Comme nous sommes en plein confinement et que les réflexions sur "l'après" dans le monde de l'évènement émergent peu à peu, nous reprenons ici, en version résumée, un article sur l'énergie fiéristique publié dans le n°4 des Cahiers. Les évènements donnent et créent de l'énergie. Ils sont donc utiles non pas seulement après, mais pour faire apparaître l'après, pour que le présent se fasse et passe.
L’énergie fiéristique (de l’adjectif italien fieristico et de fiera, foire) naît des bonnes rencontres faites sur les Foires et Salons : elle donne envie de « manger le monde ». Elle est bien plus forte que toutes les « trade show fatigues[1] » dont certains se plaignent, et autre que l’effet waouh du grand mouvement expérientiel de la profession. Elle envahit les visages comme signe vers l’actualité des batailles de notre modernité à laquelle nous appartenons. Elle est une énergie positive pour penser l’évolution des foires et salons.
[1] La « trade show fatigue » est un thème de préoccupation récurrente dans la profession. Prenons à titre d’exemple le récent article de Kai Hattendorfer, http://blog.ufi.org/2018/12/04/ufis-5-trends-to-watch-in-2019/ : « Many visitors are reporting “trade show fatigue” (less so in developing markets than in developed markets, and with the highest share – one quarter – in the Americas). Visitors say that their interest in other channels such as online marketplaces and conferences will likely rise significantly relative to trade shows. Organisers and venues alike are well advised to never forget to deliver excellence in terms of the basics as visitor pain points are surprisingly simple. The top five are: seating, catering, queueing, parking, and quality of the exhibitors. Organisers can go a long way to pleasing visitors by getting these five factors right. »
« Le salon m’a remonté comme une pendule », « on a envie de manger le monde » : rien que cela ! Un visiteur, un exposant racontent qu’ils ont fait le plein d’énergie pour l’avenir : encastré dans le « business » des foires et salons, quelque chose capable d’animer les individus et les entreprises ou autres organismes collectifs, une dynamique psychologique et sociale[1]. Nous appellerons fiéristique cette énergie, reprenant l’adjectif italien fieristico.
L’énergie de presque rien et l’empirisme du temps présent
Cette énergie n’est pas chose nouvelle, les foires et salons ne tiennent pas la rampe du temps depuis si longtemps sans elle. Mais elle devient un minerai qu’il faut sortir de sa gangue, une pierre précieuse qui soulève les foires et salons pour en faire des vagues essentielles de notre modernité. Cette énergie a à voir avec notre expérience du présent, à notre époque où celui-là définit une si grande part de ce que nous sommes.
Cette énergie ne vient pas d’énergies telluriques qu’ils auraient fallu dépenser pour la faire apparaître (flux électriques, watts lumineux ou grandes pompes), mais de presque rien, des face-à-face, des bonnes rencontres entre les participants, rencontres qui les enthousiasment pourtant avec une telle force que le monde, aussi grand soit-il, ne fait plus peur.
Elle coule entre les roches vallonnées des fatigues qui harassent les participants, aussi bien les mauvaises fatigues qui les accrochent et les éreintent, que les bonnes qui agissent comme des ralentisseuses et des sensibilisatrices aux effets des rencontres. Elle nous aide à soutirer de notre épreuve physique un sens possible, sans nous dire lequel, mais qui pousse nos voiles ailleurs dans notre présent : naissance d’une sorte d’empirisme. Mais de quelle expérience s’agit-il ?
Le risque de l’engloutissement expérientiel, les puissances de l’empirisme énergétique
La prééminence du discours et de la tendance actuelle à l’expérientiel pourrait engloutir cette énergie fiéristique : cette dernière ne serait au fond qu’un peu des mouvements vécus extraordinaires, offerts de plus en plus sur les manifestations. Mais elle diffère de l’expérientiel parce qu’elle est avant tout désir hors du salon, vers le monde, alors que l’expérience organisée est avant tout tentative de marquer au présent les participants, de transformer le moment en mémoire. L’énergie fiéristique se tient un peu à distance de cette logique et de l’impact, aussi « brandé » soit-il, de la manifestation. Elle est signe de quelque chose de présent, mais qui n’est pas collé à l’instant, des « idées » ?, des formes possibles d’existence et de fabrique de chaque jour dans la bataille des rapports de forces des filières, des marchés et de la société. C’est une énergie d’action, de décision, d’audace. Essayons de voir quelques voies de cet empirisme énergétique des foires et salons.
