Jean-Louis GAULIN

GRAND ENTRETIEN

Avec Jean-Louis GAULIN

Historien, Professeur à Université Lyon 2 et membre de UMR 5648 CIHAM, Histoire, Archéologie, Littératures des mondes chrétiens et musulmans médiévaux, CNRS | UNIVERSITÉ LYON 2 | EHESS | ENS DE LYON | AVIGNON UNIVERSITÉ | UNIVERSITÉ LYON 3. Monsieur GAULIN est co-porteur du projet CoMOR (Configurations of European Fairs. Merchants, Objects, Routes [1350-1600]) sur les foires européennes (ANR-DFG).

Sommaire de l’entretien

  • Une équipe de chercheurs
  • Cartes et data
  • Routes
  • L’histoire de l’histoire des foires
  • La configuration européenne des Foires 
  • Les chiffres de fréquentation et les m² ?
  • Les professionnels des Foires des temps passés
  • Temps des foires et salons, rencontres « en présence », pandémie et vitesse numérique
  • Bibliographie

L’occasion devait être saisie. En pleine pandémie, et alors que le leadership européen dans le secteur des foires et salons se trouve fragilisé, des chercheurs européens se penchent le plus sérieusement du monde sur les foires européennes. C’est le projet CoMOR, Configurations des foires européennes. Marchands, objets, itinéraires (v.1350-V.1600). Un des deux porteurs du projet, historien et professeur à l’Université de Lyon 2, Jean-Louis Gaulin a accepté de répondre aux questions des Cahiers. La recherche est là un travail de femmes et d’hommes, qui vont s’engager pour produire des connaissances nouvelles, vraiment nouvelles. Jean-Louis Gaulin nous en parle et nous explique combien cette nouveauté repose sur la production d’un Système d’Information Géographique (SIG). Or ces résultats peuvent être de la plus vive importance y compris pour les professionnels d’aujourd’hui, parce que ce système donne une vision des Foires et Salons en réseau, et non plus comme des points isolés par territoire. N’est-ce pas décisif quand on s’inquiète des croissances du digital de rappeler ou de se mettre à penser les Foires et Salons comme constituants d’une vaste toile ou de multiples toiles ? Aujourd’hui les foires reviennent dans les recherches historiques après quelques silences. Jean-Louis Gaulin nous permet de discerner dans les grandes lignes l’histoire de l’histoire des Foires. Et aujourd’hui ce retour dans l’histoire se fait avec les habits de l’Europe. Or là encore, voilà une piste que les professionnels pourraient ruminer, éclatés dans leur pays et leur région souvent, quand l’émergence du pays-continent Chine devrait inviter à penser les puissances des Foires et Salons à l’échelle de l’Europe. L’histoire n’appartient pas au passé et les foires et salons qui scandent leur existence d’année en année savent bien que le temps n’est pas une ligne droite. La Recherche est aussi bien pour demain que pour MAINTENANT. Jean-Louis Gaulin nous donne des éléments concrets sur les fréquentations, les surfaces, les professionnels des temps passés. C’est une manière aussi de donner quelques communautés d’analyse avec les professionnels d’aujourd’hui. Il nous dit surtout que l’histoire des Foires, avec souvent la répétition d’un discours récurrent sur la fin des foires qui durent finalement depuis plusieurs siècles, est faite par les vies et les batailles de personnes de chair et d’os, et leur incertitude. Rien n’est donc certain de ce qui va arriver. Les devins peuvent avoir tort. Le projet CoMOR peut être un véritable pont entre les chercheurs et les professionnels des Foires et Salons. Il est prévu, d’une part, que le SIG soit accessible à tous (donc aussi aux professionnels) et, d’autre part, qu’un dispositif de médiation, une exposition, présente les résultats aux publics. Sur un salon donc ? Sur une foire ? A Lyon ? A Leipzig ? A Milan ? Les Marchands hier se déplaçaient de foire en foire malgré des routes difficiles et longues. Ils semblent aujourd’hui que les entreprises le font encore malgré des routes, au contraire, très rapides et des communications à la vitesse de la lumière. Quelque chose tient les hommes à se voir « en présence », quelque chose qui a à voir avec le temps et l’espace qu’ils construisent.   

Lien internet : Configurations des foires européennes. Marchands, objets, itinéraires (v. 1350 – v. 1600) | ANR.

Lien du laboratoire CIHAM : http://ciham.msh-lse.fr/ 

Les Cahiers - Vous coordonnez une équipe franco-allemande sur une étude historique des changements spatio-temporels du système des foires européennes de la fin du Moyen Âge au début de l’époque moderne. Pourriez-vous nous présenter cette équipe de Recherche, ses expertises et ses disciplines ? Les chercheurs impliqués sont-ils tous des historiens ?

Effectivement, les dix membres de l’équipe franco-allemande sont tous des historiens, les Français sont plutôt spécialistes de la fin du Moyen Âge, les Allemands sont plutôt spécialistes du XVIe et XVIIe siècle. Ils s’engagent, dans le projet, à contribuer à la recherche à partir de leurs compétences scientifiques. Mais il faut aussi intégrer dix autres personnes qui sont partenaires, cinq pour chacun des pays. Il s’agit d’experts sollicités sur des points particuliers pour apporter leur éclairage, mais sans que l’on attende d’eux la production d’une recherche spécifique et nouvelle. Ils appartiennent à des disciplines variées. Par exemple, un économiste, Pierre-Cyrille Hautcoeur est membre de cette équipe. Il est Professeur d’Economie - et non pas historien de l’économie - à l’EHESS et à l’Ecole d’Economie de Paris, la Paris School of Economics. C’est un apport qui est important pour nous parce qu’il nous permet de sortir de l’approche seulement historique et de faire le lien avec des questionnements plus directement contemporains, plus liés à l’économie et son évolution, aux XIXe, XXe et XXIe siècles.

Le projet CoMOR a été élaboré en réponse à l’Appel à projets franco-allemand en sciences humaines et sociales ouvert en 2019 par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG). Le principe de cet Appel est de faire travailler ensemble sur un projet commun une équipe française et une équipe allemande dont les compétences sont complémentaires. Chaque équipe comprend cinq membres apportant leur expertise et leur méthodologie propres. L’équipe française est centrée sur le laboratoire CIHAM, spécialisé dans les études médiévales et le monde méditerranéen. L’équipe allemande est localisée à l’Université d’Erfurt et rassemble des spécialistes du premier âge moderne et de l’Europe nord-occidentale et centrale. Le point de rencontre géographique est la ville de Lyon (1) dont les foires se sont développées aux XVe et au XVIe siècles et à laquelle Jean-Louis Gaulin, Professeur à l’Université de Lyon 2, et sa collègue Susanne Rau, Professeur à l’Université d’Erfurt et auteur d'une monographie sur Lyon (2), co-porteurs du projet et respectivement des équipes française et allemande, ont déjà consacré plusieurs travaux. Le projet CoMOR a débuté le 1er mars 2020 et son financement est assuré par l’ANR et la DFG jusqu’au 31 août 2023.

  1. Le projet CoMOR est « hébergé par l’ENS de Lyon ». Concrètement, cela signifie que l’équipe lyonnaise a ses bureaux à l’ENS de Lyon (site Descartes) où se tiennent les réunions et ateliers.
  2. Rau, Susanne, Räume der Stadt. Eine Geschichte Lyons 1300-1800, Campus Verlag, 2014.

 

 

Vos co-équipiers sont des jeunes chercheurs ?

Ce sont des chercheurs confirmés ou expérimentés, mais nous avons eu la chance d'attirer aussi de jeunes chercheurs et en particulier une post-doctorante italienne, Marta Gravela, qui a été recrutée par le projet en janvier 2021.

