Nous avons, dans le cadre de la rédaction du LIVRE BLANC sur la Recherche et l’Innovation dans les Foires, Salons et Congrès, réservé une partie à la captation et la création de savoirs via l’enseignement lié à l’activité des Foires, Salons et Congrès et les nombreux rapports et études qui paraissent au sein de la filière dans le monde. Il s’agit de la 4ème partie : CAPTATION.

Nous vous présentons ici la troisième partie (de trois parties) d’un travail qui porte sur l’analyse d’une série de rapports publiés en France entre 2005 et 2010. Le travail dans son ensemble étant assez long, il paraît sous forme de plusieurs articles. 

Pour voir le résumé de l’ensemble de l’étude réalisée, cliquer ICI.

Les articles de ce travail sont aussi accessibles via la catégorie  "CONSTELLATION".

Les trésors gisent souvent devant nous, à portée des mains et des yeux. La constellation des travaux des rapports Margot-Duclot, Charié, Plasait, du Comité National de Pilotage et des Assises ne s’épuise pas dans les bases que nous venons de décrire. Elle s’y est certes concentrée, il fallait déjà les écrire et les dire, au moins une fois, pour la première fois synthétiquement. Mais nous lui devons une autre attention. Cette constellation déborde d’idées et d’explorations possibles. Elle repose sur des entretiens, des centaines d’heures de discussions avec des acteurs impliqués de près ou de loin dans l’activité des foires, salons et congrès, et exprime, malgré la froide tenue d’écrits officiels et institutionnels, toutes les vigueurs de l’engagement de leurs rédacteurs. Des feux nombreux y brillent, qui peuvent éclairer des chemins autres, et outre les premiers fondements. Ces feux sont essentiels, à la fois pour explorer la complexité d’une activité trop longtemps laissée dans l’ombre, mais aussi pour imaginer d’autres voies stratégiques. Le triptyque Territoire-Gouvernance-Filière ne suffit pas à affronter la complexité et les vitesses du monde -en pleine révolution digitale (encore à peine abordée dans notre constellation)- et à saisir les opportunités, d’autant plus dans une activité qui, certes, a une grande culture sédentaire (territoire, gouvernance), mais qui est profondément travaillée par une culture nomade, par les logiques de cas, d’arrangement avec les singularités des situations, de parcours de diagonales, de chemins inusités, avec des actions localisées, de formes minoritaires, rusées. La machine initiale de la constellation n’est pas assez souple. Les bases mêmes du triptyque Territoire-Gouvernance-Filière peuvent être élargies, amplifiées, étirées. Les auteurs de notre constellation nous ont laissé une « boîte à outils ».

 

Pour schématiser la découverte de cette « boîte à outils », nous dessinons trois grands axes d’explorations possibles :

  • Le premier est l’axe de « Dehors » : se déplacer au-delà de la filière et s’articuler avec les enjeux du monde,
  • Le deuxième axe est orienté par la quête du sens de l’événement et la création de valeurs dans la filière à partir des marchés,
  • Le troisième axe reprend la question territoriale, cette fois creusée par les articulations entre les territoires et les changements d’échelles géographiques : l’axe des jeux possibles des territoires.

Aucun de ces axes n’est hermétique à un autre, les porosités sont perpétuelles. Ils forment des perspectives différentes d’une réalité complexe et mobile. Ils ne sont pas énoncés aussi visiblement par les auteurs de la constellation. Nous décidons nous-même de regarder en gros plan, ce qui peut parfois n’être qu’une idée évoquée sans apparat, au fil des textes.

1. L’axe du Dehors : au-delà de la filière, les enjeux du Monde

Les Foires, Salons et Congrès ne sont pas des châteaux forts, mais d’abord des champs ouverts sur le monde, sur l’autre. Ce sont des portes, des passages, des ponts. Au bord d’une méthode pour décomposer les grands enjeux dans le triptyque TERRITOIRE-GOUVERNANCE-FILIERE, dominée par l’idée d’une centralité à construire, trois foyers sont allumés qui nous jettent dehors. Et si une grande part de la pertinence stratégique se jouait de ce côté, en se rapprochant de la fonction même des FSC d’être des zones frontalières qui permettent au monde lui-même, de passer, de se passer lui-même et de se transformer ? Prenons au sérieux trois foyers d’idées qui nous pouvons récolter dans la constellation :

  • La transversalité stratégique des FCS vers les marchés, les filières et les politiques publiques : au-delà de la filière FSC, les FSC comme langage et paroles au fond pour les champs d’activité humains.
  • L’intégration dans l’économie de la connaissance : l’affirmation de la pertinence des FSC au cœur des évolutions de l’économie mondiale,
  • Le développement durable : le passage d’un simple enjeu général pour toute production d’envisager son rôle environnemental à la singularité des FSC face aux enjeux complexes et planétaires du climat.

a. Transversalité stratégique vers les marchés, les filières et les politiques publiques

L’activité des Foires, Salons et Congrès n’est pas comparable à l’activité du média télévisuel ou de la presse écrite. Ceux-là peuvent se constituer de manière autonome avec leurs savoir-faire et leurs acteurs pour une production journalistique et éditoriale séparée par rapport à la réalité dont ils rendent compte. L’activité des Foires, Salons et Congrès n’est pas séparée de la réalité qu’elle « médiatise », elle en est d’abord une émanation, une des expressions. Telle fédération industrielle organise le grand salon international de son marché, telle société savante produit ses congrès. Il est donc possible de faire basculer le regard et passer d’une perspective où l’enjeu est de constituer une filière des FSC à celui où il s’agit de penser et de développer FSC dans des champs économiques, scientifiques, sociaux et politiques hors filière FSC.

L’activité des FSC est encastrée dans les communautés et sociétés qu’elle réunit. Elle appartient donc à des mondes multiples.

« Sortir du tourisme » était déjà le mot d’ordre des rapports. Créer des liens et articulations avec les excellences territoriales, les filières implantées, les pôles de compétitivité répétait la figure générale d’une inclusion dans les enjeux des filières tierces. Le raisonnement peut être poussé plus avant, Margo-Duclot indique une piste : « le secteur des rencontres et des événements professionnels (Foires, Salons, Congrès) constitue une filière économique transversale (NDR : c’est nous qui soulignons) de première importance pour l’Ile de France, qui prend en écharpe de très nombreux et importants secteurs de l’industrie et des services de la Région »[1]

L’activité des FSC est fondamentalement transversale. Elle a donc déjà sa place, dans chacune des activités tierces qui l’utilisent : les filières, les marchés, les politiques publiques.

