises – au niveau stratégique et à celui pratique sur le terrain.

Pour aborder un peu plus le problème de la recherche et de l’innovation. L’Union Européenne avait des ambitions très claires dans l’Economie de la Connaissance en ayant pour objectif d’en être leader (Lisbonne 2000). En même temps cette même Europe a les plus grandes infrastructures et les plus grands acteurs de Foires, Salons et Congrès du monde. Les Foires et Salons ont porté l’innovation pendant des dizaines d’années, et les congrès scientifiques ont contribué à la structuration scientifique. Pourtant il n’y a aucun lien dans les stratégies européennes entre l’ambition dans l’Economie de la Connaissance et les leviers des Foires, Salons et Congrès. Est-ce que je me trompe ?

D’abord, concrètement, une approche existe secteur par secteur, dans ses petites verticalités. Des services de la Commission viennent faire des présentations ou prendre un stand pour faire la promotion des nouveaux programmes de la Recherche et de l’Innovation. Ils font cela sur les salons, soit sur un stand mis à disposition par les organisateurs soit en finançant eux-mêmes ce stand. Cela dépend du secteur. Il est difficile de répondre en termes général, oui ou non.

« Nous ne sommes plus du seul côté de la Connaissance, mais aussi de celui du retour de l’Industrie en Europe. »

Maintenant si nous nous en tenons à la question de l’Economie de la Connaissance et au lien avec la politique industrielle de l’Europe, il faut rappeler qu’à Lisbonne en 2000, il s’agissait d’affirmer, face à la perte des industries qui se délocalisaient en zone moins coûteuse, la propriété intellectuelle et les capacités de développement et d’innovation.  Mais nous avons entretemps compris qu’il fallait garder un équilibre et surtout avec la crise pandémique, face à la simple conséquence de ne pas avoir d’industrie qui peut fabriquer des masques, nous avons vu que la globalisation était allée au-delà du raisonnable pour l’Europe. Donc les nouvelles stratégies industrielles sont là pour rééquilibrer la situation de l’industrie européenne. Nous ne sommes plus du seul côté de la Connaissance, mais aussi de celui du retour de l’Industrie en Europe.

Extrait de la brochure de l’EEIA : Chiffres-clefs de l’impact de l’industrie de l’exposition sur l’économie

Extrait de la brochure de l’EEIA : Chiffres-clefs de l’impact de l’industrie de l’exposition sur l’économie

Pourriez-vous prendre un exemple pour illustrer une intervention de l’Europe sur les salons ?

Je me souviens par exemple du cas du secteur des technologies du textile. Les entreprises participaient à des projets européens de recherche et la dissémination des résultats se faisait sur les salons, sous forme de conférences ou sous forme d’espaces de présentation. Je pense à une innovation, à l’époque, d’un tissu qui pouvait capter l’activité cardiaque : cette innovation avait été réalisée avec l’aide des experts et techniciens du textile et avec des chercheurs du monde de la Santé. Ce projet de Recherche était promu lors des salons, non seulement les salons des technologies du textile, mais aussi lors de congrès médicaux.

Je pense aussi à un autre projet textile dans l’architecture pour la fabrication de toit rétractable notamment dans les stades de football : c’est à la base du textile. Ce projet avait fait appel à des ingénieurs, des architectes, à des ingénieurs textiles. Il était présenté lors du salon combiné avec des visites du stade. Les gens de professions complètement différentes étaient réunis par ce projet. D’autres experts intéressés se déplaçaient en groupe pour les visites sur place.

L’Europe intervient-t-elle ainsi souvent ? Et quels sont les autres secteurs où l’Europe intervient dans les salons pour faire la promotion de ses programmes de Recherche et Innovation ?

Cela existe souvent. Mais il n’est pas toujours spécifié qu’il s’agit d’un projet européen de Recherche. Les projets sont surtout définis à partir du produit, donc il est difficile d’identifier combien d’activités européennes de recherche se retrouvent sur les salons, comme il est aussi difficile de déterminer à quel niveau de maturité commerciale le projet se situe.

Mais nous disons toujours que le saut de la Recherche au Marché se fait sur les foires et salons, que ce soit le début du saut ou son accomplissement. Quand passe-t-on « the valley of death » comme on dit, le moment de décision et la mobilisation des investisseurs et des financiers ? Tout cela peut se clarifier lors des Foires et Salons. Les exemples sont multiples de petits et de grands projets. J’ai cité les technologies du textile mais je pourrai aussi citer l’exemple du secteur de la construction mécanique avec la 5G, l’IoT (Internet of Things), etc. Des nombreux fonds de l’UE, nos impôts, sont utilisés pour soutenir une belle recherche.