La liste des personnes impliquées dans le projet CoMOR :

Chercheurs engagés dans le projet

Marjorie Burghart (Lyon), Markus Denzel (Leipzig), Jean-Louis Gaulin (Lyon), Armand Jamme (Lyon), Heinrich Lang (Leipzig), Clément Lenoble (Lyon), Claudio Marsilio (Lisbonne), Ezio Pia (Turin), Susanne Rau (Erfurt), Leif Scheuermann (Graz)

Personnels recrutés pour le projet

Ulf Christian Ewert (postdoctorant, Erfurt), Marta Gravela (postdoctorante, Lyon), Jean-Paul Rehr (ingénieur de recherche, Lyon)

Partenaires 

Andrea Caracausi (Padoue), Hilario Casado Alonso (Valladolid), Bruno Galland (Lyon), Mark Häberlein (Bamberg), Pierre-Cyrille Hautcœur (Paris), Michael Rothmann (Hanovre), Giacomo Todeschini (Trieste), Laurent Vallière (Avignon), Abbès Zouache (Kuwait)

 

Sont-ils motivés par ce projet parce qu’il représente une opportunité de financement ou parce que les foires en particulier les intéressaient ? Sont-ils spécialistes de l’histoire des Foires ?

Le point commun, c’est l’intérêt pour les foires. Les personnes ont été sollicitées, soit directement, soit par diffusion de l’appel à projet. Mais le but, c’est bien d’augmenter la connaissance sur l’histoire des foires du XIVe au XVIIe siècle. Donc les chercheurs s’engagent à produire des connaissances nouvelles sur ce thème. Leur spécialité n’est pas forcément l’histoire des foires ou seulement l’histoire des foires.

Ainsi par exemple, un des membres de l’équipe, notre collègue allemand, Markus Denzel[1], a déjà produit de nombreux ouvrages sur les foires dans l'espace de l'ancien Empire romain germanique[2]. Il est, entre autres, spécialiste de l’histoire des Foires de Leipzig. Nous avons eu le plaisir de l'accueillir à Lyon pour l'atelier COMOR qui s'est tenu le 25 juin.

Mais d’autres chercheurs en revanche, sont dans le groupe pour apporter des connaissances issues d’autres approches ou d’autres corpus documentaires qu’on peut utiliser pour l’histoire des foires, sans que cela ait été forcément fait jusqu’à présent. C’est là où on attend peut-être plus de nouveautés.

Je vous donne un exemple concret. Il est intéressant de voir ce qu’on peut trouver dans les archives vaticanes à Rome par rapport aux Foires. L'Eglise catholique a progressivement développé au Moyen Âge un système fiscale complexe qui couvrait toute l'Europe et qui centralisait à Rome le produit de cette fiscalité. La question à laquelle travaille l'un des membres du projet, Armand Jamme, directeur de recherche au CNRS, est de savoir s'il y a un lien entre ce système fiscal et le réseau des foires. Les villes de foires ont-elles servi d'intermédiaire entre l'Eglise, et singulièrement sa tête, et les différentes régions d'Europe où était collecté l'argent destiné à Saint-Pierre ? C'est ce type d'hypothèses qui nous intéressent.

 

[1] Makus Denzel est Professeur d‘Histoire économique et sociale à l’Université de Leipzig.

[2] Markus A. Denzel (Hg.), Europäische Messegeschichte: 9.-19. Jahrhundert, Köln u.a.: Böhlau, 2018.

Votre projet comporte aussi une très forte dimension numérique, avec la création d’un Système d’Information Géographique (SIG) sous forme de cartes. C’est vraiment très séduisant.  La profession aujourd’hui produit aussi de très nombreuses datas, principalement sur les visiteurs et les exposants, mais elle ne les traite pas toujours. Il existe même des start ups qui commencent à produire des cartographies à partir du traitement de data sur le secteur de l’évènementiel[1], mais ce n’est que le début. Votre travail avec ce SIG semble donc être extrêmement actuel. Quelles sont les données que l’équipe COMOR gère et quelles productions cartographiques pouvez-vous réaliser ?

L’idée est vraiment de produire des analyses des données historiques en réseau et de les représenter ensuite visuellement par des cartes ou par des graphes. Les deux outils sont articulés. C'est sur la production de cet outil, un site internet qui associe une base de données et des cartes permettant de renouveler l'histoire des foires européennes, que l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) et la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG) qui nous financent nous attendent. Les deux équipes française et allemande sont là encore complémentaires.

La base de données, qualifiée par les historiens de « relationnelle », met en évidence les liens entre les personnes, les lieux et les dates, la réalisation des évènements. C’est un premier ensemble. La base existe, elle fonctionne, et on engrange déjà des données extraites de sources variées : décisions instituant les foires, délibérations municipales, actes notariés, livres de comptes, almanachs, manuels de marchands etc. Ces données documentent les trois thèmes qui nous intéressent, à savoir les marchands et plus généralement les acteurs du commerce (courtiers, transporteurs…), les objets commercés et les routes. Elle est construite à Lyon par Jean-Paul Rehr, spécialiste en Humanités numériques et historien médiéviste[2].

Elle est associée à un SIG (Système d’Information Géographique), ou un GIS selon l’acronyme français ou anglais, qui est construit par un membre de l’équipe allemande, Leif Scheuermann[3], spécialiste de géomatique et de représentation spatiale des données historiques. En partant des cartes réalisées aux XVIe et XVIIe siècles, Leif Scheuermann a saisi et géolocalisé plus de 3500 toponymes qui permettent de reconstituer les itinéraires empruntés par les marchands et par les marchandises.

A cette approche géographique, s’ajoutent de multiples possibilités de représentation graphique des analyses relationnelles que nous souhaitons produire. Par exemple sur le rôle des intermédiaires qui permettaient à des marchands d’êtres actifs sur plusieurs places éloignées au même moment, ou à l’inverse, sur la dissociation entre l’itinéraire suivi par le marchand et par ses marchandises confiées à un transporteur.

Par ailleurs, comme les recherches sur les foires sont plus rares aujourd’hui, il est important de fédérer les chercheurs qui travaillent dans ce domaine en se dotant d’un outil partagé pour accroître nos connaissances sur les marchés périodiques.

Fig. Réseaux de marchands (CoMOR)
 

[1] Voir entretien avec Laurent Tripied, CEO de la start up bziiit, Cahiers n° 4, février 2019.

[2] Jean-Paul Rehr est Ingénieur de recherche informatique à l’ENS Lyon et doctorant en Histoire.

[3] Leif Scheuermann est Maître de conférences au Centre autrichien de Modélisation de l’information de l’Université de Graz (Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz).

Vous explorez aussi, c’est très important dans votre projet, la notion de réseau et la notion de route. Dans la profession aujourd’hui on aborde assez peu la question des routes. On reste très lié au territoire, la foire à tel endroit, Shanghai, Paris, ... mais le fait qu’il y ait des routes, et par conséquent un réseau, même si on le sait implicitement, on n’en fait pas quelque chose, un tracé, l’idée que les foires et salons constituent un ou des réseaux, en particulier en période de web…Les chercheurs s’y sont plus penchés, par exemple, de jeunes sociologues comme Guillaume Favre[1] et Julien Brailly à Toulouse se sont fortement intéressés aux réseaux dans les salons. Vous insistez beaucoup sur cette notion de route. Que sont ces routes ? Qu’est-ce qui s’y passent ? Comment contribuent-elles à la construction d’un réseau de foires ?