Le développement de l’activité peut donc passer à la fois par la structuration de la filière des FSC, ce qui est bien la tentative basique, et par son inclusion dans les stratégies des champs tiers. La question peut se déplacer des manières d’organiser au mieux les salons sur tel territoire, avec les niveaux d’offre, d’accessibilité et d’hébergement indispensable, en incluant d’ailleurs le choix de salons prioritaires en fonction des excellences territoriales, à comment le développement de telle filière (aéronautique, édition, agro-alimentaire, …, le recherche) doit stratégiquement exiger le levier des salons et congrès. Il n’y a pas encore de choix à faire, soit construire la convergence au sein de la filière FSC, soit renforcer sa contribution dans les stratégies tierces. Le développement des FSC implique les deux.

Bien des investissements dans la filière sont provoqués non pas par des hypothèses générales et des principes, mais par des situations. Tel grand salon risque de quitter une ville pour une autre par manque d’infrastructure ou de synergie entre les acteurs : l’annonce affole, la mesure des risques est prise, les investissements et les efforts sont produits. La stratégie des FSC est donc au moins à double entrée : par elle-même et par l’extérieur.

Il est presque illusoire d’attendre que la filière ait atteint un niveau de reconnaissance suffisant auprès des politiques ou des grands acteurs économiques pour l’inclure dans les politiques de filière ou territoriale. L’objectif doit être donné simultanément à la structuration de la filière : inclure dans la politique de recherche et d’innovation un segment clair de dispositifs salons et congrès, placer dans un schéma touristique régional le « tourisme d’affaires » et l’activité Foires, Salons et Congrès, considérer que la filière agro-alimentaire française sera leader sur les salons et événements, etc. Tout cela est déjà dit sans être dit, existe déjà sans être toujours formalisé. Le cas de l’économie digitale est patent : la « filière » si cela a encore un sens crée ses événements seuls, devient organisateurs sans ceux de la filière FSC.

Cette transversalité peut provoquer une certaine ouverture du marché des FSC. Elle invite les filières, les marchés à éventuellement organiser, à développer une expertise et des dispositifs et à créer les conditions de leur propre activité d’événement, avec des risques de concurrences fortes pour les acteurs historiques identifiés dans la filière FSC. Mais ce risque tient aussi son inverse d’opportunité pour les acteurs de la filière FSC de positionner leur expertise.

Enfin cette transversalité des FSC dans les filières, les marchés et les politiques peut représenter une véritable source de mise en relations et de mixité entre ces filières, ses marchés et ses politiques, permettre d’envisager des sorties de filière, des chevauchements entre les mondes de l’économie, de la société et de la politique, et donc d’exercer à plein les potentialités de passage au sein de l’hétérogénéité des domaines d’actions d’une société. C’est au fond ce que la révolution digitale nous montre tout simplement aujourd’hui (Foires, Salons et Congrès et Digital portent de grandes proximités conceptuelles).

 

[1] Contribution de l’ARD à la SRDEI IdF, p. 1

b. Se placer dans l’économie de la connaissance

Dire que les Foires, Salons et Congrès peuvent contribuer au rayonnement scientifique, à la diffusion de la connaissance et des idées, tel que cela se trouve dans les rapports de la constellation enrichissait déjà de bonne manière le débat sur les retombées de l’activité des FSC. C’était aussi rappeler les faits. Un nouvel écart positif est franchi lorsque structurellement est définie, comme le fait Margot-Duclot dans son rapport, l’inclusion de l’activité des FSC dans l’économie de la connaissance : « L’industrie mondiale des échanges et des rencontres professionnelles participe directement à l’économie de la connaissance »[1]. Il ne s’agit plus de décrire les effets des FSC, il s’agit de les placer dans les transformations récentes de l’économie mondiale et des défis auxquels veulent répondre les continents, les pays et les industries.

Le déplacement dans l’économie de la connaissance instaure les FSC parmi les dispositifs de l’économie moderne et de ses problématiques. La notion d’économie de la connaissance est largement corrélée aux technologies de l’information et à la révolution digitale en cours. Les FSC peuvent ainsi être entendus dans les mouvements de configuration de l’économie actuelle, autrement dit devenir un outil-clef dans les stratégies des pays et des filières. Cela signifie aussi qu’il devient imaginable de définir les FSC comme des lieux modernes de savoir, voire dans les réseaux qu’ils forment à travers la planète, des initiateurs de routes des savoirs. Les FSC peuvent alors plus clairement être mis en série avec les autres lieux de savoirs et mode de circulation de la connaissance dans le monde : universités, laboratoires, musées, centre de diffusion scientifiques, écoles, médias ….

Que se passe-t-il si les grandes lignes de configuration et de développement de la filière se tracent directement dans la perspective des défis de l’économie de la connaissance ? Il n’est pas sûr qu’il faille seulement dire avec humour que l’Europe n’a pas les GAFAs mais a les Foires, Salons et Congrès. L’Europe est leader mondial dans l’accueil et l’organisation de Foires, Salons et Congrès et le Conseil de Lisbonne en 2000 annonçait haut et fort les ambitions européennes dans l’économie de la Connaissance. Les FSC deviennent un facteur-clef de succès de ces ambitions, à condition de considérer qu’ils appartiennent bien à la géographie de cette bataille. Comment se formule la politique de recherche et d’innovation d’un continent, d’un pays, d’une région qui se positionne dans l’économie de la connaissance ? Avec ou sans inclusion claire et investie des Foires, Salons et Congrès ?

Le champ de la culture est devenu, avec l’arrivée des transformations digitales, celui des industries créatives. Si les FSC participe à l’économie de la connaissance, il participe aussi au champ des industries créatives tout comme les plateformes internet ou tout simplement les médias ou l’édition. Que devient le regard porté sur les FSC à partir du moment où ils sont inclus dans le champ des industries créatives ? Et quel est l’impact sur les synergies avec les politiques culturelles d’un pays ?

