GRAND ENTRETIEN
Avec Bruno MILLET, Commissaire général du Salon de l’Agriculture de Nouvelle-Aquitaine
Bruno Millet sert la profession agricole depuis plus de 40 ans, bien souvent sur ces lieux forts de l’Agriculture que sont les Salons, les Foires et les Marchés. Il nous offre aujourd’hui un regard sur le Salon de l’Agriculture de Nouvelle-Aquitaine (édition 2022 du 21 au 29 mai 2022 à Bordeaux) définitivement arrimé à une profession qui veut communiquer auprès du grand public, provoquer des débats, aborder sans déni les grands enjeux de la transition écologique et sortir des idées reçues. La réalité est riche et complexe, sans doute est-ce aussi pour cela que les salons sont nécessaires.
Sommaire
- Quelques pas personnels
- L’histoire fiéristique, des marchés aux bestiaux et des agriculteurs innovateurs
- Une brève histoire du Salon de l’Agriculture de Nouvelle-Aquitaine : du XIXème siècle, de la passion des hommes, de l’expression agricole
- Le tournant de la communication
- La fabrique du salon par les visiteurs ?
- La place de la Recherche
Les Cahiers. Vous avez travaillé une partie de votre vie dans le monde des salons et vous êtes en même temps un acteur du monde agricole. Depuis combien de temps travaillez-vous pour le Salon de l’Agriculture de Nouvelle-Aquitaine ? Et en quoi cela a-t-il transformé votre vie ?
En tant que Commissaire général du Salon de l’Agriculture de Nouvelle-Aquitaine, cela fait 4 ou 5 ans, en tant que membre de la direction du salon, cela fait près de 20 ans, mais en tant qu’utilisateur du salon cela remonte à plus loin. Et si on parle du Salon de l’Agriculture de Paris, j’ai commencé en tant qu’étudiant à l’Agro, il y a presque 40 ans.
Je n’étais pas forcément destiné à cet univers-là au départ. Mais j’ai quand même démarré dans une fédération qui s’occupait des marchés aux bestiaux. Et si un marché aux bestiaux n’est pas tout à fait un salon, il en reste proche. Après une petite pause dans un autre domaine, je suis revenu sur Bordeaux à la Chambre régionale, à l’époque d’Aquitaine, qui gérait ce salon de l’agriculture un peu atypique, parce qu’il était adossé à une foire internationale. Et je m’y suis retrouvé un peu comme un poisson dans l’eau. Le salon me correspond : j’aime bien mettre les gens en relation. Et prendre des responsabilités forge aussi une identité. Le salon m’a aussi construit.
J’y avais au départ pour mission de promouvoir le secteur bétail et viande, à la fois la viande dans son utilisation, et l’élevage dans son intérêt pour le territoire, pour l’économie, y compris pour l’environnement. Cela m’a permis de voir ce qu’on m’offrait comme possibilité d’expression. J’ai trouvé que c’était une opportunité d’utiliser cette plateforme et d’y être présent. Un salon, c’est d’abord et avant tout un média qui met en relation des acteurs et qui crée de la résonnance. Cela n’aurait pas d’intérêt autrement.
Les Cahiers – La grande histoire des Foires passe par l’agriculture, les foires et les marchés où l’élevage et les produits de l’agriculture pouvaient s’échanger. Est-ce que vous pourriez nous présenter un peu plus ce monde des marchés aux bestiaux dans lequel vous avez travaillé initialement ?
C’est un univers que je ne connaissais pas bien, avec une image un peu désuète. Quand on pense à un marché aux bestiaux, l’image est floue. Or au contraire, c’est très clair et cela a favorisé énormément l’économie agricole. Aujourd’hui, les marchés aux bestiaux ont beaucoup régressé en termes d’influence et de volume d’animaux échangés. Même s’il faut nuancer le propos.
Je ne veux pas rentrer dans le détail du commerce du bétail, mais il y a deux types de marchés, celui des animaux finis qui vont à l’abattoir et celui des animaux maigres qui vont être engraissés par d’autres éleveurs. Ce marché-là utilise encore pour partie des marchés aux bestiaux parce que c’est à la fois une plateforme logistique d’échange, notamment pour l’exportation, et c’est un lieu d’évaluation de la valeur de l’animal.
Les cotations issues des marchés des bestiaux restent des éléments qui orientent le marché. Si on n’avait pas ça, quel serait l’élément d’appréciation de valeur de l’animal ? Même l’éleveur qui ne va jamais sur un marché utilise cette cotation pour négocier son animal. Si la cotation restait uniquement pour ceux qui sont sur le marché, elle n’aurait pas grand intérêt, sa force est d’être promue à l’extérieur. Globalement, c’est un indicateur très utile.
Et qui sont les marchands aux bestiaux ?
