Les Foires, Salons, Congrès, fabriques à temps, 2022
Quand les Foires, Salons, Congrès cessent leur mouvement de vie en temps de pandémie en 2022, au premier quart du XXIème siècle en pleine visibilité des bascules du climat et de la biodiversité, se lèvent le vent et cette autre question : sont-ils si futiles, et si peu, de pouvoir disparaître ainsi ? Qu’avons-nous fabriqué avec ces manifestations tout ce temps ? Or ces dernières ont aussi histoire liée avec notre ère de production qui aujourd’hui touche aux confins écologiques et vitaux. Ce n’est plus rien.
Les foires, salons et congrès ne sont pas grand-chose quand le mouvement du monde s’arrête drôlement en raison ou déraison d’une pandémie (et peut-être aussi quand rien ne s’arrête ?). Que s’est-il passé ? Nous ne savons pas le dire. Mais il est vrai que les manifestations furent suspendues, tout comme la grande machine à production mondiale, en tout cas dans ses parties les plus visibles. Or dans un évènement organisé -à ne pas confondre malgré son homonymie avec les évènements de notre présent et de l’histoire ? -, ce sont les ratés, les échecs, les obstacles au parcours des participants, qui provoquent la prise de conscience qu’il ne sort pas tout fait de quelque cuisse divine, mais que des femmes et des hommes ont contribués à sa fabrication. Quand les foires, salons et congrès ne peuvent plus avoir lieu, deviennent visibles leur fabrication et la fragile et passionnée cohorte de leurs fabricants. Mais cette nouvelle manifestation de mouvements et de ses acteurs, d’habitude si oubliée, lance en même temps un autre signe, celui de rappeler combien les Foires, Salons et Congrès ont partie liée avec les grandes fabriques de notre modernité, comme s’ils n’étaient pas si accidentels que cela dans notre histoire et notre présent, dans ce que nous sommes. Or cela n’est pas une petite affaire quand les efficacités de la production moderne atteignent les limites physiques et biologiques de notre planète. En tout cas, nous ne voyons pas clair et il nous faut plisser les yeux, au cas où quelque chose serait éventuellement discernable. Ce que nous allons tenter de faire.
Les petits bouchons dans l’océan des évènements pour de vrai
Entre chien et loup, quand les distinctions ne se voient pas d’un premier coup d’œil, mais que chaque ombre laisse présager un monde possible qu’il faut tenir le plus longtemps du regard pour en saisir un bout, peut-être est-ce le moment où nous sommes avec ces phénomènes de rencontres que l’on appelle encore les Foires, Salons et Congrès (quand on ne les a pas ramassés d’une seule poignée sous le nom d’Evènement) ? Que sont donc les foires, salons et congrès ? Et cette question n’est pas exactement une recherche de définition, mais plutôt une quête pour savoir ce que nous sommes, quand nous faisons une foire, un salon ou un congrès, que nous soyons participants, visiteurs, exposants, organisateurs, prestataires ou gestionnaires de site. Il peut paraître étrange de se poser encore la question, d’autant plus que l’absence éventuelle de réponse n’empêche pas d’en faire, de ces manifestations qui nous font vivre !
Mais c’est l’heure qui s’y prête après plus de vingt d’ans de révolution numérique et internet, pendant une pandémie de COVID 19 et ses modes inédits de gestion par les Etats qui ont interdit leur existence et alors que la catastrophe écologique est déjà en cours. Nos fameux « évènements » organisés sont de bien petits bouchons dans l’océan des évènements pour de vrai qui transforment et l’histoire et l’humanité et la terre, tous bien liés d’abord et avant tout à l’existence des hommes.