Aujourd’hui les acteurs de la filière, organisateurs de manifestations, gestionnaires de sites, se mobilisent[2] pour que les parcs expositions et de centres de congrès aient une couverture numérique adaptée à des événements qui doivent aujourd’hui être hyperconnectés pour des participants hyperconnectés dans une économie hyperconnectée. Imaginons qu’il existe le même geste à l’égard des enjeux des technologie FSC : assurer la couverture par les FSC des grands mouvements de l’économie de la connaissance et des stratégies mises en place.

Il nous faut là faire une incise sur le cas propre des congrès. Le monde des congrès, tout au long des rapports, est largement inclus dans le grand tout « Foires, Salons et Congrès » et assez rapidement sous la logique de développement des foires et salons, de celui des filières et des entreprises exposantes. Les congrès méritent leur propre analyse. Elle n’est pas aisée, car leur réalité est elle-même d’une très grande richesse et complexité : congrès scientifiques avec la diversité des sciences, congrès des industries, congrès des fédérations professionnelles et syndicales, des multiples associations dans les champs sociaux, etc…Et les congrès ne sont que rarement de taille comparable aux salons. Ils sont souvent de petites tailles, 100, 200, 300 personnes, et pourtant d’effets potentiels immenses (que valent les réunions de quelques dizaines des plus grands esprits sur un sujet ? Sûrement pas la comparaison avec les simples effets des retombées économiques de la participation à un salon). L’inclusion dans l’économie de la connaissance est donc aussi l’occasion d’articuler plus clairement la singularité des congrès dans les analyses stratégiques.

 

[1] Rapport Margot-Duclot, p. 30

[2] Voir le contrat de filière 2016

c. La question du développement durable et de la préservation de la planète

Le sujet est esquissé dans la constellation des rapports, il est présenté au titre de l’amélioration du respect de l’environnement dans la production des manifestations. La question pourrait être posée d’une autre manière : comment l’activité des Foires, Salons et Congrès peut-elle contribuer à la résolution du défi climatique ? L’activité est transversale à l’ensemble des champs d’activité humaine, elle est corrélée à la question de l’urbanisation, elle constitue surtout des instances collectives de discussion, elle participe aux mécanismes de régulations et de productions de normes dans les communautés. Nous ne développerons pas plus le sujet ici, puisqu’il est loin d’être conduit ainsi dans les travaux de la constellation. En revanche, l’ouverture sur le développement durable est bien écrite et nous savons que cette voie devra de plus en plus s’intégrer à toute réflexion stratégique de filière.

 

Transversalité, économie de la connaissance, développement durable, ce sont trois foyers qui représentent à eux seuls des possibilités majeures d’envisager des stratégies de la filière « dehors », en plus des bases essentielles présentées dans la partie précédente. La transversalité invite à décentrer les FSC d’eux-mêmes pour les retrouver à des moments mieux définis dans les stratégies énoncées dans les filières, les marchés et les politiques publiques. L’économie de la connaissance replace les FSC à la lumière de notre modernité et peut modifier fortement les manières de les concevoir et de les articuler avec les autres lieux et routes des savoirs, les inclure dans les industries créatives, poser la priorité qu’ils signifient dans des politiques de recherche et d’innovation, se souvenir de l’attention qu’il faut maintenant accordée à l’activité singulière des congrès. Le développement durable, comme urgence mondiale et réalité complexe, interroge les FSC non pas seulement comme moments exceptionnels de « dépenses » exagérées qu’il faudrait rationaliser, mais comme production de moments collectifs d’intelligence susceptibles de contribuer à la résolution des problèmes. 

2. Le sens et la création de valeurs dans la filière à partir des marchés

L’axe précédent définissait bien une nouvelle hauteur à prendre pour imaginer une stratégie de la filière, non plus tournée vers l’optimisation de sa logistique et la limitation des bruits divergents des acteurs, mais directement transplantée dans le monde réel, là où l’intervention des FSC peut changer la donne. L’axe présent retourne vers l’intérieur de la filière : quel est le sens de l’événement ? Quelle est la valeur créée et comment l’est-elle ? Ces questions se forment en quelque sorte à la surface de la filière, sur son épiderme, avec sa « sensibilité », et peuvent influencer tous les arrangements intérieurs de son organisme, comme si le sens et la valeur faisaient les fonctions.

Là encore, les rédacteurs de la constellation nous désignent au moins trois foyers de forte chaleur : reprendre le sens des échanges comme creuset du sens de l’événement, inclure comme élément de structure la psychologie dans les mécanismes de construction stratégique, s’interroger sur le juste partage de la marge et la reconnaissance des valeurs ajoutées de chaque type d’acteurs.

 

a. Enjeux des échanges pour les hommes, les marchés et les territoires

A quoi servent les Foires, Salons et Congrès ? Le rapport Charié exposera la méthode du consultant Serge Airaudi de description de la création de valeur de la filière. La méthode commence par la définition du sens de l’événement. Jean-Paul Huchon, alors Président de la Région Ile de France, dans sa préface au rapport Margot-Duclot, débute par « Notre histoire et celle de l’Europe montrent que le rayonnement d’un territoire a toujours été conditionné non seulement par sa production, matérielle ou intellectuelle, son savoir-faire, sa culture ou son art de vivre, mais encore par sa capacité d’échanges avec ses voisins, proches ou lointains[1]. (…) notre région est ainsi devenue une des principales métropoles mondiales de l’échange des connaissances. ». Jean-Luc Margot-Duclot répétera « le besoin mondial de rencontres et d’échanges professionnels »[2] jusqu’à entendre l’existence de « L’industrie mondiale des échanges et des rencontres professionnels »[3]. Bernard Plasait laissera, sous sa plume, apparaître, dès l’introduction, la considération du tourisme d’affaire comme « véritable média »[4].