Les marchands de bestiaux, je l’ai découvert, sont souvent critiqués. Ils sont à la fois jalousés et admirés. Ils sont admirés parce que finalement, tous les marchands de bestiaux, au départ, sont des éleveurs qui ont réussis, des gars qui sont sortis de chez eux. Ils sont allés voir ailleurs, et ils ont acquis plus d’information que celui qui est resté dans son coin. Ils sont aussi jalousés, parce que cette information, ils la transforment en valeur ajoutée. Les gens initiés qui ont plus d’information que les autres, ont toujours un coup d’avance. Chez ces commerçants, il y a toujours eu ce côté un peu pionnier, aventurier, « je sors de chez moi et je vais vers l’autre ». Ce sont ces acteurs-là qui ont souvent porté l’innovation. Ils disposaient de cette information sur le marché, mais aussi sur les évolutions techniques, et celles-là ils la partageaient
« (…) tous les marchands de bestiaux, au départ, sont des éleveurs qui ont réussis, des gars qui sont sortis de chez eux. Ils sont allés voir ailleurs, et ils ont acquis plus d’information que celui qui est resté dans son coin. » |
Car les marchés étaient adossés à des univers plus larges que celui du bétail, comme les machines agricoles. Le marché était aussi un lieu d’exposition de l’innovation agricole. Et cela a contribué fortement au développement de l’agriculture qu’on connaît aujourd’hui. Ce n’étaient pas des lieux uniquement marchands. J’ai toujours pensé que ce type de plateformes, de rendez-vous, où on met de la convivialité, de la chaleur humaine, de la rencontre, avec parfois des échanges superficiels mais aussi où l‘on traitait d’affaires sérieuses, ont favorisé le progrès, le partage, et l’alignement sur des pratiques.
Cela existe encore dans certaines grandes foires, la foire de Châlons-en-Champagne par exemple, ou à Cournon, avec le Sommet de l’élevage. Même s’il s’agit avant tout des animaux et de la génétique, l’exposition de matériels est essentielle. L’innovation et tous les fournisseurs de l’élevage sont présents, à la fois pour être mis en avant et pour rencontrer de futurs clients, ou en tout cas, qu’on parle d’eux.
Les Cahiers - De manière générale, le monde agricole se sent-il lié au monde des foires et salons, à part le marché aux bestiaux ?
Historiquement oui, est-ce que c’est en train de disparaître ? Sans doute un peu. L’accès à beaucoup plus d’information et à de nombreux médias rend moins indispensable d’aller le mercredi à la foire d’à côté pour rencontrer les voisins, les copains, boire un coup et apprendre des choses, et faire quelques affaires. Dans des systèmes où il n’y avait pas d’accès facile à l’information, c’était le seul endroit où on pouvait connaître la valeur des choses. L’échelle du temps a modifié le rapport avec ses manifestations. Au début du siècle, il y avait un champ de foire dans chaque petit village, cela veut dire qu’il y avait une foire dans chaque village, certes pas toutes les semaines, des fois une fois par mois, trois fois par an. Le monde agricole du XIXème siècle a vécu à ce rythme-là. Je ne suis pas historien, mais quand j’étais à la fédération des marchés aux bestiaux, on le voyait bien : pourquoi y avait-il des marchés aux bestiaux à tel endroit et pas à tel autre ? La plupart des marchés qui ont continué a existé appartenait à des très vieilles traditions, parfois de plus de 1000 ans.
Comme la Foire des Eyrolles ?
Oui, qui est un exemple assez emblématique. Je pense qu’à ce moment-là, le monde rural est profondément attaché à ce rythme de rencontre. C’est un poumon qui est important pour lui : il échange des marchandises, il récupère de l’information et il passe un bon moment.
« Aujourd’hui, le monde agricole s’est quand même beaucoup restreint en termes d’effectifs. Les agriculteurs ont moins de temps disponible et beaucoup plus d’accès à l’information. » |
Aujourd’hui, le monde agricole s’est quand même beaucoup restreint en termes d’effectifs. Les agriculteurs ont moins de temps disponible et beaucoup plus d’accès à l’information. La mise en marché des animaux passe par d’autres canaux, sauf de façon résiduelle, comme je l’ai dit, de quelques parties comme les bovins destinés à l’engraissement. Donc le recours à la foire est peut-être moins important, pour ce commerce-là.
Mais, si on prend quelques secteurs spécialisés comme le matériel, les agriculteurs aiment bien voir le matériel, le toucher. On n’achète quand même pas un tracteur sur internet. On peut aller voir son concessionnaire, mais là on n’en voit qu’un. Le succès du Sommet de l’élevage de Cournon, ou de Vinitech à Bordeaux, c’est d’avoir réussi à créer, dans une zone où il y a encore une densité importante d’éleveurs, ou de viticulteurs, quelque chose qui va concentrer la plupart des grands fournisseurs de matériels, d’aliments, qui vont être obligés d’être là pour présenter leurs innovations. Là, l’agriculteur va y aller, mais ce ne sont que quelques évènements dans l’année. C’est le cas au niveau français, mais je pense que l’on va retrouver la même chose en Allemagne, en Italie : quelques grandes manifestations pour lesquelles on prend sa voiture, on fait 400 km, 3 heures de routes, on fait cela dans la journée et on a vu ce qu’on voulait voir. C’est très différent du rythme ancien.
Est-ce qu’il y a des agriculteurs aujourd’hui qui ne vont pas dans les salons ?
Oui, sûrement, même si je ne connais pas la proportion. Même si on prend Paris qui n’est plus du tout un salon professionnel mais qui est devenu un salon de présentation de l’agriculture au grand public, Il y a encore des agriculteurs qui y vont, pas forcément pour apprendre quelque chose, mais pour voir comment on parle d’eux.