On a mis ce thème parmi les points forts du projet, parce que de fait ces marchands qui travaillaient à la dimension du continent européen et pour certains, au-delà, connaissaient bien les itinéraires possibles. Ils avaient une connaissance directe ou indirecte des lieux importants pour faire du commerce et les villes de foires en particulier, ainsi que des chemins et rivières qui reliaient ces places.

On voit très clairement cela dès le XIVe siècle avec les manuels de marchands dont les premiers sont rédigés en Italie. Ce sont les "pratiche della mercatura", à destination des jeunes marchands et des apprentis. Ces livres énumèrent les places marchandes, les routes et les étapes, indiquent les distances et donnent des indications utiles aux voyageurs. S'ajoutent à cela les informations sur les poids et mesures qui étaient d'une extrême diversité dans l'Ancien Régime ainsi que sur les monnaies.

Les données rassemblées par le florentin Francesco Pegolotti dans les années 1330 ont été saisies dans la base CoMOR. Globalement, elles dessinent un espace polarisé par Gênes et Venise. Dans la partie occidentale de l'Europe, les rendez-vous marchands les plus actifs, on trouve les foires de Champagne, mais aussi celles de Paris, des villes des Flandres, et plus au sud, de Nîmes et Montpellier. Les foires de Chalon sur Saône sont également présentes dans ce schéma, alors que la ville de Lyon est citée comme une étape mais pas comme ville de foire.

Les marchands au long cours se devait d'avoir une connaissance précise des centres nerveux du commerce, des étapes et bien sûr des routes. Par routes, il faut entendre des itinéraires qui pouvaient varier, en fonction d'aléas politiques, de la guerre ou pour des raisons climatiques (pont emporté par une crue, col infranchissable...). Le faisceau des routes pour aller d'un point à un autre admettait des variantes. Peut-être faut-il rappeler aussi que les rivières, les lacs et les mers étaient les vecteurs privilégiés pour le transport des marchandises. C'est par la Saône et le Rhône que le vin de Beaune arrivait à Lyon et à Avignon !  

Et les marchands, ils passaient plusieurs semaines sur ces routes, un tiers de l’année en déplacement ?

"Les marchands au long cours se devait d'avoir une connaissance précise des centres nerveux du commerce, des étapes et bien sûr des routes."

C’est une question très intéressante, qui n’est pas élucidée, sur laquelle on travaille dans le cadre de CoMOR : les foires et les itinéraires du point de vue des marchands. Pour comprendre combien de temps passait un marchand à se déplacer, combien de foires il faisait, il faut vraiment croiser les données d’archives qui n’ont jamais été rapprochées jusqu’à présent, comme je vous le disais précédemment. Il s’agit de repérer la présence d’un marchand aux foires de Champagne, ensuite à Chalon, de le suivre éventuellement jusqu'en Languedoc !  Les manuels de marchands donnent une vision très large des déplacements possibles, mais qu'en était-il en réalité ?  

 Il y avait souvent plusieurs foires importantes dans la même ville, quatre à Lyon. Est-ce qu’on allait aux quatre, lesquelles choisissait-on ? Elles n'étaient pas d'égale importance, et une certaine spécialisation devait exister. L'étude des livres de foires de la compagnie florentine des Salviati pour les années 1525 et 1550 montre que c'est lors de la foire de Pâques que leur chiffre d'affaires était à son maximum (H. Lang[2]). Cet exemple nous ramène à l'organisation du métier de marchands au Moyen Âge.  Les puissantes associations ("societates" en latin, sociétés) puis "compagnies", souvent construites sur une base familiale, fonctionnaient avec des "facteurs" ("fattori" en italien) employés salariés ou des procurateurs agissant à distance. Si l'on ajoute les transporteurs, cela faisait de toute façon beaucoup de monde sur les routes.  

 

[1] Voir l’entretien avec Guillaume Favre, dans les Cahiers n°3, Octobre 2018.

[2] LANG, Heinrich, Wirtschaften als kulturelle Praxis: die Florentiner Salviati und die Augsburger Welser auf den Märkten in Lyon (1507-1559), Stuttgart, 2020.

Votre projet s’inscrit dans une longue histoire des foires.

L’histoire des foires n’est pas nouvelle. Il y avait des marchés périodiques dans les cités grecques (les Panégyries étaient des rassemblements religieux ou marchands, ou les deux à la fois) et, dans une moindre mesure, dans l'empire romain. Au Moyen Âge, les foires de Champagne étaient célébrissimes et tous les manuels d'histoire médiévale leur consacrent quelques pages. On connaît moins bien la structuration du grand commerce européen dans la période qui suit le déclin des foires de Provins, Troyes, Lagny et Bar-sur-Aube à partir des années 1320.

A partir du milieu du XVe siècle, commence le cycle des foires de Lyon qui durera un siècle environ et qui a placé la cité rhodanienne "au centre d'une première mondialisation" pour reprendre l'expression de Jacques Rossiaud.

C'est lors de l'apogée des foires de Lyon que se produit une dissociation entre les foires de marchandises et les foires financières (crédit, change). On se rencontre toujours pour échanger des biens, mais les spécialistes du crédit tendent à se retrouver entre eux, ce qui fait la fortune des foires de Besançon, Novi ou Plaisance dans la deuxième moitié du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle. 

Les historiens se sont-ils toujours intéressés aux foires ?

L’intérêt des historiens pour cet objet varie selon les époques. Deux "moments historiographiques" peuvent être mis en évidence.

Un intérêt soutenu pour l'histoire des foires est à mettre en relation avec la phase d'expansion industrielle et commerciale que connut le monde du milieu du XIXe siècle jusqu'en 1914. Cette même année, Lyon accueillit une grande exposition internationale et urbaine dont le succès fut perturbé par le déclenchement des hostilités et la fermeture des pavillons allemand et autrichien. L'exposition se tenait dans le quartier de Gerland là où s'élève encore aujourd'hui la Halle Tony Garnier, anciens abattoirs construits par l'architecte à la demande du maire de Lyon Edouard Herriot. Malgré la guerre, Herriot tenta de faire revivre les anciennes foires de Lyon en organisant une exposition d'échantillons en 1916 clairement dirigée contre les foires de Leipzig. C'est dans ce contexte que paru la première histoire des foires de Lyon, sous la plume de Marc Brésard[1].

La deuxième phase, qui est plus connu probablement, est marquée par les travaux de Fernand Braudel et de ses disciples, dans les années 1960, 1970. Il y a eu un regain d’intérêt pour les foires, comme lieu d’échanges, dans la perspective d’une économie largement ouverte, ce que Braudel appelait, même s'il n'est pas l'inventeur de l'expression, l’économie-monde.

« Et c’est, je pense, à partir du début du XXIe siècle, que l’on perçoit un regain d’intérêt pour l’histoire économique, c’est déjà une bonne chose en général, et peut-être aussi pour l’histoire des foires. »

Le dernier quart du XXe siècle a été moins favorable aux recherches sur les foires, en France du moins. D'une façon générale, l'histoire économique a suscité moins de travaux que l'histoire religieuse ou culturelle.

Mais il faut aussi rappeler qu'il existe, en Allemagne, une tradition d'histoire du commerce, la Handelsgeschichte, qui s'est maintenue. Ce n'est sans doute pas hasard si le pays des foires et salons reste l’Allemagne.

Et c’est, je pense, à partir du début du XXIème siècle, que l’on perçoit un regain d’intérêt pour l’histoire économique[2], c’est une bonne chose en général, et peut-être aussi pour l’histoire des foires, grâce à notre projet. Mais je dois dire que les foires ne sont pas pour autant devenues un objet d'étude particulièrement important. On peine à trouver des spécialistes des foires à l'époque contemporaine, que ce soit chez les historiens, les historiens de l'économie ou les économistes.