Il est essentiel de formuler qu’il existe un enjeu des échanges et un grand marché des échanges dans lequel, parmi d’autres médias, les FSC ont leur rôle. Jamais ce marché n’a été aussi grand et sans doute n’a connu, avec la révolution digitale en cours, une telle croissance. Les FSC participent non seulement aux échanges, mais à la construction même des échanges et de leurs manières. Le rôle des Foires fut bien commenté dans l’histoire des jeux des échanges[5] . Celui des FSC l’est à peine aujourd’hui dans la grande sphère planétaire des échanges. Quels sont les besoins d’échanges aujourd’hui pour les hommes, les territoires, les marchés, les filières, la connaissance ? Et comment les FSC y répondent et peuvent y répondre ? Plus profondément comment la société des échanges dans laquelle nous vivons est façonnée en partie des contributions structurantes des FSC dans l’ensemble des champs de l’activité humaine ? Comment les échanges aujourd’hui doivent avoir pour partie une forme congressuelle ou fiéristique ?

La simple indexation claire de l’activité des FSC aux mécanismes contemporains des échanges, compris comme industrie des échanges, avec donc son marché[6], la replace, comme lors de leur intégration à l’économie de la connaissance, au centre de notre modernité. Ce sont nos temps modernes qui sont en partie définis par l’activité d’échange des FSC. Le débat est haussé à de nouveaux sommets, quasi impensables pour l’activité FSC prises dans ses enjeux de logistique, de reconnaissance défaillante et d’infrastructures obsolètes. Mais la stratégie est sans doute de ce côté. Nous pouvons ainsi dire sans mentir que les FSC sont des « médias sociaux », à l’instar de ce que nous connaissons avec internet aujourd’hui.

Parmi les règles classiques utilisées dans les département marketing des entreprises, lorsqu’il faut définir la charte d’une marque, il est fondamental de répondre à la question : quel est mon marché ? Cela devient donc : Quel est le marché des FSC ? La réponse pourrait être : le marché des échanges, pas même celui de la communication ou celui de telle ou telle filière, mais celui plus large des échanges. Or ce marché des échanges est méconnu, semble immense et d’une grande complexité. Il ne peut que croître, entre le rôle d’internet, la croissance démographique, la poursuite de l’urbanisation planétaire et de l’internationalisation des relations. Autrement dit, les FSC se placent sur un marché qui grandit. Rien que cela rebat les cartes sur l’importance qu’il faut lui accorder et les ambitions qu’il est possible d’avoir. Un immense travail serait de qualifier et quantifier ce marché des échanges : il inclurait l’activité des transports, les réseaux sociaux, les médias, la communication digitale, la diplomatie, les réunions multiples, l’activité de rencontres sur les Foires, Salons et Congrès, que leur nature soit marchande, matérielle ou immatérielle, intellectuelle, sociale, politique. C’est dans ce grand ensemble que l’activité des FSC et leur modernité peut révéler de grands pans de son sens et de son rôle aujourd’hui.

Les FSC dépassent largement le monde des affaires, incluent des fonctions de structuration sociale de population, de champs d’activité, de représentation, d’influence et de soft power pour les nations et leurs intérêts, des fonctions de territorialisation et de déterritorialisation, de mise en série des villes et des pays et de traçage des grandes routes et petites routes de communication du monde, de connexion et de redistribution des idées, de production de valeurs et de normes, etc…Cette complexité freine peut-être les analyses et les professionnels de la filière préfèrent ne pas se lancer dans de tels méandres quand la logistique déjà doit être gérée. Pourtant, là est la véritable mesure des attentes d’un « marché » qui déterminera ensuite l’amélioration du processus de création de l’offre adéquate.

Il ne serait pas insensé aujourd’hui de donner aux FSC la très grande mission de contribuer décisivement au développement des échanges en termes de développement de la connaissance et de l’innovation et de leurs bienfaits pour les hommes et la planète, de diversité, de respect des libertés, de créations de nouveaux rapports entre les acteurs économiques, d’encastrement de l’économique dans le social, de croissance harmonieuse de l’urbanisation, d’équilibre entre les nations, d’émergence même d’une certaine spiritualité dans tel ou tel domaine d’activité, etc…[7]

 

[1] Nous soulignons

[2] Rapport JMLD, p.12

[3] Idem, p.30

[4] Rapport Plasait, p.7

[5] Reciter Braudel

[6] Faut-il aller jusqu’à formuler que les échanges sont eux aussi des marchandises ? Et les FSC seraient-ils des outils de marchandisation des échanges ? Ou peut-être justement l’inverse, de libération des échanges et de renversement des règles mercantiles ? Il nous faudrait vérifier auprès d’économistes si l’absence des FSC dans l’analyse du marché mondial et de son libéralisme n’est pas à chercher dans une nature de « contre-marché » des FSC. Ils sortiraient les échanges de l’économie pure pour les réarmer dans l’assise plus large de la société et des territoires.

[7] Quelle place les FSC peuvent-ils avoir dans la grande Société des Nations, à l’ONU, à l’UNESCO ?

b. Psychologie et stratégie

En 2013, le German Convention Bureau publie, à l’occasion de ses 40 ans, un rapport sur l’évolution de la filière : « The evolution of Germany’s meeting and convention industry, CONVERSATIONS, IDEAS, STORIES »[1]. Sur les cinq grandes parties de ce travail, une est entièrement consacrée à la « PSYCHOLOGY », entendue comme celle qui a lieu dans les rencontres entre individus dans les différents formats de réunion. Cette attention soutenue à la psychologie dans les relations n’apparaît pas dans les rapports français. En revanche le décryptage sans réserve, franc et critique, de la psychologie des acteurs de la filière et l’appel à l’esprit collectif fait lui florès, en particulier dans le rapport Charié. Il nous faudra analyser la manière dont les filières dans d’autres pays produisent un savoir sur leur métier des FSC, en particulier la filière allemande. S’il est difficile en France de parler d’une filière des FSC en tant que telle, cela l’est encore plus à l’échelle mondiale. Les états d’esprit en tout cas divergent largement, en Allemagne, la psychologie comme atout incontestable et singulier des rencontres professionnels, en France la psychologie comme outil d’analyse des défaillances de la filière, mais aussi éventuellement de ces victoires à venir.

