La place du marché du village n’est pas vide et morte hors de ses marchés. L’église tient encore sa force hors les messes, elle est d’une manière ou d’une autre présente à elle-même, y compris par son silence, prête à accueillir un fidèle isolé, un passant et de plus en plus de touristes. Place de marché, église, rues vivent, existent même lorsque rien ne s’y passe. Il n’en est pas de même des parcs des expositions. Sans événements, ils ne vivent plus et ce n’est pas les déplacements et chantiers des équipes de maintenance ou techniques, la visite faite à un client pour une future manifestation qui suffisent au retour de leur vitalité. Ce vide est mystérieux, d’autant plus que dans la ville de plus en plus dense, autant d’espace et de volume libres sans utilité, uniquement dans l’attente, semblent un luxe immense, une aberration. C’est aussi le destin des villes touristiques de ne se remplir que quelques mois de l’année, d’une vie donc saisonnière.
L’appel du vide et les morts éphémères de l’urbain
En construisant des parcs des expositions, nous construisons des grandes plages de vide dans le champ urbain. L’urbain se saisonnalise en fonction des variations de vie sociale de communautés professionnelles et des populations. Toutefois la saisonnalité n’est pas un souhait, simplement la conséquence de l’activité de l’événement.
Ce vide gêne fondamentalement. Il appelle à être rempli, il appelle la ville. Dans un article du Figaro d’avril 2013, Christine Binswanger, l'un des cinq senior partners de l'agence Herzog & de Meuron, impliquée dans le projet de métamorphose du Parc des expositions de Bâle est citée : «Une foire ou un salon a une durée de vie limitée. Au mieux, ce n'est qu'une cinquantaine de jours d'exploitation par an. D'où l'idée d'intégrer la ville dans cette nouvelle architecture, en laissant passer la circulation des tramways, en couvrant une partie de la place pour s'imposer comme un lieu de rencontres, en créant des activités tertiaires, comme des salles de congrès, des restaurants, des bars ou des boutiques hébergés dans le City Lounge.»[1] L’un des plus grands axes d’innovation des Foires, Salons et Congrès est lié à l’articulation de leur activité avec la ville, à leur rôle dans la définition et la construction de l’urbain.
Pas d’innovation dans les Foires, Salons et Congrès sans pensée de l’urbain. Nous passons de l’enveloppe symbolique du territoire, qu’il soit urbain ou régional, au creux du bâti qui interroge la nature même de l’urbain parce qu’il est un vide possible, une absence, le contraire d’un lieu de vie. Un parc des expositions est aussi le lieu des morts éphémères de la ville, à l’inverse des éclats des manifestations. Il est une manière pour l’urbain d’éprouver sa fin, sa limite. Il est aussi une manière de repousser sa limite, la construction d’un parc des expositions étant aussi un levier pour coloniser du non-urbain et la création une ville nouvelle ou un morceau nouveau de la ville. La frénésie, l’extrême densité de populations et de vie pendant les manifestations participent à la constitution de ce vide, elle le définisse comme les notes de musique les silences qui les séparent.
Mécanismes de densification et de création de l’urbain
Cet aller-retour entre le plein et le vide comme moteur et appel de l’urbain est essentiel. Il participe à plusieurs mécanismes de densification et de création de l’urbain :
- Développement au sein du parc des expositions de lieu en connexion directe avec le reste de la vie de la ville : continuité de rues, transports, places. C’est par exemple le cas du Parc des expositions de Bâle.
- Création d’une proximité avec d’autres activités dans un sorte de grand « hub », envisagé dans un plan urbain. Le parc des expositions de Karamay en Mongolie chinoise : « The chosen site for the Karamay Expo determined its role in the city as a multifunctional hub: to the north, it connects to the southern central business district; to the south, the University campus; on either side, to the geological park and the science and technology district. As a result, though the Karamay Expo District primarily supports exhibition and conference services, it also links commercial, office, residential, leisure and entertainment areas. »[2]. Le nouveau Parc des expositions de Shenzen intégrera les transports et une forte proximité avec des centres d’affaires et de logistique[3].
- Orientation naturelle vers les enjeux touristiques. Le projet de transformation du Parc des expositions de Herning au Danemark par le cabinet Cubo est décrit comme devant servir « as an even bigger tourist attraction”[4]. A Quingdao, le parc des expositions (cabinet NBBJ) participe à la stratégie de positionnement de la nouvelle Water City à Ashoan sur le marché touristique[5].