Si on prend le Salon de l’agriculture à Bordeaux, d’après les quelques enquêtes que nous avons faites, la fréquentation des personnes qui se déclaraient comme rattachées au monde agricole, donc encore plus large que les agriculteurs, avoisinait les 15 000 sur 250 000 visiteurs.
« Cela intéresse l’éleveur sélectionneur parce qu’il peut gagner un prix. Si sa génétique est reconnue par ses pairs comme de haute qualité, cela aura une incidence sur la valorisation de son élevage. » |
Il y a deux types d’agriculteurs très concernés par les foires et les salons : ceux qui vendent en direct leurs produits, notamment dans le cadre de marché des producteurs, et les éleveurs spécialisés en génétique. Pour les premiers, nous avons un espace dédié aux producteurs. Ils viennent vendre leurs produits, rencontrer des clients, expliquer comment ils fonctionnent. Pour les seconds, il y a, durant le salon, des concours d’animaux vivants, qu’il faut juger, comparer. On retrouve ces concours à Bordeaux, avec AQUITANIMA, à Paris, dans d’autres évènements comme les concours nationaux d’une race. Nous accueillerons par exemple cette année le concours national Bazadais. La bazadaise est une petite race en effectifs, mais grande en qualité. Nous avons aussi d’autres races qui viennent en compétition et permettre de sélectionner les meilleurs animaux. Cela intéresse l’éleveur sélectionneur parce qu’il peut gagner un prix. Si sa génétique est reconnue par ses pairs comme de haute qualité, cela aura une incidence sur la valorisation de son élevage.
On va passer un petit temps sur le salon de l’agriculture et son histoire. On réduit souvent les foires et les salons à l’édition qui a eu lieu, mais aujourd’hui, on peut avoir un regard rétrospectif sur le salon. Le Salon de l’Agriculture Nouvelle-Aquitaine existe depuis une quarantaine d’années au moins ?
Il est beaucoup plus ancien. Il y a eu une période de creux, c’est pour cela qu’on parle de 40 ans, mais historiquement, il était très lié à la Foire de Bordeaux (NDR : qui existe depuis 1916). Je ne connais pas exactement l’histoire, Bordeaux était une grande cité et l’agriculture périphérique, au moment de la Foire, venait. De la même manière, au XIXème siècle, il y avait certainement une activité importante de foire agricole. Il faudrait creuser.
D’après ce que je peux comprendre de la mémoire des gens, il y a eu une espèce de perte de vitesse progressive, notamment à l’issue de la deuxième guerre mondiale. Il y avait aussi une exposition importante de matériel agricole. J’en ai entendu parler, certains disaient d’ailleurs « ah, il faudrait qu’on remette du matériel agricole à Bordeaux comme dans le temps ». Le salon avait perdu ses exposants historiques de matériel, or ce sont des gens qui avaient des moyens. Ils ont trouvé d’autres places et il faut aussi dire que l’agriculture régionale s’est spécialisée sur la viticulture ce qui a modifié l’offre potentielle. D’ailleurs cela a donné lieu à la naissance d’un salon professionnel spécialisé sur le matériel viticole, qui est devenu ensuite Vinitech.
Et dans les années 80, sous l’impulsion d’un homme, Jean-Louis Breteau, qui dirigeait l’établissement régional qui sera ensuite remplacé par la Chambre Régionale d’Agriculture, et grâce à l’appui de ce qui sera plus tard la Région, il y a eu la volonté de reconstruire un Salon de l’Agriculture régionale.
On était déjà au parc des expositions de Bordeaux ?
Oui, mais c’est vrai, la foire avant 1969 était Place des Quinconces. D’ailleurs on se repose la question parfois de savoir si on ne devrait pas revenir aux Quinconces.
La particularité sur Bordeaux est qu’il y a eu sous l’impulsion d’un homme, la constitution d’une petite équipe de gens passionnés qui ont contribué à la renaissance du salon, notamment autour d’AQUITANIMA.
Issue du monde agricole ?
Oui, le salon renaît, la Région accompagne ce mouvement, avec quelques personnalités. Toutefois les institutions agricoles ne sont pas encore très proches de la manifestation. Une petite incompréhension apparaissait sur les ambitions du salon à l’égard du grand public : était-ce utile ? Et puis les institutions agricoles, à l’exception de la Chambre régionale d’agriculture, étaient peu présentes dans la gouvernance.
Comment s’est renforcé le lien avec le monde agricole ?
Vers le début les années 1990, un peu avant, est arrivé le concours de bovins, AQUITANIMA. Il y avait eu une première tentative à Agen, qui avait échoué. Et l’idée fut de le rapatrier sur Bordeaux et de tenter le coup de son installation dans le salon. Ce concours pouvait paraître étrange quand on regarde la géographie : que vient faire un concours de bovins à Bordeaux ? Les bovins n’y sont pas, ils sont dans les départements ruraux. Ce sera la force de cette manifestation d’avoir su attirer, parce qu’elle était située à Bordeaux, AQUITANIMA. Et si on regarde aujourd’hui, nous sommes désormais dans une région d’élevage. La Nouvelle-Aquitaine, est grande, et les gens ne le savent pas, mais elle est la première région en troupeaux allaitants, troupeaux des vaches qui ne sont pas traites, qui allaitent leurs petits.