Couper la brume du complexe
Nous sommes entre chien et loup, ou nous sommes dans le brouillard de la complexité du monde, qui n’est pas seulement l’obstacle dressé de nos limites individuelles d’intelligence, mais plutôt les nœuds inextricables à tout intelligence qui croit que comprendre est mettre à plat l’ensemble des éléments en présence. Nos analyses n’y suffiront pas, nous n’en atteindrons jamais la fin. Il vaut mieux s’aventurer à couper dans la brume épaisse, à se créer un passage, c’est notre meilleure manière d’affronter le complexe. Mais où et quand ? Car se résoudre à n’avoir pas l’intelligence de tout ne signifie pas pour autant faire n’importe quoi. Et c’est là que Foires, Salons et Congrès, comme rencontres collectives, tissus de relations entre des personnes, couplages aussi de l’économie, du social, de la politique, de la culture et des savoirs (mais cela peut ne pas « marcher », quand l’importance de ce couplage est oublié au seule bénéfice de l’économie), peuvent apparaître comme les instruments qui peuvent permettre d’entrer dans cette complexité et y participer activement, d’en saisir les lignes de forces, les chemins ou les batailles pour nos propres décisions et actions.
Les fabrications et la fabrique des Foires, Salons, Congrès
Cette quête est donc moins celle d’une définition que la recherche de ce que nous fabriquons, que fabriquons-nous quand nous organisons ou participons à une foire, un salon ou un congrès ? Les manifestations sont des fêtes qui semblent immédiates, esthétiques, tombées du ciel, il faut seulement qu’un accident arrive, qu’une pandémie vide les coquilles des parcs d’expositions et des centres de congrès pour se dire que peut-être cette immédiateté ne vient pas toute seule, mais est l’effet d’opérations. Et la profession a dû passer bien du temps pour rendre visible sa propre existence et sortir les Foires, Salons et Congrès d’une vision magique : elles sont le fruit de travaux, de savoir-faire, de temps qui passe longtemps avant de se tenir dans un temps et un lieu donnés. Et à se tourner vers une fabrication possible des manifestations revient à la mémoire que les Foires, Salons et Congrès ont eux-mêmes accompagné la vie des manufactures, des industries, en bref des fabriques de toutes sortes qui produisaient des objets, des technologies, des savoirs et du commerce. Les FSC appartiennent largement aux cycles des productions aussi bien industrielles, artisanales et même artistiques. Les rencontres qui s’y déroulent et qui s’y construisent, les paroles, les gestes, les contrats, les prestiges et les signes multiples appartiennent aux process de production en tout genre. Et ceux-là ne naissent pas sans être conditionnés par l’existence même des marchés et des publics sur une géographie planétaire.
Ce qu’est même la production aujourd’hui, produire, faire, fabriquer, ne peut se déprendre de l’existence des manifestations et de leur propre fabrication. Le savons-nous seulement ? Peut-être la pandémie a-t-elle laisser entendre cette correspondance entre les FSC, les fabricants, les fabrications, les choses fabriquées et les utilisateurs finaux.
Fabriquer des fissures dans notre ère de production industrielle puisque l’univers est clos
Toutefois, la fabrication aujourd’hui semble largement dominée d’abord par l’industrialisation, les réussites des technologies et une certaine vaste économie de la consommation (au bénéfice d’une part seulement des hommes), en tout cas au point de ne laisser voir les multiples autres modes de fabrication. Et cette ère de production industrielle et consommatoire, la situation du climat et de la biodiversité nous le manifestent, arrive à sa fin, de gré ou de force, la planète étant pour elle épuisée.
Alors si les FSC ont partie liée à ce qu’est la production, s’interroger sur la fabrication des FSC est peut-être une manière d’affronter la complexité de notre situation et percer dans son épaisseur une voie pour interroger ce que peut devenir la production, et contribuer à ses transformations et aux évolutions de ses rapports de forces. Les foires, salons et congrès ne sont pas des plateformes immobiles et sereines dans un monde qui tourne rond, mais des champs d’encastrement entre les dimensions les plus hétérogènes de l’existence, économique, sociale, politique, culturelle, scientifique et technique. Si nous sommes confinés et privés de foires, salons et congrès en plein COVID, si la planète même est manifestement un univers clos, qui pourra mourir au milieu même des espaces infinis des étoiles, il existe bien une ouverture dans ce monde que peuvent proposer les Foires, Salons et Congrès, des fentes dans la grande production, des micro-résistances et transgressions au cœur des réseaux d’échanges les plus capitalistes. Dès que l’on s’interroge sur ce qu’on fabrique, mais que fabriquez-vous ?, avec les FSC, des changements sont possibles de ce qu’est même notre ère de production. Quelque chose est par là à chercher.