L’égoïsme, l’indifférence, l’agressivité et la jalousie, les reproches éloignent les acteurs de la filière du succès. Nous avons vu que la constellation définissait bien comme base des enjeux la nécessité d’une « volonté politique »  et d’un esprit collectif. Mais il faut profiter de l’insistance avec laquelle le député Charié décrit les passions tristes de la filière qui diminuent autant ses puissances d’action et la construction de son collectif. Il les dit, sans y prendre part, décrivant, une à une, ces passions qu’il faut renverser pour devenir productif et efficace. Il s’agit bien, non pas d’éliminer les passions, mais d’en atteindre d’autres, cette fois-ci heureuses, l’attention aux autres en commençant par les clients, le partage, la joie, le goût de créer ensemble, l’ambition (qui a aussi ses travers). La seule passion négative qui reste encore dans cette constellation est celle de la peur instillée par le rappel du constat de perte de compétitivité : il faut « réagir ».

Au fond, cet enjeu de « revitalisation » énoncé dans le rapport Charié ou de fédération des « énergie » est à prendre très au sérieux. Les seules Raison et Méthode ne feront pas l’affaire. La stratégie implique un rôle-clef de la tournure des états d’âme des acteurs de l’activité.

Cette place donnée aux passions a un lien particulier avec le rôle même des FSC de traduire, par leur existence, plus largement des engagements, des grandes causes, d’être des formes d’expression d’un esprit d’une filière, d’un territoire. La psychologie est au cœur de la filière des FSC, déterminante dans la qualité des relations, indispensable à la construction d’un collectif, au tissage des liens.  Elle est aussi l’une des résultantes mêmes et résultats des manifestations qui contribuent à créer un esprit commun, une culture d’une communauté, avec toutes ses portées symboliques sur les marches, entre les nations, etc.

Evidemment, devenir psychologue pour être meilleur stratège n’est pas aisé. Mais nous devons profiter de ce signe et de l’opportunité qu’il peut représenter pour développer l’activité des FSC et son rôle : inclure de manière déterminante des objectifs psychologiques et des actions sur le champ psychologique de l’ensemble de la filière, de ses modes de rencontre à ses finalités.

Les professionnels des FSC sont profondément plongés, certes dans leurs passions propres, mais aussi dans la prise en compte de la psychologie dans les manifestations et les services qu’ils produisent. Mais les mots ne sont pas dits, ou ils restent trop secondaires. On voit apparaître aujourd’hui dans la profession des sujets plus clairs sur « l’engagement », « la fierté »[2], ou sur l’ « enthousiasme »[3]. Apparaît aussi de manière récurrente l’idée qu’il y aurait dans l’organisation des salons français une « french touch ». La psychologie n’est pas donc persona non grata de l’activité des FSC. Reste aujourd’hui à lui donner toute son ampleur.

 

Voilà qu’il faudrait presque s’occuper de l’ « âme » des foires, salons et congrès, ou de leurs « âmes ». Dit ainsi les têtes risquent vite de se détourner, nous tombons dans la fiction ou le fantastique. Pourtant il s’agit en quelque sorte de cela, sans filer le coton du romantisme et les longues clameurs des belles âmes, mais pour insister sur les vertus de cet immatériel, cet incalculable pourtant très efficace. L’âme n’est rien d’autre que le souffle de la vie et si à la place de ce psychologisme facile, nous employions les notions de « live », peut-être nous y retrouvions-nous plus tranquillement. Les FSC sont des phénomènes vivants et cela doit déterminer leur stratégie. Et cette vie a à voir avec la construction d’entente, d’accord entre des acteurs divers, de production de culture commune, de repères et de croyances partagées, de sacré sans doute (depuis si longtemps dans le cœur des foires). Cela n’est pas dit dans notre constellation, nous extrapolons. Mais que la psychologie devienne un levier stratégique pour les FSC, que les FSC soient à leur tour des manières d’inclure dans les filières, les marchés et les territoires, plus largement la société, les leviers de la psychologie, l’information est d’importance. Prenons les simples notions de croyance, de confiance :ne sont-ils pas clefs des échanges, de l’économie, de l’existence sociale. Au cœur du sens des événements se nichent bien les puissances d’une psychologie possible.  Les Foires, Salons et Congrès donnent de l’âme donc. 

 

[1] German Convention Bureau, « The evolution of Germany’s meeting and convention industry, CONVERSATIONS, IDEAS, STORIES », Berlin 2013

[2] Thèmes abordés dans le congrès de l’UNIMEV, SYT -See You There – 2017.

[3] L’anthropologue Bertrand Pulman mène un travail d’enquête avec la fédération UNIMEV. Il présente ainsi son travail lors de la célébration des 50 ans de Promossalons en octobre 2017 : « En tant qu’anthropologue, j’observerai et rencontrerai pendant deux ans les acteurs du secteur, à travers une enquête documentée. J’ai la chance que l’Unimev m’ouvre les portes. Cette relation est gagnant-gagnant. L’étude aboutira à la production d’un livre scientifique, avec un texte sociologique et des photos. Il n’est pas question d’un livre promotionnel. J’essaierai de mettre en relief la force du secteur, l’enthousiasme qui s’en dégage. Ensuite, nous le déclinerons sous des formats plus diversifiés et modernes », extrait du compte-rendu publié par Promosalons de l’événement du 6 octobre 2017 à l’Hôtel Potocki à Paris, intitulé : les mutations du média salon et de son marketing international.

c. Le combat des marges, la libération de la valeur.

Comment se fabriquent les manifestations ? Le député Charié prend le sujet à bras le corps, et il est le seul à le faire de cette manière, en cherchant à identifier le process de création de valeur dans l’organisation d’une manifestation. Il a fait appel à un consultant expert dans le domaine et à importer une méthode d’analyse exploitée dans l’industrie automobile. Peu importe pour nous aujourd’hui la méthode en question, mais plutôt ce qu’elle entraîne avec elle : l’attention à ceux qui fabriquent les manifestations, à tous.