« Et dans les années 80, sous l’impulsion d’un homme, Jean-Louis Breteau, qui dirigeait l’établissement régional qui sera ensuite remplacé par la Chambre Régionale d’Agriculture, et grâce à l’appui de ce qui sera plus tard la Région, il y a eu la volonté de reconstruire un Salon de l’Agriculture régionale. » |
Le concours de bovins en génétique se fond donc avec le Salon de l’agriculture. Il y avait d’ailleurs une difficulté sur le calendrier : le concours durait 3 jours et le salon lui durait 9 ou 10 jours, pendant toute la foire. Une grande place était accordée à la commercialisation des produits, avec notamment un pavillon des produits, construit spécifiquement, et des tonnelles étaient destinées aux animaux. Un petit peu de matériels était présent avec quelques exposants. C’est à cette époque que je découvre le salon d’abord en tant qu’exposant.
Le salon était un grand moment festif, les visiteurs étaient heureux, mais il fallait aussi que le monde professionnel se l’approprie complètement pour en faire son lieu de communication. Cela me paraissait important.
A partir des années 2000 – là je deviens un des chevilles ouvrières du dispositif - la Chambre régionale qui représente l’ensemble des agricultures régionales s’implique un peu plus et y consacre des ressources. Elle s’implique beaucoup plus : Le Président de la Chambre régionale, Dominique Graciet, est président du salon et il partage cette même vision des choses.
« Aujourd’hui le salon est bien un outil de la communication agricole, ce qui n’était pas encore le cas quand il renaissait de ses cendres. » |
Aujourd’hui le salon est bien un outil de la communication agricole, ce qui n’était pas encore le cas quand il renaissait de ses cendres. A l’époque, il faut dire aussi, qu’on ne parlait pas de communication de l’agriculture et encore moins qu’il fallait s’adresser au public. Aujourd’hui ce n’est plus le cas, on se rend compte qu’on n’a pas parlé assez. On s’est laissé déborder par des discours que nous n’avons pas accompagnés. Ils nous ont remis en cause sans que nous ayons pu préparer l’opinion à penser que ce n’était pas aussi caricatural.
Quels sont les partenaires qui ont accompagné la filière dans la manifestation ?
C’est un point important : cette transformation d’un salon porté à bout de bras par des volontés, des personnalités, vers un relais professionnel plus affirmé, a nécessité un investissement des acteurs de l’agriculture et aussi un engagement constant et déterminant de la Région. Mais la bataille des budgets reste encore difficile.
Les principaux financeurs aujourd’hui sont la Région Nouvelle-Aquitaine, la Chambre régionale d’Agriculture de Nouvelle-Aquitaine et puis après un certain nombre de partenaires de l’institution agricole. Et il faut aussi compter parmi les acteurs importants la Foire internationale et à travers elle, Congrès et Expositions de Bordeaux. Le rôle de ce dernier est essentiel en termes de structuration et d’investissement. Je pense notamment au dernier Hall 4 (projet défini avec la SBEPEC, la Société Bordelaise des Equipements Publics d’Expositions et de Congrès) construit au début des années 2000. Il a permis de stabiliser la manifestation. C’est un équipement structurant dont les utilisateurs du bâtiment disent qu’il est très fonctionnel, très adapté, climatisé naturellement et que les animaux y sont bien. C’est important. Peut-être que sans cela certains auraient dit : « mais pourquoi on va à Bordeaux ? ».
Un des tournants du Salon de l’Agriculture a donc été de prendre conscience de la nécessité de parler auprès du public ?
Oui, un de nos derniers slogans, quand on a mis en place des débats, était « parlons agriculture ». Tout une série d’actions visaient à s’adresser le plus possible au public et à donner la parole aux interprofessions. Ce sont elles qui représentent les filières de production. Les trois interprofessions les plus fortes présentes sur le salon sont celles du lait, de la viande et celle des fruits et légumes.
Est-ce qu’il faut un salon pour que l’Agriculture puisse s’exprimer ?
Notre ambition sur le Salon de l’agriculture de Nouvelle-Aquitaine est bien de montrer en quoi l’Agriculture a pris en compte et prend en compte les grands défis de notre société : défi climatique, défi alimentaire, défi de la fertilité des sols.
« Notre ambition sur le Salon de l’agriculture de Nouvelle-Aquitaine est bien de montrer en quoi l’Agriculture a pris en compte et prend en compte les grands défis de notre société : défi climatique, défi alimentaire, défi de la fertilité des sols. » |
Tout cela est bien dans la tête de l’Agriculture d’aujourd’hui et notamment en Nouvelle-Aquitaine parce que nous avons une politique régionale qui s’est mise en place avec la profession pour apporter les moyens d’accompagner cette transition. Alors évidemment cela ne se fait pas d’un claquement de doigts. Et ce qui nous mobilise encore plus pour défendre cette manifestation, c’est que si nous, nous ne parlons pas de ce que nous faisons, personne n’en parlera en bien.