Il y aurait peut-être alors une opportunité pour les professionnels des Foires et Salons de savoir expliquer combien des foires et salons peuvent être des lieux de transferts technologiques pour la recherche européenne et des outils de valorisation pour que des industries européennes s’emparent de cette recherche ?

Absolument, mais il faut aussi regarder cela d’un point de vue international. L’Europe a la plus grande offre de salons internationaux leaders dans leur secteur. La plateforme qu’est un salon pour un secteur à l’échelle mondiale peut grandir si les industries-clefs sont en Europe, ce qui peut justifier le déplacement des acheteurs du monde entier. Il faut vraiment utiliser ces plateformes pour mettre en œuvre les nouvelles politiques industrielles qui veulent compenser le déséquilibre industriel qui s’est créé, que cela soit à moyen terme ou à plus long terme avec l’objectif 2050 de la grande transition pour la neutralité carbone, avec la limitation de la hausse de la température à 1,5° C.

Il faut mettre tout en œuvre et nous sommes bien positionnés, non seulement comme un des acteurs, mais plus encore : nous aurons la possibilité, une fois sortis de la crise pandémique, si nous agissons avec intelligence et agilité, d’être un partenaire majeur pour les politiques et les acteurs économiques dans cet effort pour la transition écologique.

Vous dîtes que les foires et salons pourraient être des leviers pour aider l’Europe dans une politique de la transition carbone.

Absolument.

C’est un peu contre-intuitif parce que venir sur un salon c’est dépenser du carbone ?

Vous savez aussi que les rassemblements épargnent un grand nombre d’autres déplacements individuels. Et la solution digitale n’est pas aussi efficace : on ne va pas atteindre le même niveau de réseau, la crise l’a montré. La création de réseau, la sérendipité, l’acquisition de nouveaux clients, cela ne marche pas avec le digital. Le physique reviendra. Le digital restera, mais avec des voyages pour les rencontres.

C’est intéressant, il y aussi dans les réflexions des professionnels sur les salons, l’idée qu’il faut rationaliser le processus de production du salon pour dépenser moins de carbone. Mais en même temps on néglige l’importance que vous évoquez ici dans les Foires et Salons de créer des conditions sociales d’échanges qui permettent de penser la situation. Au-delà des corps qui dépensent du carbone, il y a une sorte d’intelligence entre les individus sur une manifestation qui permet de faire des progrès sur le sujet de la transition écologique.

Absolument.

Est-ce que l’UE est consciente que les salons, par leurs échanges, peuvent être des lieux de production de normes et de valeurs et devenir pour les filières économiques des clefs pour la transition écologique ?

Nous faisons de notre mieux pour que cela soit compris au sein de l’UE. Aujourd’hui, les politiques sont en cours de définition avec des objectifs sur 2030, sur 2050. Maintenant les politiques européennes sont en train de définir les étapes pour arriver dans chaque secteur à cette transition. Et là nous entrons dans le jeu.

L’administration européenne a adopté un processus de cocréation des politiques, avec une organisation meilleure qu’avant. Cette dernière s’institutionnalise et permet à tous les acteurs de donner leurs opinions, de déterminer les objectifs et les manières de les atteindre. Nous pouvons contribuer à cette construction des politiques. Par exemple, parmi les 14 écosystèmes ou secteurs définis par la Commission, nous appartenons, en tant que Foires et Salons, au tourisme, selon la définition de l’OCDE qui inclut les voyages d’affaires et les foires et salons. Comme c’est le secteur qui a été touché le plus fortement, c’est aussi le premier écosystème qui aura ce processus de cocréation des objectifs et de la construction détaillée de la politique de ce secteur. Cela comprend des étapes, des groupes de travail, des consultations publiques.

« Je crois que pour nous qui sommes un peu entre tout le monde et aussi entre le privé et le public - les parcs sont aussi souvent portés par la manne publique-, il est possible de jouer le rôle d’intermédiaire »

On a la chance d’être là autour de la table pour pouvoir dire en quoi nous pouvons contribuer, en quoi nous avons besoin de travailler avec d’autres, quels sont les besoins financiers, les autres types d’aide, pour devenir meilleur ensemble. C’est nouveau, ce n’était pas comme cela avant, cela venait toujours de manière descendante TOP-DOWN, de la hauteur des Etats-membres, et maintenant nous avons un mélange, avec des manières BOTTOM-UP, L’administration de l’UE a appris de la crise la nécessité d’écouter plus. On ne peut pas simplement tenir donner des directives, il faut aussi écouter beaucoup plus, parce qu’il s’agit de femmes et d’hommes qui ont perdu leur vie, leur travail, leur santé physique et psychologique.