Les foires du bassin antique de la Méditerranée ne sont pas celles des échanges du XVème siècle, ni celles rejetées aux temps révolutionnaires et relancées sous l’énergie progressiste des expositions universelles, avec l’émergence des congrès aussi bien sur des mouvements sociaux, des enjeux économiques ou que sur la constitution de disciplines scientifiques, encore moins celles des manifestations foires, salons et congrès du XXIème siècle des méga-plateformes internet de commerce, d’information, de conversation, de l’urbanisation massive et de l’internationalisation de toutes nos dépendances les uns avec les autres. Les FSC sont leviers de mutations et peuvent fabriquer du temps. Que fabriquons nous avec les FSC ? Un certain temps qui peut contribuer à changer notre présent et notre histoire au cœur même d’une économie de la production.
Fabriquer à temps, « sauve qui peut la vie »
Ainsi il devient possible de se dire que les FSC comme évènements organisés ne sont pas seulement des artifices qui peuvent s’effacer sous l’onde de choc des évènements réels de la planète, les pandémies, le changement climatique, les guerres, mais des situations de batailles et de mutations possibles de notre histoire ou plus largement de nos histoires. Ce temps-là que nous fabriquons, sans nécessairement savoir comment, autrement qu’en fabriquant des Foires, Salons et Congrès, c’est une manière de devenir, de nous faire nous-mêmes, de faire ce que nous sommes. La fabrique des FSC est une fabrique possible de notre propre présent et de notre propre existence, y compris quand il faut se dire « sauve qui peut la vie », pour reprendre le titre de Godard, puisque la vie risque sérieusement de devenir impossible. Et les professionnels des Foires, Salons et Congrès ne disent-ils pas que quoi qu’il arrive la manifestation devra ouvrir à temps, ni avant ni après, mais à l’heure dite. Organiser une manifestation exige de fabriquer dans les temps et à temps. Et comme il semble que nous n’ayons plus tant de temps que cela, peut-être les répétitions, les scansions calendaires des FSC qui tournent sur terre peuvent-elles aussi nous donner le rythme pour devenir autre, produire autrement, à temps, certes non plus avant qu’il soit trop tard, puisque nous sommes déjà dans le déroulement de la catastrophe écologique, mais pour trouver des pistes pour nous tenir à la hauteur de ce qui arrive et de ce que nous pouvons et pourrons fabriquer avec nos vies.
Futilités et grandes vacances
-N'est-ce pas incongru de donner à ces bruissements et conversations des FSC dans les tonnerres planétaires un rôle si grand de rendre possible des bascules décisives ? Et vous n’y trouvez que des saltimbanques.
-Il n’y eu jamais autant de manifestations qu’aujourd’hui hors silence pandémique. Et c’est important de rester saltimbanques au milieu même des plus grosses machines : on ne sait jamais, il va peut-être falloir savoir sauter par-dessus le gué ?
-La vanité, le futile, qui s’effacent dès que les virus circulent.
- Ah mince, nous aurions dû parler du théâtre des foires qui riait avec le public contre les rois, la mince ombre des histoires qui éclipsent, le temps de respirer, les soleils. Les machines elles-mêmes sur les salons prennent des vacances, enfin déchaînées de leur rythme de production. Voilà une piste : fabriquer des vacances par incise sur la géographie planétaire. Les foires elles-mêmes se disaient hier feriae, comme les jours fériés.
- Peut-être alors à vous suivre, est-cela qui s’est passé, la manière de conduire cette pandémie comme arrêt de la production et dépenses exceptionnelles de richesses que l’on croyait impossibles serait un rêve de grande foire ?
- L’organisation, Les rencontres, les localisations, les dates, les routes, en gros le pluralisme en moins, mais soit prenons cela comme signe favorable éventuel d’un désir de sortir de la chaîne. ¢
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Les Cahiers Recherche et Innovation, Foires, Salons, Congrès, N°8, Mai 2022 - nundinotopia.com