Je pense que l’Agriculture aujourd’hui a vraiment besoin de communiquer, d’expliquer ce qu’elle est au quotidien et de sortir des idées reçues ou dominantes qui sont souvent caricaturales et déformantes, qui ne sont pas tout à fait conformes à la réalité. Le Salon a cette vocation-là de dire que les agriculteurs sont ce qu’ils sont, de dire au grand public de venir les rencontrer, qu’ils sont prêts à parler de leur réalité, de leur quotidien, des actions aussi qu’ils conduisent pour rentrer dans ce monde en transition.
Globalement, les médias, je ne leur reproche pas, c’est sans doute leur métier, mettent plus en avant les trains qui déraillent que les trains qui arrivent à l’heure, et nous, nous essayons de faire arriver les trains à l’heure. Parler des trains qui déraillent a un double effet négatif. D’une part, les agriculteurs qui font des efforts se disent que, malgré eux, on continue de dire du mal de la profession. Or ce n’est pas ce que vit l’agriculteur dans sa réalité. Si nous prenons notamment l’exemple des agriculteurs qui s’installent : ils ont reçu des formations, des sensibilisations et ils font évoluer les pratiques. D’autre part vis-à-vis de la société, cela renvoie une mauvaise image qui va dans le sens des extrémistes et des polémistes qui considèrent que rien ne va jamais et que tout est à jeter. C’est contraire à cet effort collectif qui est en route aujourd’hui.
Le salon a donc vraiment pour vocation d’être un média vis-à-vis de la société, d’ouverture pour dire que, certes, tout n’est pas parfait, tout ne va peut-être pas assez vite, mais tout avance, notamment dans la tête des agriculteurs.
« Si cela ne l’intéresse pas, il s’en ira, mais si cela l’intéresse, il deviendra un ambassadeur. Il comprendra la complexité du vivant. Les choses ne changent pas comme cela si vite, par contre nous travaillons bien sur le sujet. » |
Si je reviens à des foires plus professionnelles comme celle de Châlons-en-Champagne, l’innovation au service de la transition écologique est très présente. Le grand public n’y est pas toujours invité, c’est dommage. Il n’y a rien à cacher, au contraire, il faut s’ouvrir au public. Et là j’en viens à l’hybridation du salon avec le digital ; c’est certainement une vraie opportunité pour au public : nous organisons la prise de parole, nous sommes prêts à échanger sur tous les sujets, y compris les plus techniques et vous êtes les bienvenus. On ne pouvait matériellement pas le faire en physique, mais en les diffusant sur le web tout change. Il n’y a pas de raison d’interdire à un quidam d’assister à un débat sur le stockage du carbone dans les sols. Cela peut être très technique. Si cela ne l’intéresse pas, il s’en ira, mais si cela l’intéresse, il deviendra un ambassadeur. Il comprendra la complexité du vivant. Les choses ne changent pas comme cela si vite, par contre nous travaillons bien sur le sujet.
Si le salon a pour fonction majeure la communication de la filière agricole de Nouvelle-Aquitaine, comment faites-vous, alors que le salon est implanté à Bordeaux, pour toucher tout le territoire ? Tout le monde ne vient pas au Salon pendant la Foire (NDR : qui a lieu chaque année autour de l’Ascension) ?
Nous avons créé, au-delà du salon, d’autres outils de communication. Nous avons édité notre propre magazine annuel de manière à pouvoir expliquer la manifestation notamment à ceux, y compris du monde agricole, qui ne venaient pas. Et nous avons aussi lancé, il y a trois ans, notre propre chaîne de télévision web : AGRIWEB TV. AGRIWEB TV est dédiée complètement à l’agriculture régionale. Elle s’appuie principalement sur le salon, mais pas uniquement. L’idée portée par notre conseil d’administration était que le salon sorte de son enveloppe bordelaise. Autant le professionnel est prêt à faire 400 km dans la journée pour aller à Cournon, autant, nous le savons très bien, l’habitant de Guéret ne va pas venir au salon, même s’il est couplé avec la Foire internationale de Bordeaux. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas qui le font, mais ils sont peu nombreux.
« Et nous avons aussi lancé, il y a trois ans, notre propre chaîne de télévision web : AGRIWEB TV. » |
Si nous voulons lui raconter une histoire de l’agriculture qui le concerne parce qu’il est en Nouvelle-Aquitaine, il faut que l’on trouve un moyen de le toucher : on peut lui proposer de la virtualité, mais la virtualité a ses limites. Cela fonctionne quand les gens n’ont rien d’autre à faire et quand c’est nouveau, mais dès qu’il y a saturation et moins de temps, ce n’est plus pareil. En revanche, l’idée est de prendre des initiatives sur le territoire, de s’appuyer sur un lycée agricole, sur des exploitations qui sont en résonnance avec ce qui se passe à Bordeaux, et qui viennent témoigner de ce qui se passe sur le territoire, pour se rapprocher d’un public qu’on ne touchera pas sur Bordeaux. Décentralisation, hybridation, ce sont les deux mots forts de notre évolution, qui se nourrissent de notre histoire.
Dans chaque grande région agricole existent des salons, le SPACE en Bretagne, Le Sommet de l’Elevage à Cournon en Auvergne, les deux grands salons à Paris, dont le salon de l’agriculture, mais qui est plus une vitrine, à Paris. A Bordeaux, le salon de l’agriculture a accompagné plus d’un siècle d’agriculture, est-ce qu’il n’avait pas été là, la situation aurait été différente pour les agriculteurs de Nouvelle-Aquitaine ?