 

[1] BRESARD Marc. Les foires de Lyon aux XVe et XVIe siècles. Paris, 1914.

[2] Les recherches actuelles en histoire économique portent sur des questions variées telles que la fiscalité, le crédit et l’endettement, les grandes compagnies de la fin du moyen âge (Salviati de Florence, Welser d’Augsbourg) ou encore la détermination des valeurs et des prix avant l’avènement de l’économie et de la doctrine libérales. 

Et en quoi l’approche de l’histoire des Foires du projet CoMOR est-elle différente des histoires des Foires écrites jusqu’à maintenant ?

Nous proposons une approche des foires résolument nouvelle par rapport à celle qu’avaient développée les historiens dans le sillage des travaux de Fernand Braudel. Ces études mettaient l'accent sur une ville de Foire et son aire d'influence, sa zone de chalandise. Les monographies ainsi produites, sur Genève, Chalon, Francfort ou Medina del Campo par exemple, reposent sur des analyses des sources qui sont précieuses pour notre enquête.

Le projet CoMOR met en avant le système des foires, composé de réseaux, avec des places majeures, des centres mineurs, des routes et des relations nouées par les participants à l'occasion des foires. Il s’agit de restituer et d’interpréter les échanges entre villes de foires du XIVe au XVIIe siècles. Notre méthode est celle de l’analyse des réseaux qui part du principe

« Le projet CoMOR met en avant le système des foires, composé de réseaux, avec des places majeures, des centres mineurs, des routes et des relations nouées par les participants à l'occasion des foires. »

que les villes de foires ont constitué l’épine dorsale des échanges continentaux et qu’il est pertinent de les étudier comme un système de relations reposant sur la compétition, la concurrence et aussi sur la complémentarité. Dans cet espace européen, la notion d’échelle est importante car des foires régionales (foires des villes de Flandres ou foires du Royaume de Naples) ont fonctionné, reliées entre elles pour assurer la circulation de produits spécifiques ou pour permettre aux marchands de se rencontrer

L’intitulé du programme CoMOR contient le mot de « configuration ». C’est un mot qui circule un peu dans le monde des foires et salons parce qu’il y a un concept créé il y a une dizaine d’années, plutôt par des chercheurs en management et en géographie, celui de « Field Configuring Event », qui s’attache au rôle des manifestations dans la structuration des filières ou des marchés. Vous ne l’employez pas dans ce sens ?

Nous avons emprunté ce terme à la géographie pour définir la façon dont les activités marchandes structurées par les villes de foires configurent un espace, qui est un espace géographique, mais qui est aussi un espace social. Le lien entre foire et ville est très fort, et les villes de foires étaient des hauts-lieux d’activité et de dynamisme en général, pas seulement dans le domaine commercial. C’est tout cela que l’on va essayer de représenter graphiquement afin d'en tirer des lignes de forces et de reconstruire une évolution entre le début du XIVe siècle et le début du XVIIe siècle, et comprendre comment se configure, se reconfigure l’Europe des foires importantes, et avec quelles conséquences sur les marchés et sur les sociétés urbaines.

Extrait du programme du 2ème Atelier CoMOR le 22 janvier 2021

Extrait du programme du 2ème Atelier CoMOR le 22 janvier 2021

Le fait que vous avez choisi une dimension européenne à votre projet est vraiment remarquable. Il apparaît qu’on ne peut pas penser les foires sans cette dimension large de l’Europe ?

Tout à fait, Les foires se démarquent des simples marchés parce qu'elles attirent des acteurs venus de loin pour accroître la circulation géographique des biens, c'est vraiment leur fonction. On peut distinguer, schématiquement, les marchés locaux et les foires régionales, qui sont en grand nombre au Moyen Âge et l'époque moderne, des rendez-vous périodiques destinés à faire se rencontrer des marchands et financiers venus de régions éloignées.

Pas au-delà de l’Europe ? L’Afrique ? L’Orient ?

Le projet CoMOR est centré sur l’Europe, parce que, d’une part, il y a déjà beaucoup à faire, et parce que, d'autre part, il y a dans le contexte européen une cohérence de la documentation qui permet de comparer assez facilement les traces laissées par les marchands italiens, flamands, catalans, ou languedociens. Le contexte est celui de la langue latine, largement répandue, et des langues vernaculaires modernes. Il faut d'autres compétences pour travailler sur les documents produits dans d'autres contextes culturels et linguistiques. Dans le cadre d'un autre projet qui prolongerait CoMOR, nous souhaiterions étendre géographiquement le champ de l'enquête.

Les liens entre les marchands européens et ceux des mondes plus lointains sont aussi à étudier : le rivage méridional de la Méditerranée, le Maghreb et l'Afrique, le Proche-Orient et l'Egypte, le monde byzantin puis ottoman. Il y a des connexions marchandes déjà en partie connues, mais qu’on voudrait réétudier sous l’angle de ces marchés périodiques. On sait par exemple que les marchands italiens, les vénitiens, les génois, ensuite les florentins, sont capables de se rendre en Egypte ou en Asie centrale. On a des récits de voyages. Est-ce que pour autant ils fréquentaient, aux XIVe siècle et XVe siècles, des marchés périodiques, est-ce que la notion de Foires est transposable dans ces marchés lointains, cela reste une question.

Une tradition historiographique fait des foires une sorte d’invention européenne. On a écrit par exemple qu'il n'y avait pas de foires dans l'empire byzantin. On sait aujourd’hui qu’il y avait des marchés périodiques, à Thessalonique par exemple. C'est donc un thème à retravailler. Plus généralement, il est important de comprendre comment des marchés, qui étaient des marchés très distincts et organisés de manière différentes, pouvaient être connectés. Comment étaient-ils reliés ? Comment pouvait-on faire passer un objet d'Afrique sub-saharienne ou orientale jusqu’à Bruges, Paris ou Francfort ? Par quelles mains transitait-il ? Quelles étaient les grandes étapes, les grands segments du commerce et qui faisaient l’articulation entre ces différents segments ?

Est-ce que vous avez des quantifications de population qui étaient sur ces foires européennes ? Aujourd’hui par exemple l’UFI évalue à 112 millions le nombre de personnes qui participent en Europe aux foires et salons (soit un peu plus d’un tiers de la fréquentation mondiale des Foires et Salons)[1]. Par exemple, une grande foire de Lyon rassemblait combien de personnes ?

La réponse à cette question n'est pas immédiate car les siècles que nous étudions ne produisaient pas de statistiques. On ne possède pas de listes ou registres d'exposants et il faut utiliser des témoignages indirects et partiels. Deux indicateurs peuvent nous être utiles : le problème du logement des acteurs extérieurs, qui est récurrent, et la mobilisation de la ville.

En temps de foires, Il faut héberger une population en nombre tout à fait inédit. En bref, il y avait deux solutions. La première est celle des auberges qui étaient nombreuses dans les villes de foires. La seconde solution, pour les marchands et plus encore pour les compagnies marchandes, en particulier italiennes ou allemandes, était de louer des maisons et des entrepôts ou même d'en devenir propriétaires. Cette solution permettait de laisser, entre deux foires, des marchandises, des instruments, peut-être des livres, le tout sous la surveillance d'un garde.