L’ensemble de notre constellation s’est certes intéressé au territoire, à la gouvernance, aux segments de la filière FSC pour s’harmoniser, structurer son accueil et soutenir l’activité des FSC, mais en esquissant à peine la production même des manifestations, leurs machineries. Si le député Charié n’a pas hésité à discerner les tristesses psychologiques d’une filière qui se rend impuissante par ses désaccords, il n’a pas vraiment insisté sur un autre travers de la filière : elle ne se connaît pas, en tout cas pas assez. Un organisateur n’est ni un gestionnaire de sites, ni un prestataire, qu’il soit installateur général, designer d’espace, agence d’hôtesses, coordinateur SPS (Sécurité et Protection de la Santé), prestataire informatique, entreprise et techniciens de l’audio-visuel, etc…Mais il ouvre un passage clair et remarquable en proposant une méthode d’analyse de création de la valeur. Qui crée la valeur de la manifestation finale ? Le rôle des prestataires manquait au regard pourtant très riche porté à l’activité dans la constellation. Le député Charié identifie notamment le vaste combat des acteurs autour de la valeur ajoutée. Elle doit correspondre à une réelle création de services adéquats à des besoins du client final, elle est souvent effacée par la notion de marge qu’il faut – ou pas ? – se partager. Le client est prêt à payer un prix, là se joue la scène bien visible de son achat, mais sous la scène, l’obscène règne et les combats de chaque entreprise pour préserver sa marge et souvent pour les plus petites d’entre elles, sa survie, sont âpres.

La méconnaissance des métiers et des savoir-faire, des apports possibles de chaque prestataire -au-delà de l’hébergement et des acteurs touristique de la destination - accroit l’invisibilité de leur création de valeur possible au profit de la seule mesure quasi monétaire de la marge. Si le client est prêt à donner un prix, la guerre est rude ensuite. Les premiers servis semblent emporter le morceau.

Si le partage de la marge n’est pas juste, la création possible sera amputée d’une part peut-être essentielle et décisive d’elle-même. Combien d’innovation, d’imagination, d’idées nouvelles ne voient pas le jour, écrasées par la soi-disant volonté du client d’« avoir un prix », parce que le prix qu’il était prêt à payer laissait une marge déjà accaparée ? En connaissant les savoir-faire des uns et des autres et leur rôle dans le vaste moteur de la manifestation, la filière peut se donner une chance de multiplier sa créativité, son innovation et la qualité de ses réponses, alors plus compétitives, aux clients finaux.

Comment libérer l’innovation ? Sans doute en développant la créativité. Mais il s’avère qu’elle est souvent bridée par des combats injustes sur le partage de la marge et l’évaluation de la valeur réelle apportée par chacun.

Cette quête du sens de la fabrication est largement corrélative de celle du sens de l’événement et du positionnement des FSC dans les vastes défis modernes des échanges. Elle est reprise ici de l’intérieur, au plus près du peuple des artisans qui œuvrent à la réalisation d’une manifestation. C’est d’ailleurs un des effets indirects bénéfiques de la transformation digitale que les acteurs de la filière doivent mener : le retour en force du rôle déterminant dans la chaîne de valeur des services des prestataires. Reste à ne pas perdre sous la lumière des nouveautés numériques et du big data, les singularités des savoir-faire.

Plus le rôle de chacun sera identifié et valorisé, plus les agrégations et les créations de collectifs entre prestataires pour créer de la valeur pourront avoir lieu. Il ne s’agit donc pas seulement d’attendre ou d’inviter à une volonté politique, ni de renverser les passions tristes de la défaite, mais aussi de savoir qui peut jouer ensemble.

3. Les jeux possibles des territoires

Le territoire était déjà déterminant dans les analyses de la plateforme de bases d’une stratégie pour la filière FSC. Le territoire était alors une entité structurelle, un monde incompressible sans lequel rien des FSC n’était possible. Il déterminait aussi l’engagement des pouvoirs publics. Nous revenons là au territoire, mais cette fois-ci moins abstraitement. Le territoire n’est plus seulement une grande fonction de la machine FSC. Il appartient à une réalité physique et sociale. Et chacun de nos rapporteurs, à sa manière, a interrogé le territoire réel. Le territoire n’existe pas, existent des territoires en France. Et alors que la prédominance parisienne est patente, se pose la question du rééquilibrage des territoires en France, de l’émergence d’autres grands pôles forts des FSC dans le pays français. Le mot « territoire » cache aussi non pas le territoire plus petits et inclus des villes, mais les enjeux spécifiques de l’urbanisation et du rapport privilégié entre FSC et urbanisme. C’est le deuxième jeu possible des territoires, l’accrochage à la grande métamorphose urbaine. L’abstraction du territoire s’effrite une troisième fois devant la réalité européenne. Nous sommes en Europe, faut-il ainsi le dire, leader mondial des FSC, armée des plus grandes infrastructures et d’une histoire immense des FSC. Comment ne pas mettre en série et fédérer les initiatives, les visions stratégiques, certains moyens quand les FSC sont, nous l’avons vu, si articulé avec le « dehors » et les enjeux de sens et de finalité dans les échanges ? Rééquilibrage compétitif des territoire, émergence des enjeux urbains, ouverture à l’échelle européenne constituent trois jeux possibles des territoires et autant de champs à fort potentiel pour fonder des stratégies dans les FSC.

 

a. Rééquilibrage compétitif des territoires en France

Le rapport Margot-Duclot donnait à lire la prédominance parisienne sur le reste de la France, les rapports Plaisait et Charié, s’engageant sur le périmètre entier de la France, répètent que la vision de la filière doit bien se faire à l’échelle de l’ensemble des territoires. « Enjeux pour la revitalisation des territoires : les Foires, Salons et Congrès, la voie du futur ! » intitule le député Charié une des parties de son travail. Bernard Plasait n’oublie pas l’Outre-mer dans ses analyses. Nous avons aussi aperçu déjà cette idée que la cohérence de l’offre française pouvait passer par la structuration de pôles d’excellences dans les FSC en fonction de tel ou tel atout de filières territorialisées.