C’est une question difficile, ne serait-ce que parce que l’histoire même de l’agriculture, comme je l’évoquais à propos des marchés aux bestiaux, est faite aussi des foires et marchés. La question est plus à poser en termes de niveau d’appropriation du salon par les agriculteurs eux-mêmes. Là, c’est en train de changer. Nous sommes à un tournant de communication. La profession se dit qu’il faut qu’elle communique. Nous sommes porteurs d’information autour de la transition agricole, à la fois à l’adresse des agriculteurs, qui se disent finalement « oui, je ne m’y suis pas trop intéressé, mais il va falloir que j’y regarde », et aussi pour ceux d’entre eux qui sont dedans et qui sont peut-être reconnaissants qu’on les accompagne, que puisse se dire et se faire savoir qu’il y a des choses qui se mettent en œuvre.
Mes maîtres-mots sont qu’il faut d’abord que la profession agricole s’approprie cette manifestation, c’est la sienne.
Ce n’est pas le salon seul qui va faire que l’agriculteur va demain se convertir au bio, faire de l’agroécologie, etc…mais il montre en tout cas que nous l’accompagnons, que nous avons un discours qui va dans ce sens-là de la transition, un discours de réalité, de pragmatisme, et non pas « y a qu’à faut qu’on ».
Et pour le grand public, combien est-il important selon vous ?
Tout ce qu’a à raconter un salon comme le nôtre dépasse le salon : en gros l’agriculture intéresse le citoyen. Elle peut l’intéresser parce qu’il est inquiet, qu’il pense qu’elle ne va pas bien et que ce qu’elle fait n’est pas bien. C’est légitime parce qu’il mange trois fois par jour, parce que, quand il sort de la ville, il voit un paysage entretenu par des agriculteurs, parce qu’il entend parler de pollution. Il a plein d’interrogations.
Nous avons de la chance, il y a des sujets qui n’intéressent pas. En revanche, notre sujet est méconnu : on a plein d’idées fausses sur le monde agricole,
Et puis ce sont aussi ses choix à lui, de consommateur, qui feront évoluer effectivement l’agriculture vers celle qu’il souhaiterait avoir. Là aussi il faut faire le lien : si je continue à donner des nuggets de poulet à mes enfants, je peux continuer à pester contre la déforestation en Amazonie, mais c’est très lié. Peut-être qu’il faut que je mange un peu moins de poulet, mais du très bon poulet, élevé en liberté, nourri avec du soja produit sur la région, ça ou d’autres légumineuses. Peut-être que je le paierai un peu plus cher, j’en mangerai un peu moins, ce sera mieux pour ma santé, ce sera mieux pour l’environnement. C’est un choix de consommateur et cela, il faut qu’on le fasse partager.
« Et puis ce sont aussi ses choix à lui, de consommateur, qui feront évoluer effectivement l’agriculture vers celle qu’il souhaiterait avoir. (…) si je continue à donner des nuggets de poulet à mes enfants, je peux continuer à pester contre la déforestation en Amazonie, mais c’est très lié. » |
Peut-on dire que les visiteurs du salon participent à sa construction, ou cela fait-il partie de votre réflexion : comment faire que les gens fabriquent un peu le salon pour que cela soit le leur ?
C’est une bonne question, c’est toujours compliqué. Nous avons pu essayer parfois des petits sondages, outre les enquêtes menées par les organisateurs de la Foire. L’agriculture est un facteur important de venue à la foire, notamment les animaux. Mais une fois qu’on a dit cela, on ne va pas très loin. S’il suffit de montrer trois vaches pour que les gens viennent, et parfois malheureusement ce n’est que cela, que faire de notre ambition d’expliquer comment fonctionne l’élevage, etc. ? Nous sommes toujours en train de nous interroger.
« Un joli stand avec quelques beaux panneaux d’information, cela ne fonctionne plus. On ne va pas s’arrêter devant un panneau, le lire. L’idée est de faire des choses très simples, avec de l’animation. L’animation, c’est quoi ? C’est un animateur, du jeu, les enfants d’abord (…) » |
Au fond, nous sommes des metteurs en scène, nous créons un spectacle qui va durer 9 jours, dans lequel nous allons écouter ce que nous disent les scénaristes, ce qu’ils veulent délivrer comme message, et de rendre les choses attractives, compréhensibles. Et quand le visiteur repart, nous souhaitons il reparte avec un message positif, des réponses à ses questions., c’est cela notre ambition.
Le visiteur n’est pas forcément co-constructeur. Mais notre réflexion nous amène à dire qu’aujourd’hui il y a tellement de sollicitations partout et d’informations disponibles, qu’il faut quelque chose de dynamique qui repose essentiellement sur l’animation pour retenir l’attention : un joli stand avec quelques beaux panneaux d’information, cela ne fonctionne plus. On ne va pas s’arrêter devant un panneau, le lire. L’idée est de faire des choses très simples, avec de l’animation. L’animation, c’est quoi ? C’est un animateur, du jeu, les enfants d’abord, qu’on capte, parce que les enfants sont des très bons capteurs de message et des transmetteurs auprès de leurs parents. Nous allons beaucoup jouer là-dessus. Ce n’est pas de la co-construction parce qu’on n’a pas demandé au public ce qu’il voulait, mais on se dit que si on veut le retenir, y compris celui qui n’est venu que pour les animaux, c’est en créant une animation. Alors il va se rendre compte qu’il avait des idées reçues et il va retenir quelques messages simples.