On estime que la capacité hôtelière de la ville de Lyon a doublé entre 1450 et 1500 en lien avec le développement des foires. A la fin du XVe siècle, quelque 75 auberges, dont une cinquantaine signalées par une enseigne, offraient des lits pour 800 à 1000 visiteurs. Les données que l'on possède mettent en évidence les déplacements des marchands en groupes assez nombreux, sous la forme de convois qui limitaient les risques du voyage. Par exemple, un conflit douanier entre Strasbourg et Francfort permet d'apprendre que 101 Strasbourgeois, dont 23 femmes, s'étaient rendus à la foire d'automne de Francfort en 1411. Pour revenir au logement des marchands et autres participants, Mickael Rothmann, professeur à l'université de Hanovre, a étudié des contrats de location de maisons à Francfort en période de foires comme celui conclu en 1421 par l'association des tisserands de laine de la ville de Marburg pour la location d'une maison avec 52 lits pour une durée de vingt ans.    

« Deux indicateurs peuvent nous être utiles : le problème du logement des acteurs extérieurs, qui est récurrent, et la mobilisation de la ville. »

D'autres témoignages, par exemple littéraires, montrent que la tenue des foires implique toute la population d'une ville et, au-delà, la population des campagnes environnantes. C’est le grand évènement, une ou plusieurs fois par an, qui dure à chaque fois plusieurs jours, en comptant la mise en place et les règlements financiers qui concluent la foire. Là, la ville change de visage. L'animation n'est pas seulement commerciale. On sait que le calendrier de ces grands événements suit le calendrier liturgique et les grandes fêtes religieuses. Dans la langue allemande, le terme "Messe", conserve cette référence religieuse. Les foires sont une occasion aussi de rencontres, de représentations théâtrales, d'échanges culturels. Les villes qui avaient la chance d'accueillir des foires importantes devenaient périodiquement des lieux susceptibles d'accélérer et d'intensifier les échanges entre les personnes et les communautés.


[1] Chiffres de 2018, Global Economic Impact of Exhibition, UFI, June 2020, www.ufi.org/wp-content/uploads/2020/06/Global_Economic_Impact_of_Exhibitions_Jun2020.pdf

 

Et les villes les accueillaient sur des lieux spécifiques, des champs de foire en dehors de la ville, liminaires ?

Les champs de foire font partie de l'histoire des villes européennes. Il faut avoir en tête que ces villes du Moyen Âge et du premier âge moderne sont emmuraillées, avec des remparts percés de portes protégeant un espace urbain densément bâti. Les grandes foires se tiennent donc souvent à l'extérieur des villes, dans des lieux ouverts et propices à l'exposition des marchandises.

A Chalon-sur-Saône, il y avait un champ de foire qui était presque aussi important en superficie que la ville ancienne. Il était situé en dehors des murailles. Un autre exemple est celui de Beaucaire dont les foires se tenaient dans un immense champ situé entre le bord du Rhône et la petite ville dominée par son château royal.  

Vous avez une idée de la surface en m² ? L’idée de surface est très ancrée dans la tête des professionnels. Un parc des expositions, cela va être 30, 40, 50, 100 000 m². Celui de Lyon fait 110 000 m², les grands parcs font plus de 100 000 m², il y a maintenant des parcs en Chine jusqu’à 500 000 m².

A Chalon-sur-Saône, la foire se tenait au faubourg Saint-Jean-de-Maisel, à l'extérieur de la cité sur la route de Lyon. L'espace disponible était considérable, presque équivalent à celui de la ville elle-même. C'est une "ville de bois" selon l'expression de Henri Dubois, qui s'est développée aux XIVe et XVe siècles avec des halles spécialisées (halles des drapiers, des merciers, des changeurs...) déplacées, agrandies, reconstruites au gré des besoins.

A Beaucaire, le champ de foire était encore plus spectaculaire comme le montre une estampe du XVIIIe siècle qui inspire le visuel du programme CoMOR. A partir de la fin du XVe siècle, la foire de la Madeleine accueillait pendant trois jours des milliers de visiteurs sur environ 15 ha. La vue fait la part belle au vaste « pré » délimité par les murailles de la petite ville et les installations portuaires. C’est un village de cabanes de bois et de toile qui était construit chaque année, un lieu éphémère de commerce et de sociabilité.

Vue de la foire de Beaucaire, André Basset, XVIIIe siècle (coll. privée)

Vue de la foire de Beaucaire, André Basset, XVIIIe siècle (coll. privée)

Mais il y aussi des villes où les foires se tiennent intramuros. C'est le cas de Lyon où l'on est bien en peine de situer le "champ de foire". C'est la ville elle-même qui se transformait périodiquement en lieu de marché international. Les marchands s’installaient de part et d’autre du pont sur la Saône où battait le cœur de l'économie de la ville. Les règles n'étaient pas figées mais les décisions municipales en la matière ne satisfaisaient pas toujours les marchands.  Un projet de construction de halles fut discuté en 1462, mais il ne fut pas réalisé. Il y avait donc deux façons d'exposer les marchandises : dans les rues, sur les places et au bord de la rivière, à même le sol, sur des tréteaux, parfois à l'abri d'une tente, ou dans des boutiques, qui devaient être louées à cette fin, et dans les auberges...

Qui construit les foires faites de bois et de tissus ? Aujourd'hui il y a des prestataires monteurs de stands, de chapiteaux ou de tentes, etc. Est-ce qu'au Moyen Âge, des gens, des artisans étaient dédiés à la construction de ces villes éphémères qu'étaient les Foires ? 

Ce sont les artisans des villes qui sont sollicités pour réaliser ces constructions éphémères.

« Il existe toute une architecture éphémère dans les villes médiévales et modernes qui repose sur les artisans du lieu. »

Il existe toute une architecture éphémère dans les villes médiévales et modernes qui repose sur les artisans du lieu. Cela concerne l'accueil des marchands, mais aussi et de façon beaucoup plus solennelle l'accueil des rois, empereurs, princes ou papes dans des circonstances importantes. Lors de ces "entrées", les villes édifiaient des arcs de triomphe et des échafauds, embellissaient et paraient les rues et les maisons... On trouve des traces des commandes réalisées auprès de menuisiers, forgerons ou peintres dans les comptabilités urbaines. L'étude de cet aspect, le lien entre la foire et la ville de foire, fait partie de notre projet.

L’histoire des foires relève de l’histoire de l’économie, du commerce, mais elle relève aussi de l’histoire urbaine. C'était un enjeu considérable pour les villes européennes d'organiser et de pérenniser des foires renommées. Cette activité périodique mobilisait non seulement les marchands, mais aussi les artisans, les aubergistes, et les paysans des alentours.

Il faut distinguer la création, l'institution des foires et leur fonctionnement. Dans l'Ancien Régime, la création d'une foire est un acte souverain émanant de l'autorité publique. Selon les lieux et les temps, il pouvait s'agir d'un empereur, d'un roi, d'un prince (laïc ou ecclésiastique) ou d'une ville. Les foires de Lyon et de Beaucaire sont des créations royales du XVe siècle, mais de nombreuses foires avaient été fondées par des abbayes durant les siècles précédents.  

Les privilèges et les statuts des foires fixent le cadre de l'activité marchande : le nombre de foires annuelles en un même lieu, la ou les dates d'ouverture, et la durée. Ces textes ont une dimension juridique essentielle parce qu'ils apportent aux marchands une protection spécifique durant leur voyage (le sauf-conduit) et qu'ils instituent aussi des procédures judiciaires adaptées au grand commerce. La dimension fiscale n'était pas absente et les transactions étaient souvent exemptées (totalement ou partiellement) des taxes habituelles (péages).

Qui fait que la foire se tient ? Qui concrètement intervient ?