Mais cela ne suffit pas, et il faut garder cette idée d’une vision pluriterritoriale comme plus que décisive. Paris-Ile de France ne peut pas être la seule région à rivaliser avec les autres grandes régions européennes des FSC. La plupart des salons prioritaires définis dans le contrat de filière sont parisiens, il ne peut pas en être autrement. Le contrat de filière lui-même n’évoque pas tant les régions françaises[1] que cela. Les plus grands parcs des expositions de province ne dépassent pas une activité parfois 10 fois plus petites que leurs homologues étrangers.[2]

S’il devient plus clair que les FSC sont des leviers essentiels des stratégies territoriales, si la croissance des concurrences entre les territoires du monde se fait aussi à coup de grands événements et salons dans des infrastructures adéquates, il semble de plus en plus décisif de se donner en France des objectifs de rééquilibrages massifs de l’activité. Cela signifie qu’il faut envisager de multiplier par 3 ou 4, parfois plus, à long terme l’activité de FSC de telle ou telle région française, y compris parmi celle déjà avancées. Une telle idée ne peut paraître qu’incongrue, ainsi écrite froidement. C’est pourtant ce qui devra se passer pour que la France puisse tenir une quelconque position parmi les leaders mondiaux et jouait sont rôle dans le concert européen et dans les stratégies que l’Union Européenne pourrait aussi envisager sur ce terrain.

Cette mesure de rééquilibrage pourrait faire partie des visions nationales, elle pourrait aussi avoir ses bases en région. L’ébauche de parallèles entreprise avec la carte des pôles de compétitivité pourrait montrer la voie : la construction d’une répartition équilibrée d’excellence FSC sur le territoire français.

b. Faire apparaître les enjeux urbains (loucher vers l’urbain)

Qu’est-ce qu’une métropole aujourd’hui ? Une métropole peut-elle s’abstenir d’une politique sur les Foires, Salons et Congrès ? La ville moderne n’est-elle pas congressuelle et fiéristique ? Et de quelles manières ?

Les questions ne sont pas ainsi posées dans les rapports que nous lisons. Le mot « territoire » emporte toute localité. La question urbaine en tant que telle est invisible, tout comme la croissance de l’urbanisation mondiale et son rapport avec le développement des Foires, Salons et Congrès. Jean-Luc Margot-Duclot prend le temps de développer un discours plus serré autour des notions de « métropole » et de « ville »[3], sûrement par pertinence et sens de la synthèse, probablement aussi parce que la région Paris-Ile de France est très parisienne.

Encapsulée dans les questions d’aménagement et d’infrastructures idoines à développer pour les Foires, Salons et Congrès est repliée toute une série de questions sur le sens même de la ville aujourd’hui, ses relations avec les autres villes du monde, au-delà des nations, la définition de ses limites, la construction de ses objets (un parc des expositions comme objet urbain), l’événementialisation du temps urbain et bien d’autres sujets que nous avons tenté d’aborder dans le corps du livre blanc (voir la partie I sur le paysage de la recherche et la partie 5 sur les champs possibles d’innovation). En tout cas, dès la constellation Charié, Margot-Duclot, Plasait se trouve déjà déposés les germes d’une inclusion de l’urbanisme dans la stratégie de l’activité FSC, non pas dans les bases essentielles des enjeux, mais en marge, comme une bascule possible dans le champ du sens de l’événement, du rapport aux enjeux du monde, sans doute aussi encore des articulations avec la société et la politique.

Que se passerait-il si la « brique » Foires, Salons et Congrès faisait partie des nombreux débats sur les transformations urbaines, les smart cities et autres pensées nouvelles de l’urbanité ? Ce ne sont pas des pensées bien éloignées des acteurs de la profession, mais sans mise au jour. Et il sera possible de lire dans le rapport sur la candidature Paris à l’Expo 2025 des propos bien plus clair sur les interdépendances ville-expo. Il s’agit donc presque de regarder de côté, de loucher pour trouver quelques lignes bien droites d’une stratégie possible pour les FSC. 

Deux ans après le rapport Charié, l’Assemblée lisait le rapport Perben[4] « Imaginer les métropoles d’avenir », citant en prologue une phrase de Pierre Mauroy : « La France n’a pas suffisamment de grandes villes et elle le paie très cher ». Le député Perben inclut bien dans son analyse la place des foires, salons et congrès. Il reprend la liste des catégories qui définissent le processus de métropolisation d’après une étude d’urbanistes, dont celle-là sur « La capacité événementielle : attirer une grande manifestation, être le fédérateur d’événements, c’est se faire connaître au monde »[5]. Il relève bien parmi les faiblesses françaises : « Les faiblesses les plus marquées concernent les domaines liés à l’économie (présence de grands groupes, banques internationales, foires et salons internationaux,...). »[6] Il rappelle plus précisément la situation sur les foires et salons dans les villes[7] (même si nous pouvons regretter de ne pas trouver le rapport Charié dans sa bibliographie). Pas de doute donc, villes et foires, salons et congrès ont bien « une aire » de famille. Malheureusement aucune de ses 19 propositions ne reprendra notre beau sujet. Partie remise. En tout cas, quelque chose est là.

c. L’Europe

Lors des 50 ans de Promosalons en octobre 2017, son représentant en Allemagne conclut son intervention par « Depuis plus de 40 ans, Allemands et Français construisent ensemble des avions. Depuis un an, PSA et Opel affirment vouloir vendre ensemble des voitures. Depuis une semaine, il apparaît que nous pourrions concevoir des trains en commun. Tous les jours, des sociétés allemandes rachètent des sociétés françaises, et inversement. Peut-être qu’un jour, nous verrons naître un nouveau monde des salons franco-allemands. »[8] Cette première vision européenne de l’activité des Foires, Salons et Congrès est plutôt rare et il n’est pas encore sûr que les acteurs soient prêts à s’unir ainsi. 10 ans plus tôt, dans notre constellation, le propos européen n’existe quasiment pas, mais il existe. Bernard Plasait lui laisse quelques lignes [9]dans un paragraphe intitulé « S’orienter vers une stratégie de communication communautaire » : le propos reste donc limité à la mutualisation des moyens de communication pour promouvoir la « destination Europe » face à ses concurrents internationaux sur le marché des grands congrès internationaux. Prenons cette petite flamme.