Et ce que nous souhaitons, c’est aussi de porter des messages qui soient scientifiquement certifiés. Nous ne cherchons pas à raconter des bobards. C’est aussi ce que nous demandons à nos partenaires. Nous voulons tenir un discours authentique et ne pas être dans le déni, qui dit que tout va bien. Oui, quand on utilise un pesticide il peut y avoir un impact négatif, mais voilà pourquoi on l’utilise. Je ne vais pas me faire l’avocat du glyphosate, mais le glyphosate, c’est une molécule qui a été sacrifiée sur une onde politique, qui a des inconvénients comme toute molécule, mais qui a aussi des avantages, y compris d’économiser le gasoil pour les personnes qui ne labourent pas, de garder les sols vivants. Cela n’a pas été expliqué, alors, soit, on ne va plus l’utiliser, mais cela peut avoir un impact négatif de l’autre côté. Rien n’est simple dans l’agriculture, et c’est ce qu’on veut faire comprendre, faire toucher du doigt la complexité.
C’est un bon message, rien n’est simple, on veut faire voir la complexité….
Oui, mais par rapport à nos contradicteurs, nous ne sommes pas rassurants. Nos contradicteurs disent que ce que nous faisons n’est pas bien et qu’il faut faire autrement, souvent de manière péremptoire. Nous disons que ce n’est ni blanc ni noir, ce sont toujours des balances, avantages et inconvénients de tel ou tel choix. Ou alors il faut revenir à la chasse et à la pêche, c’est possible, mais tout le monde ne pourra pas manger.
A propos du statut du discours qui est tenu et de sa vérité, quelle est la place de la recherche dans ce salon ?
« Et ce que nous souhaitons, c’est aussi de porter des messages qui soient scientifiquement certifiés. (…) Nous voulons tenir un discours authentique et ne pas être dans le déni, qui dit que tout va bien. » |
Elle est insuffisante, parce que la recherche a peu de moyen de communication. Nous organisons quand même des débats, nous y associons l’INRAE. Nous sommes en train de créer, sur AGRIWEB TV, une nouvelle série « Science agriweb » dans laquelle les chercheurs vont intervenir. Mais ils ne sont pas présents physiquement sur le salon, Mais, quand l’interprofession bétail et viande parle du carbone, elle s’appuie sur des travaux scientifiques. Par exemple, les vaches rejettent bien du carbone, mais il faut regarder la globalité du système et les prairies permanentes en stockent aussi beaucoup, le bilan est certes négatif en défaveur des vaches, mais il n’est pas si défavorable que cela, et nous avons des moyens de le mesurer. C’est vrai qu’à terme nous pourrions envisager avec l’INRAE d’aller un peu plus loin, mais aujourd’hui les moyens manquent et il faut aussi être présent, et donc du temps de présence et de préparation.
Est-ce que la question de la mutation écologique ne nécessitera pas une présence plus forte des scientifiques ?
Si, sans doute, c’est à nous de trouver les moyens. Il faut aller un peu plus loin, c’est vrai que pour l’instant on n’a pas reposé la question de manière frontale. Nous l’avions posée par le passé avec l’espoir d’avoir des « scientific stands », mais je crois plus à une évolution du salon vers des pôles thématiques, dans lesquels les acteurs viennent s’exprimer et s’appuient sur des animations. Un chercheur participe à des débats, par exemple sur AGRIWEB TV, plus besoin de se tenir sur un stand pendant toute la durée du salon.
La défense de la recherche en agriculture par le salon de l’agriculture ne peut-elle pas devenir peu à peu une priorité ? Bruno LATOUR dans son récent Mémo sur l’émergence d’une classe écologique, dit, avec son co-auteur Nicolas SCHULTZ, qu’il faut qu’il y ait une classe écologique comme il y a eu une classe bourgeoise, qui puisse construire son hégémonie culturelle, son enthousiasme, sinon elle ne se passera pas. Et parmi les différents points qu’il aborde, il dit qu’il faut à un moment donné qu’il y ait une capacité d’enquête, de description des situations, qui passe notamment par la recherche. Et il dit que la recherche aujourd’hui est saccagée. Donc il y a déjà un enjeu à défendre la recherche. C’est en tout cas la réponse qu’on peut lui donner : une partie du travail que peut faire un salon, c’est de défendre les positions de la recherche et de promouvoir l’idée que ce n’est pas 2% du PIB, mais 3% du PIB qui doit être dévolu à la recherche, voire peut-être 4% comme en Israël. Et comme la question de la mutation écologique passe par les éléments de preuves et de constats par les scientifiques et que l’intégration des problèmes des gens, y compris des agricultrices et des agriculteurs, et des situations X ou Y exigent de faire de l’enquête, il faut donner des moyens à la recherche et défendre le fait qu’elle ait des moyens.