Souvent ce sont les villes, disons les "conseils municipaux" de l'époque qui s'en chargent.  Chaque ville est gouvernée, selon sa taille et son histoire, par des consuls, des échevins ou des syndics, assistés par un ou plusieurs conseils. Les acteurs du grand commerce, marchands généralistes ou spécialisés (importateurs d'épices, pelletiers, merciers...) sont surreprésentés dans ces instances dirigeantes. Ils sont donc bien placés pour intervenir dans l'organisation des foires.

Dans l'exemple de Lyon, on a vu que l'exposition des marchandises n'obéissait pas à des règles strictes. Les privilèges royaux ne sont pas très directifs en la matière. En 1443, les lettres de Charles VII indiquent seulement que les foires peuvent "estre establies ès lieux et rues de la dicte ville qui seront advisez estre convenables par lesdiz conseillers et habitans...". La question est donc débattue à plusieurs reprises et plusieurs solutions expérimentées : la rive gauche (dite "Part de l'Empire", la Presqu'île) ou la rive droite ("Part du Royaume", l'actuel "Vieux-Lyon") en alternance ou bien les deux ensemble ;  la rive gauche pour exposer les marchandises venant de Lombardie et du Piémont et la rive droite pour celles venant des Flandres et d'Allemagne (logique géographique) ; répartition dans l'espace urbain par groupes professionnels (les changeurs, les orfèvres et argentiers, les drapiers, pelletiers, mégissiers, armuriers etc.). Les discussions semblent avoir été infinies ! Ce qu'il faut retenir de cet exemple, c'est la concertation au niveau local, ces décisions faisant intervenir les marchands soit en tant que membres des conseils urbains soit en tant qu'acteurs économiques.

Ce que vous dites est très intéressant. Cette concertation avec les exposants sur les salons a encore lieu aujourd’hui. Elle est très importante.

Il est très clair que les marchands et en particulier les marchands étrangers à la ville ont voix au chapitre.  Ils donnent leur avis et la municipalité doit en tenir compte, sinon elle s’expose à des conflits, à des récriminations, ou à la tentation de fréquenter une autre foire. C’est un point sur lequel j’insiste parce qu’on a beaucoup étudié le rôle des autorités publiques dans l’organisation des foires, spécialement en France où le pouvoir monarchique est toujours mis en avant. Certes Louis XI a beaucoup fait pour les foires, à Lyon, à Beaucaire, etc… Mais sans le consensus des marchands, et des marchands venant d’Italie et d’Allemagne, ces foires n'auraient pas eu un tel succès, parce que les foires sont européennes. Ce ne sont pas les marchands français qui assuraient le succès d’une foire en France. On le savait et on devait écouter l’avis de ces marchands qui se déplaçaient sur plusieurs centaines de kilomètres pour faire vivre les foires. Lorsque les marchands au long cours se détournaient durablement d'une foire, celle-ci perdait en attractivité, à moins de se spécialiser.

Comment prenait-on leur avis ? Par un conseil qu’on réunissait, par des lettres ?

Les foires étaient bien sûr propices à ce genre de discussion en présence des intéressés. Les marchands du lieu communiquaient avec les marchands venus de loin. Les uns et les autres avaient des représentants ou porte-parole. Mais les associations de marchands les plus puissantes, les villes et les autorités concernées par les foires entretenaient des relations de type diplomatique, avec des ambassades et des courriers. A des niveaux plus modestes que les villes de la Hanse qui étaient en capacité de conclure des traités commerciaux avec les Etats, la question des foires faisait l'objet de négociations sur fond de rapport de force politique et économique.

« Il est très clair que les marchands et en particulier les marchands étrangers à la ville ont voix au chapitre.  Ils donnent leur avis et la municipalité doit en tenir compte, sinon elle s’expose à des conflits, à des récriminations, ou à la tentation de fréquenter une autre foire. »

On peut le montrer à partir d'un épisode de l'histoire des foires de Lyon. En 1484, à la suite des plaintes des villes du Centre du Royaume et du Languedoc aux Etats Généraux réunis à Tours, Lyon perdit ses quatre foires qui lui furent "ôtées" par décision royale. Immédiatement, la ville se mobilisa et rédigea un argumentaire en faveur des foires. Se mobilisèrent aussi des marchands des villes de "Haute Allemagne", c'est-à-dire des villes du sud comme Nuremberg, Augsbourg et Bamberg. Des représentants de ces marchands se rendirent à la cour et plaidèrent la cause de Lyon qui était aussi la leur. Ils sont mentionnés dans les lettres royales qui rétablissent deux foires à Lyon en 1487, puis les quatre foires en 1494.  

On a là un exemple concret de foire dont le sort est lié aux négociations entre marchands étrangers et autorités publiques.

Il est fondamental de comprendre que les foires d’ancien régime étaient indispensables aux marchands, c’est-à-dire que les marchands de toute l’Europe avaient besoin de se retrouver physiquement et périodiquement dans des lieux accessibles et commodes et à des dates fixes. Il leur importait également que la tenue des foires soient confirmées à l'aide des moyens de communication de l'époque (messagers, lettres). Je pense que c’est un peu cela le ressort des foires.

Et comment fait-on si les foires ne peuvent pas avoir lieu ?

« (…) les foires d’ancien régime étaient indispensables aux marchands, c’est-à-dire que les marchands de toute l’Europe avaient besoin de pouvoir se retrouver physiquement et périodiquement dans des lieux accessibles et commodes et à des dates fixes. »

 Cela arrivait en effet pour diverses raisons qui rendaient les villes inaccessibles (tensions politiques, guerres, épidémies...). Les marchands s'en remettaient alors aux relations indirectes (agents sur place) et épistolaires. Les marchands de la fin du Moyen Âge expédiaient et recevaient beaucoup de lettres. Une infime quantité de ces courriers nous est parvenu mais ce sont des précieux documents pour reconstituer le temps et l'espace vécus par les acteurs du grand commerce.

Pourtant, en plus des intermédiaires et des échanges de lettres, les marchands ressentaient le besoin de se rencontrer. Et cela fait un peu écho à la situation actuelle !

Pour quelles raisons ces marchands souhaitaient-ils se rencontrer en dépit des distances, du péril et de l'inconfort des voyages ? Fondamentalement, on pense à la question du lien de confiance entre ces professionnels venus de divers horizons culturels et linguistiques. Maintenir et entretenir ce lien - ou a contrario l'interrompre - passait par des rencontres périodiques. Concrètement, dans les derniers jours de foire, faire les comptes et calculer les dettes et les créances permettaient d'établir un "bilan" global des relations d'affaires.

Tout ce que vous dites sur les histoires de routes, d’auberges, d’agents, sur qui fabrique, sur les autorités propriétaires, peut faire écho au présent des professionnels. Vous traitez de plusieurs grandes foires, connaissez-vous les professionnels, avez-vous par exemple rencontré les gens de la Foire de Leipzig, de Francfort ou de Lyon…

Je suis déjà allé à titre personnel au salon du livre à Francfort, qui est événement planétaire assez impressionnant. Dans notre équipe, le professeur Markus Denzel est spécialiste des foires de Leipzig dont il suit le développement jusqu'au XIXe siècle. Je suis certain qu'il a noué des contacts avec les professionnels du secteur. Le projet CoMOR va nous permettre d'échanger à ce sujet.

Votre travail, comme vous le décriviez précédemment, nécessite notamment de créer et d’exploiter des bases de datas. La question de la gestion des datas est largement soulevée par les technologies numériques actuelles. Quelles « bonnes pratiques » (investissement, recueil, accès et partage, méthode, échanges, catégories…) d’historiens intéressés par les Foires pourraient aujourd’hui être utiles aux professionnels pour mettre en place des systèmes de gestion de datas, cartographier leur activité et mieux comprendre leur présent et faire évoluer leur pratique ? Ne serait-ce que pour aider les historiens du futur ?

