Un indicateur à côté de ceux sur les brevets et les publications

Le Conseil Européen extraordinaire de mars 2000[1] à Lisbonne insistait sur le rôle déterminant de l’économie de la connaissance pour la compétitivité européenne future dans le monde. 3% du PIB européen devront être consacrés à la R&D à moyen terme. Outre la part du PIB, l’évaluation de la recherche devient de plus en plus primordiale. Or celle-ci se fait très largement sur deux grands indicateurs : le niveau de brevets déposés et la quantité de publications produites. Or aucune recherche valable ni innovation ne sont envisageables sans des communautés scientifiques, et ces communautés pour se créer et vivre ont besoin d’échanges, de rencontres de toutes sortes, dont les congrès, les colloques, les séminaires, l’ensemble de toutes les pratiques de discussion, de débat, de rites communs de reconnaissance entre pairs ? Pourquoi ne pas introduire comme troisième grand indicateur du niveau de recherche d’un territoire, d’un pays, d’une communauté de pays, « un indicateur de rencontres scientifiques » ? Outre qu’il déplacerait l’observation de la recherche de ces seuls résultats à l’observation de son existence et de sa vitalité humaine, il pourrait contribuer à valoriser effectivement dans les politiques publiques de la Recherche, nationale ou européenne, les investissements dans la vie commune scientifique, le partage et l’ « union » scientifique. 

Le portrait complexe et fin de l'activité de congrès scientifiques sur un territoire est rarement (jamais ?) peint

Allons voir d’abord dans le jardin des professionnels des rencontres. Le constat peut au moins y être dressé : il n’existe aucune réelle indication de l’activité congrès d’un territoire. Régionalement, les politiques comme les professionnels se concentrent facilement sur l’activité de congrès des sites dédiés, en l’occurrence les centres de congrès. Rarement, voire jamais, n’est donnée sur une année la moindre quantification des congrès ou colloques scientifiques de l’ensemble du territoire. Une grande ville de province, universitaire, aura une quarantaine de congrès dans les murs de son centre de congrès, congrès pour une bonne part scientifiques. Combien de congrès de plus petites tailles mais tout aussi importants, parfois plus pour la Recherche, dans les universités, les laboratoires, les lieux plus marginaux de rencontres ? Disons dix ou quinze fois plus. Il faudrait passer du temps pour peindre le portrait de cette riche et complexe activité sociale scientifique qui assure les avancées, la production d’idées, de fictions aussi et plus pragmatiquement les bases de la compétitivité. Des synthèses seraient possibles pour montrer des concentrations sur certains sujets, pour reconnaître les nouvelles pléiades, pour identifier des perspectives ou des chemins de traverses. Que savons-nous de la vie de nos communautés scientifiques ? Peu. Or la science est celle des hommes.

Faut-il donc attendre les résultats des courses aux brevets et publications pour sentir les forces possibles d’une communauté de chercheurs et les atouts d’un pays ? Les professionnels des foires, salons et congrès ont donc une mission, celle de contribuer à la reconnaissance de l’existence sociale scientifique, et ainsi de jouer leur propre rôle pour sa dynamisation, et son encouragement. La vue est plus panoramique si les professionnels acceptent d’aller au-delà de leur mission de logisticiens et de déterminer les possibilités d’un engagement social plus riche et plus complexe. Il ne s’agit pas de sortir de sa place, mais de lui donner une résonnance plus proche des enjeux de notre société moderne. L’économie et les intérêts des affaires n’y sont pas sacrifiés, ils s’intègrent à un système d’échelle supérieure qui aura besoin de les soutenir pour fonctionner. Les professionnels des FSC et les chercheurs pourraient créer un projet de recherche commun sur la détermination du meilleur indicateur possible de cette effervescence sociale à des fins de développement des politiques de rencontres scientifiques et d’accroissement de la compétitivité de l’économie de la connaissance d’un territoire.

Une sortie de l'économique au cœur de l'économie de la connaissance ?

L'économie de la connaissance est bien plus charmeuse que l’économie tout court, mais n’éloigne pas forcément moins de la connaissance elle-même. La recherche le sait, transformée par les exigences de la compétitivité en usine de production, au fond à son corps défendant. La science se trouve encore une fois enrôlée dans un dispositif guerrier. Il devient alors autrement pertinent de jouer la carte des congrès, plus largement des Foires, Salons et Congrès, dans le dispositif de structuration et de levier concurrentiel de l’économie de la connaissance, car elle est celle d’un mécanisme non-guerrier, pacifiant et démocratique. La science retrouve un terrain de gratuité dans les rencontres, même si nous le savons les congrès ne sont pas épargnés des querelles de clochers, des prestiges divergents, des brillances inégales de toute société humaine, des luttes pour les intérêts les moins élevés, sans compter bien sûr parfois sur les sujets « sensibles » des prudences à l’égard de l’espionnage des « puissances ennemies ». Mais les travers ne suffisent pas à relativiser les potentiels des échanges ouverts entre chercheurs.

L’objectif d’identifier et de mesurer l’effervescence sociale scientifique servirait à la fois les intérêts de déploiement des politiques et de réintroduction de modes de fonctionnement gratuits et non mesurables, les échanges, vitaux pour la Recherche. Il existe bien une opportunité de réintroduire du social et de l’humain dans la science, au bénéfice de tous. Et l’Europe, peut-être terre mère des Foires, Salons et Congrès y gagnerait une marque supplémentaire d’une singularité possible.

Construire l'expertise des chercheurs sur les échanges scientifiques

Dans un contexte schématique d’industrialisation de la Recherche, les chercheurs auront aussi besoin de plus en plus de maîtriser leurs pratiques d’échanges et plus généralement d’être capables de définir et de déployer des stratégies de communication et de médiation scientifiques. Il y a bien, avant même une recherche sur les objets foires, salons, congrès, un investissement utile des chercheurs dans les savoir-faire et les pratiques des foires, salons et congrès, comme méthode de développement de la recherche.

Les concentrations administratives et managériales des universités et des laboratoires, le développement de réseaux d’excellence, l’articulation croissante des pôles scientifiques avec les enjeux de territoire conduisent à des besoins de professionnalisation des moyens d’échanges : il peut être très riche d’enseignement pour les chercheurs d’accroître une expertise sur l’organisation de manifestations, et cela « de l’intérieur » en participant à l’évolution, voire aux renouvellements du genre. Ils créeront des liens structurels avec les professionnels de l’organisation de manifestations et renforceront, très pragmatiquement, à la fois les investissements pour les échanges scientifiques et l’affirmation de leurs objectifs, qu’ils soient de nature scientifique ou politique.

 (extrait du Livre Blanc, Partie 5, NUNDINOGRAPHIE, RDI, Faciliter la recherche)

Tag(s) : #Livre blanc - Nundinographie RDI
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