une piste que nous n’avons pas ouverte aujourd’hui, mais qui me paraît pertinente. Aujourd’hui, nous sommes persuadés que l’Agriculture a plus que jamais besoin d’une recherche publique et performante. Si je prends l’exemple des OGM, c’est une catastrophe. Ce n’est jamais qu’une technologie bien utilisée ou mal utilisée. Les OGM ont été massacrés en France alors qu’ils étaient pilotés par la recherche publique, par l’INRA à l’époque. Et l’erreur faite a été de parler des OGM avant tout à partir des OGM de soja produits par Monsanto qui résistaient au Round up, Or ce n’est pas un bon usage de l’OGM. Et à ce motif-là, on a considéré que les OGM, c’était jouer avec le diable. Quand on a saccagé des pieds de vigne qui avait vingt ans d’existence à Strasbourg avec des faucheurs volontaires, et bien on a signé l’arrêt de mort de la recherche publique sur les OGM en France, et cela est un scandale. Je ne dis pas que les OGM constituent la bonne sortie, mais aujourd’hui on sait que c’est par la recherche variétale, la sélection végétale, que l’on trouvera des solutions pour répondre aux problèmes de la sécheresse, de la salinité des sols, etc. et qu’on accélérera cette sélection végétale. Aujourd’hui on a des techniques pour aller plus vite, c’est dommage de s’en priver, en revanche, il faut sélectionner les bonnes solutions, et cela devrait être aux mains de la recherche publique plus enjointe à prendre en compte l’intérêt commun et le long terme.
« Il faudrait une recherche européenne sur ces questions-là et surtout une posture sur le brevetage du vivant. Aujourd’hui on est en train de confier à des grandes firmes multinationales les semences de demain. » |
Et l’enjeu est fondamental ; d’ailleurs si Bayer a racheté Monsanto, c’est, malgré son image négative, parce que Monsanto a un coup d’avance en recherche. Ils savent que moins de molécules chimiques, seront vendues, et donc il faut sélectionner des plantes qui pourront se passer de molécules. Cela pose la question du brevetage du vivant et cela aurait dû (pu) être aux mains de la recherche publique.
Est-ce que ce ne sont pas débats comme celui-là qui devraient être aussi sur le salon ?
Si, mais c’est un combat malheureusement mal engagé. L’Europe aurait dû être beaucoup plus dynamique. Il faudrait une recherche européenne sur ces questions-là et surtout une posture sur le brevetage du vivant. Aujourd’hui on est en train de confier à des grandes firmes multinationales les semences de demain. Les faucheurs volontaires, ce n’était sans doute pas leur intention, les y ont aidé ! Globalement on a abandonné la recherche semencière publique. C’est dramatique.
C’est important, parce que c’est peut-être là que l’on rentre dans le cœur du sujet d’un salon. Je reprends LATOUR dans un autre livre sorti début 2021, « Où suis-je ? », il dit qu’il y a le monde où je vis et le monde dont je vis, et si je veux résoudre le problème du nouveau régime climatique, il faut que je fasse la description des liens avec ce dont je vis, et pour cela il faut pouvoir discuter notamment avec un agriculteur qui fait aussi la liste de ses dépendances. Et donc à un moment donné, il dit « donnons-nous rendez-vous. » Un salon peut devenir un lieu où on fait la description des liens que l’on a et où on voit où ça pêche ou où ça ne pêche pas. Et si on ne fait pas cette rencontre pour décider finalement tous les liens que l’on a, on n’y arrivera pas. Un salon, c’est ce lieu de rendez-vous où l’on va avoir une sorte de zone particulière où l’on va pouvoir commencer à travailler sur la description de nos liens, qui sont nos amis, qui sont nos ennemis, pourquoi finalement on peut être relié à quelqu’un alors qu’on n’appartient pas aux mêmes mondes, mais on a des points communs, ou l’inverse, un travail où il faut se rencontrer…
Ce qu’on fait, très modestement, sans forcément conceptualiser, c’est bien de faire se rencontrer des agriculteurs ou des représentants et des citoyens. Les visiteurs ne sont d’ailleurs pas dans cette attitude que vous décrivez, c’est pour cela que nous devons les capter aussi avec des choses ludiques, parce que ce ne sont pas eux qui vont aller voir spontanément un agriculteur pour faire des descriptions. Seuls certains, mais ils sont rares, veulent comprendre la complexité, par exemple pourquoi un agriculteur fait du bio ou pas.
J’ai une formule : au-delà de la compréhension du monde dans lequel on est, finalement « mieux se connaître, c’est éviter le conflits ». C’est tout bête et c’est tout le problème des réseaux sociaux finalement qui ne sont pas sociaux du tout, qui sont asociaux, puisqu’on ne côtoie que les gens avec qui on se reconnaît. Quand j’allais au café du commerce le jour de la foire, j’avais peut-être un voisin qui ne me revenait pas, mais j’allais causer avec lui et peut-être que cette rencontre impromptue, incongrue, ferait germer quelque chose. La foire et le salon quand tous les gens sont à table et qu’ils ne se connaissent pas, cela peut créer de la congruence, ce que vous ne créerez pas en virtuel. ¢
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Les Cahiers Recherche et Innovation, Foires, Salons, Congrès, N°8, Mai 2022 - nundinotopia.com