Les considérations techniques et pragmatiques pour les professionnels ne manquent pas dans les discours des architectes (plus intensément apparemment dans les cabinets américains comme NBBJ ou HKS), sans être premières. Peut-être est-ce parce que le discours sur la forme englobante et son rapport au monde appartient plus facilement à la réflexion architecturale ? Mais ce n’est pas sûr. Nous savons combien les habitants d’un lieu prime dans le travail architectural. Peut-être les échanges avec les professionnels de l’événement ne sont-ils pas suffisants ? Ces derniers ne sont en tout cas pas les premiers commanditaires et même si les conseils en assistance de maîtrise d’ouvrage présents lors de l’élaboration du cahier des charges sont souvent experts du domaine, un dialogue plus fouillé avec les professionnels serait à prendre en compte, comme au fond l’inverse, l’inclusion plus vive des intentions et objectifs architecturaux dans l’élaboration d’un événement.

A partir des courts descriptifs des projets, nous pouvons répertorier les critères techniques et opérationnels évoqués en six groupes :

  • l’espace utilisable pour les événements,
  • l’entrée hub,
  • la logistique,
  • les techniques du bâtiment, inclus les atouts environnementaux,
  • les dispositifs techniques de communication : l’acoustique et le digital,
  • les enjeux de relations sociales (finalement !).

Au fond, nous verrons que les « habitants » proprement dit n’appartiennent que modestement aux discours. Il est vrai que nous retombons dans un registre plus immatériel et moins mesurable, insaisissable et quel est le peuple qui habite les parcs des expositions ? Qui sont ses habitants ? Il faudra encore chercher.

  1. L’espace utilisable : grande surface sans colonne et modulable

La première considération technique est celle de la taille du Parc des expositions. Elle croise encore la forme globale du lieu, mais elle a directement trait aux potentialités d’accueil et au positionnement sur le marché des événements. L’offre fait la demande, la surface définit les possibles.

Vient ensuite l’argument essentiel et répété à l’envi par tous, architectes et professionnels : l’absence de colonne, de structure, une surface entièrement libre. L’argument lie la prouesse technique et architecturale aux nécessités des manifestations.

Enfin la flexibilité du lieu est un atout : non pas parc des expositions, mais parc des événements, pour les salons et congrès, les concerts, les conventions, des manifestations simultanées sécables. L’espace est modulable et les accès aux différents types d’espaces facilités. Cette modularité peut être clairement affirmée comme un levier de compétitivité (voir le cas de l’Asia World Expo de Lantau à Hong Kong par le cabinet NBBJ[1])

Nous incluons dans ce registre, une notion, à la frontière de la mise à disposition de l’espace et de l’esthétique, sans doute plus fondamentalement du registre de l’esthétique : celle de transparence et avec elle de lumière. Il existe bien une histoire très importante de la transparence dans les architectures d’exposition, à ses débuts dans les expositions universelles, « Crystal Palace », et aujourd’hui comme « air du temps », utilisation minimale des matériaux, exploitation de la lumière du jour, et plus fondamentalement exposition à la lumière, mise au jour sans cache, posture de transparence (voir l’exemple de la construction du Hall 4 du parc d’Hanovre par le cabinet allemand GMP[2]).

  1. L’entrée hub

Nous aurions pu lier ce groupe au précédent, mais il garde un statut particulier. L’entrée centrale des halls d’un parc des expositions, son rôle de façade et de distributeur des flux sont souvent le cœur des projets. Plus encore la porte centrale offre la possibilité à l’architecte de recréer une cohérence architecturale dans un parc fait par l’histoire de styles et de projets différents. L’entrée est donc bien essentielle. L’entrée permet la synthèse.

Le cas de la grande entrée du Parc des expositions de Leipzig est connu. Le cabinet GMP[3] évoque même l’écho aux grandes portes du Moyen-Âge. Citons aussi les cas du projet du cabinet Kadawittfeldarchitektur[4] pour le parc des expositions de Nuremberg ou celui fameux de Herzog et de Meuron pour le Parc des expositions de Bâle.

C’est aussi l’entrée qui pose le mieux toute l’articulation de l’espace du parc des expositions avec le monde extérieur.