- Le parc des expositions devient une ville dense en tant que telle. L’équipe de l’OMA qui a dessiné de projet du Parc des expositions de Toulouse définit celui-là comme une “machine”, “a condenser of diversity”, “a compact mini-city”[6]. L’objet parc était inclus, dans le projet originel, dans une bande plus longue[7] qui devait intégrer d‘autres infrastructures et services et qui se positionnait comme une frontière à l’extension de la ville.
Exposition du parc des expositions ou exposition de la ville
Le Parc des expositions est bien une « exposition » de la ville (rôle symbolique, repère identitaire » et une manière urbaine de « poser » de la ville, de la fabriquer, par ses limites. Il existe bien un rôle de sécrétion urbaine d’un parc des expositions, par son existence et son rôle de conteneur de manifestations, mais hors même des manifestations elles-mêmes. Dans la même lignée se diffusent de plus en plus d’idées autour de la transformation partielle d’un parc des expositions en lieu d’activités sédentaires et continues : intégration de pépinière d’entreprise, de pôle d’innovation, d’écoles, de tiers-lieux…En même temps que la continuité du parc des expositions avec la ville est un des grands objectifs des projets en cours, les fonctions urbaines sont aussi imaginées entrant DANS le parc des expositions.
Mais comme par un mouvement inverse, la ville elle-même devient de plus en plus lieu d’exposition et d’événements en tant que telle. Nous ne pouvons qu’admirer le cas du dernier projet du Pont Jean-Jacques Bosc[8] de Rem Koolhaas à Bordeaux, en association avec Clément Blanchet : le pont est évolutif, plus large, pour pouvoir se transformer en lieu d’accueil d’événements. La ville se crée son parc des expositions, son nouveau champ de foire, en dehors de son parc des expositions (par ailleurs aussi en projet de rénovation et d’amélioration remarquable), et là encore en franchissant ce qui fut longtemps sa limite, la Garonne.
Une part de l’innovation dans les Foires, Salons et Congrès est donc sur cette crête, d’un côté la ville-événement, de l’autre l’événement-ville. Quelle ville désirons-nous ? Quelle urbanité ? Quel habitat ? Quelque chose d’important pour l’avenir des Foires, Salons et Congrès est dans ces environs, quand la ville se plie par elle-même via l’événement, rentre en son sein et simultanément sort d’elle-même : la ville dans la ville hors la ville.
(extrait du Livre Blanc, Partie 5, NUNDINOGRAPHIE, RDI, III. B. PLAN INNOVATION QUATRE 2. Architecture 2. Les discours des architectes b. Axe ville -)
[1] Article du Figaro, « L'architecture de l'agence Herzog & de Meuron métamorphose Bâle » par Béatrice De Rochebouet, publié le 25/04/2013 à 07:00
[2] http://www.nbbj.com/work/karamay-expo-district-master-plan/
[3] http://sportsvenuebusiness.com/index.php/2017/06/15/smg-manage-new-shenzen-world-one-worlds-largest-exhibition-convention-centres/ : « The project, with focus on the function of convention and exhibition, will integrate regional transportation hubs like airport, railways, and functional clusters closely related to airport economy, such as clusters for business and trade connected to convention and exhibition, innovative research and development, international logistics, will be developed. ». SMG est un groupe américain dont une des activités est l’exploitation de destination (à l’instar du groupe français GL events. Le groupe SMG sera exploitant du nouveau parc des expositions de SHenzen.
[7] http://www.abitare.it/en/design-en/2011/07/07/oma-to-build-pex-in-toulouse/?refresh_ce-cp : « Rather than spreading across the entire available site – a patchwork of open fields and sporadic developments – OMA chose to designate a strip of 2.8 kilometers long and 320 metre wide, crossed by the RD902 highway. The strip will act as a zone for future developments and link the river Garonne at one extreme and the Airbus A380 factory on the other.”
[8] http://oma.eu/projects/jean-jacques-bosc-bridge
OMA's stripped-down design for the Pont Jean-Jacques Bosc attempts to rethink the civic function and symbolism of a 21st century bridge. A platform 44 metres wide and 549 metres long is stretched ...
The new Parc des Expositions (PEX), in the innovation zone of Toulouse, southern France, is a project that is not only about architecture, but infrastructure. PEX is designed to be a condenser for ...
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