L’administration sait que si les gens ne suivent pas, le projet européen est en danger. Il y a aussi un grand enjeu politique derrière et je crois que pour nous qui sommes un peu entre tout le monde et aussi entre le privé et le public - les parcs sont aussi souvent portés par la manne publique-, il est possible de jouer le rôle d’intermédiaire. 

Est-ce que la question de la transition écologique peut être une occasion pour donner plus de place aux organismes de recherche dans les salons ? Est-ce qu’on peut s’en servir comme levier pour inciter le monde la recherche à aller sur les salons ou pour inciter les professionnels organisateurs à aller solliciter le monde de la recherche un peu plus ?

Mais vous dîtes la recherche sur notre secteur ?

Non, la recherche en général, parce que la recherche sur notre secteur elle est tout petite, ce qui compte, c’est d’abord la recherche en général.

Oui absolument et au niveau européen, ils ont réorganisé et créé une unité qui est dédiée à la Recherche et l’Innovation qui s’appelle European Innovation Council[1]. Il regroupe les différentes agences dédiées précédemment sur ce thème. Ils sont en train de tout changer, ils essaient de prendre tout cela en main. C’est le moment. Et nous essayons de créer de bonnes relations avec l’administration sur les sujets concernés.

Est-ce que le Conseil Européen de l’Innovation (EIC) a bien en tête le monde des salons ?

« L’élément décisif maintenant c’est le temps : il faut que cela marche vite et cela peut se faire sur les foires et salons (…) C’est notre argument clef, notre professionnalisme et notre vitesse d’exécution. »

Oui, au point que ses équipes entrent d’ailleurs eux-mêmes sur le terrain de l’évènement. Avec la crise, elles ont commencé à organiser des conférences virtuelles en utilisant des nouveaux acteurs de mise en relations comme Swapcard ou d’autres. Evidemment, nous ne souhaitons pas qu’elles restent là-dessus mais qu’elles reviennent bien au monde physique sur nos sites. Nous allons essayer de leur faire comprendre, en particulier dans le contexte de cette nouvelle approche de cocréation. Il y a une dynamique maintenant. C’est une opportunité qu’il faut bien saisir. Nous avons cet atout de pouvoir assurer le transfert Recherche-Marché. L’élément décisif maintenant c’est le temps : il faut que cela marche vite et cela peut se faire sur les foires et salons. Si l’administration commence à s’en occuper seule, cela va prendre beaucoup plus de temps. C’est notre argument clef, notre professionnalisme et notre vitesse d’exécution.


[1] https://eic.ec.europa.eu/index_en : « The EIC aims to identify and support breakthrough technologies and game changing innovations to create new markets and scale up internationally”

Quelles sont les grandes orientations de l’EMECA et de l’EEIA pour les 5 années à venir, est-ce qu’il y a des grands objectifs déjà formulés ou est-ce, face à la crise, encore trop tôt ?

Il faut rassembler et organiser toutes les positions, nous n’avons pas encore réouvert[1], nous ne sommes pas encore sur la voie de la reprise.

« La perte de chiffre d’affaires en Europe en 2020 par rapport à 2019 -qui était une année record - est de 68% en moyenne. »

En Europe, il y a deux salons majeurs qui ont réouvert et plein de petits évènements pour tester les nouveaux protocoles sanitaires, mais nous ne sommes pas encore ouverts. Cette année (2021 !) peut encore être pire que l’année passée. La perte de chiffre d’affaires en Europe en 2020 par rapport à 2019 -qui était une année record - est de 68% en moyenne, avec donc des pertes supérieures pour certains et inférieures pour d’autres. Si jamais le nouveau départ des contaminations met en danger les salons qui sont planifiés à partir du mois de septembre, on aura une année plus dramatique qu’en 2020. Nous ne sommes pas du tout dans la voie du retour à la normale.

Pourtant nous demeurons tous très positifs, nous avons essayé de planifier, de convaincre les clients et les exposants de venir. Mais nous sommes limités encore à l’Europe : nous n’aurons pas encore les salons comme avant, avec la présence des Chinois et des Américains.  Nous ne sommes plus paralysés, nous faisons des plans pour l’avenir, mais nous n’y sommes pas encore. Tout le monde espère que 2022 sera l’année de la reprise avec le retour notamment des voyages internationaux.

Si on regarde les autres continents, gardons-nous encore en Europe des atouts, ou sommes-nous en train de nous faire dépasser ? Est-ce que la crise redistribue les cartes en faveur de l’Asie et des USA ?