  1. La logistique

Le discours sur la circulation des livraisons, la séparation des flux entre ceux des exposants et de leurs besoins et ceux des visiteurs n’est pas dominant, mais il existe, surtout quand le descriptif général du projet est effectivement orienté vers les objectifs d’activité d’événements.

Les parkings ont aussi leur place, rare encore. Ils peuvent faire partie d’un schéma esthétique d’intégration des parkings dans les bâtiments d’exposition en relation avec un concept (cas de l’OMA qui choisit de suivre l’idée d’un parc « compact »). Nous sommes encore loin des investissements et des priorités manifestées dans la grande distribution ou dans les aéroports[5].

  1. Les techniques du bâtiment

Discours plus rare dans les textes courts de présentation des projets, sans doute plus dense ailleurs, est celui sur la machinerie du bâtiment : climatisation, installations électriques. Quelques mots sur le dispositif de réseaux des fluides mis à disposition des exposants sont aussi possibles.

Peut-être est-ce le biais de notre recherche trop limitée ? Le thème de l’environnement est peu développé. Il apparaît très clairement dans le projet de l’agence Wilmotte et Associés à Sao Paolo[6], sans doute aussi en raison d’une collaboration très serrée avec l’exploitant GL events qui s’engage sur ce registre. C’est aussi le cas du projet de Dominique Perrault à Leon en Espagne, avec l’usage notamment d’un toit de captation d’énergie solaire[7]. En revanche cet argument sera toujours largement mis en valeur par les exploitants des parcs des expositions si tant est qu’ils aient le dispositif technique sur leur parc qui permet de le justifier.

  1. Les techniques de communication : acoustique et digital

La question de l’acoustique du parc des expositions est abordée dans le cas limité des espaces sécables et de l’isolation sonore des espaces séparés, rien de plus (peut-être là encore un défaut de notre recherche). Il est certain pourtant que l’acoustique des parcs des expositions comme grand lieu de « conversations » est un champ majeur d’investigation et d’évolution des performances de communication des manifestations.

Le digital, si central aujourd’hui dans n’importe quelle discussion sur l’évolution de la filière, ne semble pas faire partie des registres de l’architecture. Nous savons pourtant qu’aujourd’hui la question peut se poser très pragmatiquement lors du lancement d’un projet de parc des expositions. Il arrive que devant l’importance des investissements en jeu, cette partie soit sacrifiée. Il est vrai aussi que la profession elle-même de l’événement, certes engagée dans les discussions sur le sujet, mais aussi un peu parce que le train est passé si vite et qu’il n’a pas été exactement pris au bon moment, n’est pas la première à décider d’investissement prioritaire pour le digital dans ses projets. Le digital vient encore après. L’architecture ne aide donc peu à inverser la tendance.

 

  1. L’enjeu des relations sociales

Osons dire que nous y sommes enfin. Il est extraordinaire de voir combien la thématique des relations sociales et avec elle, celle de l’usage du parc des expositions par ses « habitants éphémères » sont très peu incluse dans le discours des projets architecturaux, en tout cas dans les courts résumés. Ils ne sont pas décisifs au point d’être incontournables dans le moindre discours sur l’architecture d’un lieu. La question centrale de la marche (à pied) n’apparaît qu’à travers la question des flux, de l’accessibilité des espaces, mais très peu dans sa dimension individuelle et immatériel. Les parcs des expositions sont pourtant d’immenses lieux de marche.

Le discours sur les « habitants » apparaît au travers d’un discours pragmatiques sur les cibles. De notre échantillon, seul le cabinet américain HKS semble vraiment l’énoncer : « Today’s great convention centers are gathering places reimagined and reinvigorated to reflect not only the unique locales and vibrant cultures they inhabit but also the very events held within them. HKS approaches each project with three key design elements in mind: creating convention facilities that evoke the right balance of practical, emotional and aesthetic experiences; connecting people to one other and the event; and enhancing the spirit of communities in direct relationship with the venue[8] ».

 

La question de la sécurité des personnes si présente dans l’histoire des foires et si nécessaires aux commerces qui s’y déroulent n’apparaît pas.