Les données que nous collectons et traitons sont toutes travaillées selon les principes de la Science ouverte liée aux « FAIR data ». Nous avons élaboré un Plan de gestion des données qui répond aux quatre attentes des agences publiques qui financent le projet : Findability / Accessibility / Interoperability / Reusability. Si nous travaillons bien, la base de données qui s'appelle Fairs-in-history sera ouverte au public d'ici un an. Elle sera en accès libre et gratuit, ouverte à tous publics, et donc aux professionnels des foires et salons d'aujourd'hui. Cette base ne sera pas "close" lorsque finira le programme CoMOR et nous espérons qu'elle continuera d'être alimentée en données versées par des chercheurs et des étudiants.  

Il est plus difficile de répondre à la deuxième partie de cette question. Les sources que nous utilisons n’ont pas été faites nous aider, nous historiens vivant au XXIe siècle, et pour cette raison, elles résistent à nos questionnements et ne dévoilent qu’une partie des réalités que nous souhaiterions connaitre. Les traces que laissent les professionnels d’aujourd’hui sont probablement elles aussi très fonctionnelles. Permettront-elles de reconstituer les routes que vous empruntez pour aller d'un Salon à l'autre, vos agendas fiéristiques, les groupes et associations plus ou moins formelles qui peuvent se former le temps d'une foire ? Je pourrai vous retourner la question : quelles datas produisez-vous sur vous-mêmes ? J'ajoute (en tant que médiéviste) : les supports de ces datas auront-ils la même résistance au temps que le parchemin et le solide papier du Moyen Âge ?  

Au-delà de la base de données et des articles scientifiques que l’équipe rédige, avez-vous d’autres moyens de diffusion de vos résultats et est-ce que vous pourriez les communiquer aux professionnels ? Votre projet est censé se terminer en 2023, en quoi les professionnels des foires et salons pourraient vous être utiles pour valoriser vos résultats et encourager des travaux de chercheurs sur leur activité ?

En matière de valorisation, l’équipe CoMOR a le projet de réaliser une exposition en fin de programme (2023). Il s’agira d’une exposition itinérante (Lyon, Erfurt, peut-être aussi Asti en Piémont) organisée en collaboration avec les archives de ces villes. Cette ouverture vers le grand public pourrait aussi être un trait d’union avec les professionnels. C’est une idée à discuter ! Si cette exposition pouvait nous permettre d'établir des liens avec les professionnels des foires, salons et Congrès, nous en serions très heureux.

Quelles sont les questions que vous aimeriez poser aux professionnels ?

Il y a plusieurs questions que nous souhaiterions poser à des professionnels actifs aujourd’hui sur des pratiques qui nous intriguent et sur lesquelles on n’a pas beaucoup de littérature. Pour en revenir à l’actualité, nous nous demandons pour quelles raisons on a encore besoin de se rencontrer dans un lieu donné et à date fixe quand on est un professionnel de secteur ? Comment, avec tous les moyens de communication que nous utilisons nous-mêmes en ce moment (téléconférence) qui aurait, vous vous rendez compte, stupéfait les marchands du XIVe siècle, comment et pourquoi maintenir des rencontres périodiques en chair et en os ? Cette question s’est déjà posée. Au début du XIXe siècle, les penseurs libéraux et les historiens qui les lisaient, ont considéré que les foires avaient fait leur temps. Elles reposaient sur une économie de privilèges qu'ils combattaient au nom du "marché". Le développement du chemin apportait l'argument technique de la réduction des temps et coûts de transport qui allait dans le même sens.  Et pourtant, le XIXe siècle a aussi inventé les expositions universelles...

Poursuivrez-vous des recherches sur les foires à la fin de votre programme ? Est-ce que des collaborations avec les professionnels pourraient y contribuer ?

Au-delà de l’année 2023 et du financement assuré par l’ANR et la DFG, notre intention est de continuer à faire vivre le programme CoMOR en ouvrant de nouvelles collaborations, en Europe et dans le monde. Dès à présent, l'intérêt que le projet suscite chez de jeunes chercheurs et chercheuses nous incite à poursuivre l’aventure. 

Et si nos travaux intéressent de jeunes professionnels, des stagiaires par exemple, ou à l'inverse si des étudiants en histoire pouvaient trouver une formation complémentaire dans les entreprises des Foires et Salons, ce serait une formidable ouverture.

Cela vaut vraiment le coup de souligner que l’histoire des Foires est toujours inquiétée par la question de la fin des foires. Les professionnels d’aujourd’hui sont toujours confrontés à cette question, aujourd’hui plus que jamais. On a parfois l’impression que vit en sourdine une sorte de déprime éternelle des Foires.

Il y avait des foires dans l’Antiquité et il y en a toujours, même si à plusieurs reprises des analystes ont annoncé la fin des foires, salons et congrès. L'histoire des foires n'est pas linéaire, elle est faite de créations, de concurrences, de déclin, mais aussi de renaissances. C'est une histoire fragmentée, incertaine qui ne peut se comprendre à mon avis que par une étude des relations, des réseaux. Mais derrière les aléas des foires urbaines et de leur histoire singulière, il y a des hommes et des femmes dont l'ingéniosité fait fonctionner un système qui est porteur de nouveautés, de transformations.

Comment se fait-il que les foires durent si longtemps ? Ou sommes-nous trompés par un mot qui parle en fait de choses finalement très différentes ?

« Derrière les aléas des foires urbaines et de leur histoire singulière, il y a des hommes et des femmes dont l'ingéniosité fait fonctionner un système qui est porteur de nouveautés, de transformations. »

Dans le monde grec classique, on utilisait le terme de panégyries pour désigner les rendez-vous religieux et commerciaux qui rassemblaient les foules chaque année près des grands sanctuaires. A Rome, on parlait de nundinae pour désigner les marchés ruraux qui se tenaient à date fixe. Mais c’est un autre terme latin, feria, c’est-à-dire « jours consacrés au repos » et donc « jours de fête », pendant lesquels se tenaient souvent les marchés les plus importants, qui a été adopté dans la plupart des langues européennes (fair, fiera, feria…), même si l’allemand a employé le mot Messe (cf. aussi le flamand Kermesse) et plus rarement Jahrmarkt (le marché annuel). En outre, en latin comme dans les langues vernaculaires, marché (mercatum) et foire pouvaient être synonymes...

Si le lexique est donc plus riche que prévu, la notion de lieu de marché périodique est centrale. Elle répond au besoin que les professionnels du commerce ont de se rencontrer en un même lieu, à date fixe et connue d’avance, afin de tisser entre eux des liens personnels et probablement aussi de « voir » les marchandises. C’est cette notion qui est un objet d’histoire car il y a eu des périodes plus ou moins fastes pour les foires. Certainement, à l’époque médiévale, les foires furent des rendez-vous incontournables auxquels les pouvoirs publics, les villes, les marchands consacraient beaucoup d’énergie et qui participa aussi à l'essor d'une culture vivante qui conduit jusqu’à François Rabelais. A l’inverse, la fin de l’Ancien Régime fut un moment difficile pour ces marchés institutionnels et privilégiés (les règles commerciales et fiscales habituelles étaient mises en suspens pendant les foires et les marchands bénéficiaient de juridictions spécifiques) que les Libéraux voulaient voir disparaître. Au XIXe siècle, l’essor des chemins de fer puis des grands magasins parut porter un coup décisif aux marchés périodiques… une prédiction vite démentie… 

Vous décrivez les fonctions marchandes des foires, mais aussi leurs fonctions financières, ces dernières fonctions n’existent plus aujourd’hui. Quelles étaient-elles et quand et pourquoi ces fonctions ont-elles disparu ?