Cela peut arriver si la crise persiste, mais ce n’est pas encore le cas. Ils peuvent, dans ces pays, inaugurer leurs foires et salons, mais cela reste national, même si dire cela pour la Chine a ses limites. Les Européens ne peuvent pas voyager, ils peuvent exposer là-bas via leur filiale en Asie, mais au fond chacun reste chez soi. Aux USA, c’est la même chose, c’est plutôt un marché national, avec un peu d’international avec le Canada et l’Amérique latine. Mais cela reste national et très fragmenté. Tant qu’il n’y a pas de voyages entre l’Asie, l’Europe et les Amériques, l’Europe reste face à un très grand problème. Notre atout était d’être le centre, y compris géographiquement, au milieu pour les voyages internationaux.

« Tant qu’il n’y a pas de voyages entre l’Asie, l’Europe et les Amériques, l’Europe reste face à un très grand problème. »

En France, vous avez deux, trois centres internationaux, mais aussi beaucoup de centres de congrès et d’expositions locaux, de taille moyenne, plutôt avec des évènements régionaux. Ceux-là peuvent recommencer plus tôt. Mais les grands centres, les « phares », sont limités. Espérons donc que cela reprenne avant que cela bascule vers d’autres régions.

Il y a beaucoup d’options sur ce que sera la réalité après la crise. Les discussions sont nombreuses : y aura-t-il des salons aussi grands qu’avant, ou y aura-t-il une multiplication de salons moyens et une suppression des grands centres, nous ne le savons pas encore. L’idée en Europe est évidemment de ne pas perdre de part de marché : nous n’y sommes pas prêts.

Il faut toutefois aussi dire que les Européens profitent encore des salons en Chine parce qu’il y en a pas mal qui sont organisés par les Européens, les Anglais, les Allemands. Il y a quand même du chiffre d’affaires qui revient en Europe, il faut le dire, il faut être honnête.

Parmi les pays européens, l’Italie semble très active pour soutenir le rôle des Foires et Salons dans l’Economie ?

Oui, et dans le cadre de l’Union européenne et du Recovery and Resilience plan[2] et sa déclinaison dans le plan de relance italien, les foires et salons sont clairement mentionnés comme instrument de promotion du « Made in Italy ». Ce n’est pas le cas de tous les pays. Dans d’autres plans, ce n’est pas écrit aussi clairement. On trouve beaucoup de mesures horizontales dont peuvent bénéficier indirectement les foires et salons, mais sans que ceux-ci soient inscrits explicitement.

Les Européens pourraient-ils se dire, à l’instar de ce qui se passe en Italie, qu’il y aurait un « Made in Europe » à promouvoir ?

Ce serait beau, mais je ne le vois pas. Tout cela est complexe. Il y a des agences en Italie, en Allemagne ou en France pour promouvoir la fabrication de chacun des pays, leurs entreprises et pour soutenir les exportations hors Europe. Ses actions sont présentes sur les stands des pays dans les salons. Il y a aussi des projets européens, et quand on met le drapeau européen, cela a un effet et cela attire les gens. Mais encore une fois, la promotion commerciale est de la compétence des Etats-membres qui ne veulent pas que l’UE se mêle de cela, sauf pour les pays qui n’ont pas les structures ou le fond pour le faire. C’est un système complexe de complémentarité et les Etats-membres ne veulent évidemment pas que l’Union européenne change l’échelle de cette compétence. Chacun veut soutenir les industries-clefs de son propre territoire national. Donc, nous essayons de trouver des passages entre les Etats-membres, les besoins financiers et les possibilités d’interventions européenne.

Vous restez toujours très positive. Qu’est-ce qui est le plus important aujourd’hui ?

Nous devons maintenant nous adapter pour affronter au mieux la nouvelle situation et réussir à survivre – il faut vraiment le dire ainsi –. Il faut être créatif et positif. Ce sont des temps de changements. Notre secteur doit être beaucoup plus flexible et avoir beaucoup plus d’imagination, et avoir l’énergie pour stimuler les exposants, les visiteurs, les politiques, pour les rassembler, les faire communiquer et voir ce qu’on peut en faire. Nous sommes là pour cela, le network building, tisser les liens et construire les réseaux, c’est le moment.

Les acteurs des foires et salons sont donc aussi là pour créer un mouvement, une dynamique globale ?

Oui, et on peut être positif, si on regarde au-delà de septembre 2021-janvier 2022. Si on regarde à moyen terme ou au-delà pour le futur de nos enfants. n

 

[1] L‘entretien a été mené en juillet 2021

Tag(s) : #Entretiens, #lescahiers, #LES CAHIERS
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