La carte et le milieu
Cette énergie fiéristique nous invite d’abord à déplacer le rôle économique des foires et salons, non plus comme centres de profit et de performance commerciale, mais d’abord comme centres énergétiques et nœuds de rayonnements, à l’instar des cartes de réseaux que le digital a fait largement entrer dans notre imaginaire. Ils deviennent des hubs de désirs, qui laissent voir les stratégies non plus comme longue vue du monde, mais comme pelotes et histoires d’existence des hommes et de leurs rencontres. Psychologie et société habitent bien la résolution des enjeux économiques et industrielles. La nouvelle n’est pas nouvelle, nous le savons, mais les foires et salons en sont bien les scènes importantes de son théâtre : priorité donc à installer au cœur des stratégies de la profession et des grandes politiques.
La dentelle des réseaux
Alors les organisateurs doivent plus que jamais devenir des dentellières des réseaux sociaux et des rencontres. Seulement à cette condition, les foires et salons atteignent à la production de cette énergie fiéristique qui leur est propre et qui crée des passerelles avec le réel hors manifestation. Mais les organisateurs voient-ils aujourd’hui les réseaux sociaux de leurs manifestations ? Non, souvent très partiellement. C’est là une autre raison de s’intéresser aux big datas, au-delà des personnalisations et des efficacités marketing : saisir et contribuer à la finesse des trames relationnelles entre le dedans et le dehors des manifestations et savoir pointer les zones tactiques où les rapports de forces et les batailles du présent peuvent vraiment se jouer pour les participants.
La question climatique
En tant que moments d’exception, avec une dimension rituelle, les foires et salons sont des temps de « sacrifices » énergétiques. L’énergie fiéristique dans ce paysage est, elle, une énergie non pas gâchée, mais produite, positive. Directement liée aux enjeux relationnels et sociaux, elle croise largement l’extension des normes environnementales à l’impact social et sociétal. Les foires et salons, comme pôles énergétiques, peuvent là donner envie de « manger la catastrophe planétaire ». Leurs mécanismes énergétiques en dentelle sociale permettent d’affronter la complexité multifactorielle et collective de l’enjeu climatique. Il est alors possible de dire : pas de résolution de la question climatique sans foires et salons. Mais il faut alors placer, au cœur de leur fabrication, la culture de leur puissance énergétique.
Le sens de l’évènement
Il s’agit moins pour les Foires et salons de « faire évènement », que de produire l’énergie qui rend sensible à ce qui est l’évènement de notre réel. Là seulement sont visibles les émois et les enthousiasmes comme signes de ce que les femmes et les hommes peuvent devenir dans le présent. Mais cela signifie que cette énergie n’est possible qu’en relation justement avec une connexion et une articulation avec l’actualité. Les rencontres ne seront bonnes qu’à être des clefs d’entrées dans la complexité de notre modernité, des fêlures dans la substance complexe de notre présent. Là est le métier de l’évènement, moins en fabriquer un pour lui-même que mettre en série des rencontres vers les pistes d’interventions, des zones d’ouverture, des points de bifurcation d’une réalité économique et sociale. L’un des grands enjeux de la profession devient alors : comment avoir le sens de l’évènement, c’est-à-dire penser ce que nous sommes aujourd’hui dans notre modernité.
Les transformations de la filière
Enfin si l’énergie fiéristique sert les foires et salons, les professionnels eux-mêmes pourraient s’en inspirer pour trouver les motifs de leur union et de la construction de leur vision commune[2]. La filière est encore jeune et fragmentée, elle saura où et comment jouer réellement sa partie dans notre actualité à trouver l’énergie pour ce faire, et cela avec sa propre audace, ses propres forces. Et cette énergie ne se cueille pas en attendant la voix providentielle d’une quelconque grande prise de conscience politique ou d’une grande vague start uppeuse innovatrice qui saurait déjà la vérité de l’avenir, mais en créant les bonnes rencontres au sein de la profession : pas besoin de mille moyens, mais besoin des femmes et des hommes de la profession. Si simple et si accessible n
[1] Peu semble encore s’en soucier, comme si cette dimension peu mesurable, immatérielle, n’était pas essentielle. Toutefois, en 2013, le German Convention Bureau publie, à l’occasion de ses 40 ans, un rapport sur l’évolution de la filière : « The evolution of Germany’s meeting and convention industry, CONVERSATIONS, IDEAS, STORIES »[1]. Sur les cinq grandes parties de ce travail, une est entièrement consacrée à la « PSYCHOLOGY », entendue comme celle qui a lieu dans les rencontres entre individus dans les différents formats de réunion.
[2] En 2006, le député Charié soulignait déjà dans son rapport, au-delà des méthodes et de la raison, au-delà de l’attente d’une volonté politique, deus ex machina, qui donnerait le ton définitivement et pour tous, l’importance de la psychologie et de l’entente au sein même de la profession.
N°4 des Cahiers Recherche et Innovation dans les Foires, Salons, Congrès
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