La dernière étude de l’UFI sur les destinations de salons, « World Map of Exhibition Venues »[10], publiée fin 2017 rappelle que 37 des plus grands parcs des expositions du Monde sont en Europe et que l’Europe détient 45% de l’ensemble des surfaces mondiales d’exposition. Cette donnée toute froide et quantitative n’est qu’un des atouts d’une Europe leader dans les congrès, avec une histoire qui n’est pas encore faite de l’ensemble de l’activité des FSC depuis ses origines. Rappelons aussi que les plus grandes entreprises dans le secteur sont majoritairement européennes. Mais il n‘existe pas encore de vision politique européenne de l’activité des FSC. Pouvons-nous imaginer que l’Union Européenne ne se positionne pas face aux Etats-Unis et à la Chine sur ce marché ? Que seul, chaque pays, Allemagne, Italie, France, Espagne, investisse pour son propre compte alors que le propos à l’échelle du pays français est, lui, d’unir les forces pour construire sa compétitivité. Ce qui serait valable à l’échelle d’un pays, ne le serait pas à celle d’une Union de pays ?

Et de la même manière qu’il peut exister une argumentation sur les base du triptyque Territoire-Gouvernance-Filière FSC, peut se déployer celle qui concerne les ouvertures que sont la transversalité stratégique vers les marchés, les filières et les politiques publiques, le positionnement dans l’économie de la connaissance, l’enjeu des échanges, etc…

Sur l’ensemble de la géographie planétaire, la plus grande part des échanges des Foires, Salons et Congrès ont lieu en Europe ou portée par des Européens. Devons-nous négliger cet atout ? Une stratégie européenne de la filière FSC est encore à écrire et le développement du rôle des FSC dans les politiques de l’Union pourrait devenir un grand objectif d’avenir.

Les FSC sont autant dans un territoire qu’à sa frontière, y compris intérieure, et créent des ponts et des zones de passages avec les autres territoires. C’est pour cette raison qu’il est bien dommageable de ne se tenir qu’à la force en France du territoire francilien alors que les FSC sont là pour cultiver des réseaux dans la géographie du monde. L’idée même de territoire peut inclure l’activité FSC, au point que négliger cette dernière ou la laisser sous-évaluée sur un territoire réduit sa propre territorialité : pas de territoire sans activité FSC.  Les FSC créent par eux-mêmes des jeux entre les territoires, échanges de populations, de commerce, de services, de connaissance, configuration de coopérations, etc…Et les territoires se définissent autant par leur intérieur que par leur extérieur. Les FSC offrent des fonctions de territorialisation par l’extérieur. Le rééquilibrage des territoires d’un pays, l’émergence de pôles FSC solides deviennent une nécessité stratégique. Les FSC sont consubstantielle d’une multiplicité territoriale. La mise en série dans une ligne européenne plus grande poursuit le mouvement presque naturellement, même si aujourd’hui ce chemin n’a rien de spontané. Et l’articulation sur l’enjeu urbain participe en partie de ce même geste de multiplication, même s’il faut l’inscrire aussi dans la spécificité des relations villes-FSC, dans une urbanisation croissante du monde et une idée de ville qui concentre plus encore que l’abstraction territoriale le sous-entendu d’une mise en réseau avec d’autres villes. Au fond comment une filière de la frontière, de l’entre-deux, de l’échange peut-elle être pensée par le filtre d’une centralité territoriale ou administrative ? L’exercice est difficile, son équilibre à peine imaginable et son appropriation par les acteurs sans doute plus ardue encore. Les FSC créent certes des centres, des communautés de partage, mais éphémères, provisoires. Et la simple observation des faits montre surtout leur extrême pluralité. Dans la réalité les FSC sont DES centres, multiples donc et temporaires. Le principe même du territoire, si déterminant dans le triptyque initial Territoire-Gouvernance-Filière fend lui-même l’unité et nous indique la voie : plusieurs centres sans hiérarchie, des variations d’échelles (Villes-Territoires-France-Europe), des mises en série.

 (Extrait du Livre blanc, partie 4 Captation. Captation 2 : Filière)


[1] Le constat est bien fait dans l’analyse des faiblesses, p.13 : « Maillage territorial déséquilibré du fait de la concentration francilienne de l’offre nationale d’infrastructures d’accueil, en comparaison notamment de l’Allemagne (8 villes parmi les plus attractives du monde contre 2 pour la France) »

[2] Messe München, selon l’AUMA, atteignait un CA de 428 M€ en 2016. Munich est jumelé avec Bordeaux. L’entreprise qui gère le parc des expositions, le centre de congrès et plusieurs sites d’événements sur Bordeaux ne dépasse pas les 30 ou 35 M€, alors qu’elle est pourtant parmi les plus grands acteurs français.

[3] Rapport JLMD, p. 14-16

[4] Rapport de Dominique Perben, député du Rhône, à l’Assemblée national, janvier 2008 : « Imaginer les métropoles d’avenir »

[5] Idem p22

[6] Idem, p.24

[7] Idem, p.27 : « Indépendamment de quelques salons de renommés mondiales (FIAC à Paris, Salon de l’Aéronautique et de l’Espace au Bourget, Salon du livre à Francfort), les salons professionnels placent les villes organisatrices au cœur des processus d’échanges et apportent au milieu local une grande facilité de contact avec les milieux professionnels. En Europe, l’Allemagne est le premier pays organisateur devant la France et l’Italie puis l’Espagne et la Grande-Bretagne. Dans ces pays, la plupart des salons se déroulent dans de très grandes villes, renforçant la hiérarchie urbaine. Il faut néanmoins noter que 18 villes françaises accueillent au moins un salon (dont plus de la moitié sont internationaux) alors qu’elles ne sont que 7 en Grande-Bretagne. Des villes sont également bien placées en raison de l'héritage historique de l’Europe des marchands du Moyen-Âge et de la Renaissance. Cologne, Düsseldorf, Nuremberg, Francfort, Munich, Stuttgart et Essen totalisent autant de foires que Paris et Londres réunies ! »

[8] Compte rendu de la célébration des 50 ans de Promosalons, le 6 octobre, à Paris, « Les mutations du média salon et son marketing international », p. 24

[9] Rapport Plasait, p. 54 : « 2. S’orienter vers une stratégie de communication communautaire ? Dans la mesure où, à long terme, la compétition extra-européenne s’intensifiera avec les États-Unis et les pays d’Asie du Sud-Est et du Moyen-Orient, on s’interrogera sur la nécessité d’une communication communautaire sur la destination Europe. Pour cela on pourra étudier la stratégie de communication des États-Unis pour l’accueil des grands congrès internationaux. »

[10] World Map of Exhibition Venues, UFI, 2017

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