 

Il faudrait interroger les architectes pour savoir pourquoi ce sujet si central dans leur propre réflexion et approche de leur métier n’est que peu énoncé. Mais la filière elle-même de l’évènement énonce-t-elle avec force et information qui sont les « habitemps » de ces manifestations et les praticiens de ces espaces ?

Abordons un petit sujet, pourtant majeur, celui des toilettes. Il suffit de consulter les beaux et grands livres de recension des restaurants branchés pour y trouver un chapitre sur les toilettes quand ce n’est pas un livre dédié : le design s’y exprime à plein. Demandons à un organisateur ses batailles et les conflits qu’il a essuyés en raison de toilettes insuffisantes et si peu amènes. Les batailles de la communication se jouent aussi là. L’architecture a su réinventer la cuisine et la salle de bain dans les logements collectifs et les maisons particulières, le destin des espaces changent, leur forme et leur hiérarchie. La ville de Paris dans sa stratégie touristique n’oublie pas la multiplication des toilettes publiques pour ses touristes. Bien sûr le sujet suscite l’ombre. Il n’est pas d’exposition réussie sans lui. Il est certain qu’il peut difficilement trouver sa place dans quelques lignes synthétiques pour décrire un grand projet architectural, comme bien des analyses sur les modes de vie des habitants des parcs des expositions.

 

L’analyse des discours synthétiques sur les projets architecturaux passent bien le spectre des arguments qui se retrouveront dans la profession : le territoire, le rapport à la ville, les questions techniques. Les deux premiers types d’arguments ont la part plus belle, plus proches des enjeux politiques, symboliques et esthétiques. Ils importent au plus haut degré dans l’ensemble des enjeux de la filière et au cœur des évolutions de l’organisation de manifestation. Les questions techniques, elles, restent encore annexes, elles peuvent pourtant permettre le lien très concret avec les enjeux d’habitabilité et d’adaptation aux publics qui fréquentent les parcs. Ce premier paysage de catégories de discours ne peut être qu’une invitation à creuser et à construire un dialogue riche entre les architectes et les professionnels des Foires, Salons et Congrès.

 (extrait du Livre Blanc, Partie 5, NUNDINOGRAPHIE, RDI, III. B. PLAN INNOVATION QUATRE 2. Architecture 2. Les discours des architectes c. Axe technique et habitants -)

 

[1] http://www.nbbj.com/work/asia-world-expo/

After losing revenue due to increased competition from facilities in the region, the City of Hong Kong asked NBBJ to develop a scheme for Asia World Expo that would attract new business and maximize flexibility.

The completed design is flexible both in terms of the events it hosts and the speed in which changeover takes place. For example, the design can accommodate a 14,000 person concert one day and a 70,000 square meter convention the next. (…)

Since its opening, the expo has hosted the ITU Telecom World Conference and the Asian Aerospace Conference, as well as concerts by Lady Gaga, Eric Clapton and Green Day

[4] http://www.kadawittfeldarchitektur.de/projekte/projekt-aktion/filter/projekt-kategorie/messe.html : « ADDED VALUE Anstatt der seit den 60er Jahren mehrfach ergänzten Messelandschaft lediglich einen weiteren additiven Baustein hinzuzufügen, schafft der Entwurf mit dem 250m langen Lamellendach zusätzlich ein Superzeichen, das mehrere Funktionen gleichzeitig erfüllt: Es ordnet die verschiedenen Bauteile der Messe, gibt ihr eine eindeutige Adresse, verbindet Innen- und Außenräume und definiert ein „urbanes Foyer“, das sich von der Zufahrt über den Vorplatz, den Eingang, das Hauptfoyer bis in den neuen Messepark erstreckt“

[5] Il faudrait peut-être consacrer du temps à une étude sur les parkings des parcs des expositions. Koelnmesse a ainsi avec la ville investit dans un nouveau parking dans le cadre de sa stratégie Koelnmesse 3.0 : Messeparkhaus Zoobruecke d’un peu plus de 3000 place. www.koelnmesse.de

Les architectes nous décrivent la technique du bâtiment et évoquent les relations sociales
Tag(s) : #Livre blanc - Nundinographie RDI, #Livre blanc, #Architecture, urbanisme
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