Les marchés et les foires ont en effet longtemps joué un double rôle marchand et financier. Parce que les transactions commerciales se faisaient à crédit et parce que la concentration d’acteurs en un même lieu pendant quelques jours créait un marché financier actif. Les gains du commerce pouvaient aisément être investis dans le prêt d’argent. Au Moyen Âge, les foires de marchandises étaient aussi des foires financières et c’est à Lyon, à la fin du XVe et au début du XVIe siècle que, selon les connaissances actuelles, les deux fonctions ont commencé de se séparer. Les opérations de compensation financière entre marchands (clearing) ont commencé d'être traitées sur des places spécialisées (Lyon, puis Plaisance et Novi en Italie). Encore quelques décennies, et on assiste aux premières tentatives de marchés financiers quotidiens avec l'ouverture des premières bourses européennes (Anvers, début du XVIIe siècle). 

Aujourd’hui les professionnels européens des Foires et Salons s’interrogent beaucoup sur l’avenir, suite à la situation pandémique et à l’accélération des usages de rencontres à distance par le digital. En quoi votre travail pourrait leur donner des pistes de réflexion sur la manière de construire leur présent et leur avenir, d’appréhender les changements ?

« La crise créée par la COVID-19 nous incite à relire la documentation des siècles passés pour comprendre comment les marchands s’adaptaient aux récurrences de la peste qui ont marqué l’Europe et la Méditerranée de 1348 jusqu’au début du XVIIIe siècle. »

Notre projet scientifique est centré sur une période ancienne mais nous sommes attentifs aux évolutions récentes qui stimulent les questionnements historiques. La crise créée par la COVID-19 nous incite à relire la documentation des siècles passés pour tenter de comprendre comment les marchands s’adaptaient aux récurrences de la peste qui ont marqué l’Europe et la Méditerranée de 1348 jusqu’au début du XVIIIe siècle. Comment commerçait-on à longue distance dans un tel contexte ? Que faisait-on quand les foires d’Asti, de Genève ou de Francfort tombaient dans un moment où il était très difficile et déconseillé de s’y rendre, soit pour ces raisons sanitaires, soit à cause de l'insécurité politique ou militaire qui n'était pas moins endémique ?

A partir du milieu du XIVe siècle, les crises de pestes ont été récurrentes et donc on pouvait recevoir l’information que telle ville était difficile d’accès du fait de l’épidémie de peste.  Que faisait-on dans ce cas, est-ce qu’on était capable de se déporter dans un autre lieu, de se donner rendez-vous ailleurs, ou est-ce qu’on suspendait les transactions ? Comment en temps de crise on pouvait continuer à commercer quand même, comment est-ce qu’on pouvait surmonter ces phases critiques ? C’est un point qui a un peu surgi à notre corps défendant, parmi les interrogations multiples que nous avons à propos de ces foires et de ces villes de foires.

Et les professionnels ont eu la double peine de voir leur activité arrêtée et en même temps remise en cause par une éventuelle substitution par le numérique, sans peut-être au fond y croire mais sans pouvoir négliger le phénomène et les discours triomphants d’une nouvelle ère technologique de la rencontre.

Le tournant numérique que connaît l’économie mondiale et que la pandémie a accéléré est lui aussi une source d’interrogation pour les historiens des foires. Il est étonnant de lire que les Foires, Salons et Congrès n’ont jamais été aussi nombreux alors que les études économiques contemporaines sur le sujet semblent devenues rares.

« Les notaires distinguaient clairement les transactions faites par des intermédiaires (procureurs, courtiers…) et celles conclues par des marchands physiquement présents à la foire, « presentialiter » ou « personaliter » en latin. La rencontre était la forme privilégiée de la vie des affaires et plus largement de la vie sociale. »

Nous avons dit à quel point et à quel prix il est important de se rencontrer physiquement en dépit, pour l’époque que nous étudions, du temps qu’il faut pour se déplacer. Pour les temps actuels, l'impératif semble demeurer alors que le rapport à l'espace s'est inversé : il est important de se rencontrer physiquement malgré l’existence d’outils qui permettent de communiquer instantanément et de ne pas se déplacer.

Je n'aime pas beaucoup employer le mot "présentiel". Les notaires distinguaient clairement les transactions faites par des intermédiaires (procureurs, courtiers…) et celles conclues par des marchands physiquement présents à la foire, « presentialiter » ou « personaliter » en latin. La rencontre était la forme privilégiée de la vie des affaires et plus largement de la vie sociale. La période difficile de « distanciation sociale » que nous avons connue, et je pense tout particulièrement aux étudiants privés de campus, nous a peut-être rappelé la valeur et la saveur des relations de personne à personne, du lieu et de l'instant. n

Contact : jean-louis-gaulin@univ-lyon2.fr

BRESARD, Marc, Les foires de Lyon aux XVe et XVIe siècles, Paris, 1914.

DENZEL, Markus A. (ed.), Europäische Messegeschichte 9. – 19. Jahrhundert, Köln/Weimar/Wien 2018.

DUBOIS, Henri, Les foires de Chalon et le commerce dans la vallée de la Saône à la fin du Moyen Age (vers 1280 - vers 1430), Paris, 1976.

LANG, Heinrich, Wirtschaften als kulturelle Praxis: die Florentiner Salviati und die Augsburger Welser auf den Märkten in Lyon (1507-1559), Stuttgart, 2020.

Les infortunes du juste prix. Marchés, Justice Sociale et Bien Commun de L’Antiquité à nos Jours, sous la direction de V. CHANKOWSKI, C. LENOBLE et J. MAUCOURANT, Le bord de l’eau, 2020.

Lyon vu/e d'ailleurs (1245-1800). Echanges, compétitions et perceptions, sous la direction de Jean-Louis GAULIN et Susanne RAU, Lyon, 2009 https://books.openedition.org/pul/13146

MARSILIO, Claudio, La colección de 'listini' del Archivo Simón Ruiz. Las ferias de cambio de Medina del Campo en el corazón del mercado del dinero europeo (1580-1600), Fundación Museo de las Ferias, 2021 (livre électronique).

PIA, Ezio Claudio, Le confessioni relative a usure e male ablata: struttura documentaria, relazioni sociali e uso politico, dans Male ablata. La restitution des biens mal acquis, XIIe-XVe siècles, Jean-Louis Gaulin et Giacomo Todeschini (eds.), Rome, 2019.

RAU, Susanne, Räume der Stadt. Eine Geschichte Lyons 1300-1800, Campus Verlag, 2014

ROSSIAUD, Jacques, Lyon 1250-1550. Réalités et imaginaires d’une métropole, textes réunis et postfacés par J.-L. GAULIN et S. RAU, Seyssel, Champ Vallon, 2012 (postface consultable en ligne : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00753029).

ROTHMANN, Michael, Die Frankfurter Messen im Mittelalter, Stuttgart, 1998.

Scheuermann, Leif, Geschichte der Simulation / Simulation der Geschichte. Eine Einführung. Digital Classics Online Artikel, 6.1, 2020.

https://journals.ub.uni-heidelberg.de/index.php/dco/article/view/73395

Villes d’Italie. Textes et documents des XIIe, XIIIe, XIVe siècles, sous la direction de Jean-Louis GAULIN, Armand JAMME, Véronique ROUCHON MOUILLERON, Lyon, 2005 https://books.openedition.org/pul/19389

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