Nous avons, dans le cadre de la rédaction du Livre Blanc sur la Recherche et l’Innovation dans les Foires, Salons et Congrès, réservé une partie à la captation et la création de savoirs via l’enseignement lié à l’activité des Foires, Salons et Congrès et les nombreux rapports et études qui paraissent au sein de la filière dans le monde. Il s’agit de la 4ème partie : CAPTATION.
Nous vous présentons ici la première partie (de trois parties) d’un travail qui porte sur l’analyse d’une série de rapports publiés en France entre 2005 et 2010. Le travail dans son ensemble étant assez long, il paraîtra dans les jours qui viennent sous forme de 3 ou 4 articles. Pour voir le résumé de l’ensemble de l’étude réalisée, cliquer ici.
Comme les films dans les cinémas, les rapports administratifs n’ont pas toujours longue vie. Disons que leur chronologie médiatique est concentrée. La filière Foires, Salons et Congrès, aussi retranchée soit-elle dans une ombre mystérieuse, a quand même bénéficié en France, depuis une bonne dizaine d’années, de nombreux travaux d’analyse qui méritent plus que le bref temps de leur apparition. Ces rapports ne sont pas rangés dans les bibliothèques des professionnels des FSC, quitte parfois à en sortir dans le cours d’une conversation ou d’une séance de réflexion sur la stratégie de la filière. Il est vrai aussi que l’existence même d’une bibliothèque sur le thème des Foires, Salons et Congrès, quels qu’en soient les livres qui pourraient la composer (et il y en a), reste plus souvent hypothétique dans les sièges des entreprises. Il fallait donc prendre le temps de lire et relire ces centaines de pages, pour à la fois profiter des travaux menés et pour participer au geste utile de se constituer une bibliothéque pour envisager les stratégies, y compris les plus pragmatiques de la filière (lire ne coince pas dans le seul registre de l’éthéré, de l’abstrait et de l’absence à la réalité des choses). Ces rapports sont souvent le fruit des échanges entre les pouvoirs publics et les divers acteurs de la filière.
Nous extrayons, de cette longue liste, une première constellation de six rapports, dont le point d’orgue est le rapport du Député Charié en 2006. Ils forment une constellation parce qu’ils réunissent par leurs points une sorte de signe astral qui influence encore les mouvements et les tendances de la filière d’aujourd’hui (ou qui les expriment): les catégories définies pour se penser, les domaines d’actions, l’esprit général de la filière, l’articulation solide entre le public et le privé. Mais nous évoquons aussi les « étoiles » qui n’appartiennent pas à cette constellation, parce qu’elles s’éloignent en partie du thème seul des foires, salons et congrès, pour aller vers la notion de « grand événement » ou plus récemment d’exposition universelle si parente des FSC, ou parce que même si elles ont existé dans un périmètre beaucoup plus limité, elles ont bien existé. Leur simple existence a du sens, traduit cette inquiétude et ce souci réel, présent en France, pour les Foires, Salons et Congrès et, en même temps, montre un geste d’éloignement. La France a bien produit depuis 10 ans des discours sur son activité FSC à un rythme peu visible ailleurs. Redécouvrons-le, c’est déjà beaucoup. Et nous en sortirons après, un à un, les trésors.
1. Le rapport Charié et la formation d’une constellation
Le rapport Charié ne vient pas du monde de la recherche. Constituer d’ailleurs une recherche dans la filière fait à peine partie de ses recommandations, même s’il lui donne tout de même structurellement une place. Il privilégie l’élaboration d’instruments de mesure et d’observation cohérente de l’activité. Mais le rapport Charié nous apprend beaucoup sur ce qu’est ou serait cette filière, sur la manière aussi dont elle s’appréhende elle-même et essaie de se configurer comme filière.
Pour saisir l’importance de ce rapport et surtout la force de cette réflexion de la filière française sur elle-même, il nous paraît important de la mettre en série avec d’autres rapports, voisins et liés, qui vont former une constellation que nous allons analyser.
Le député Charié ne cache pas la dette qu’il doit au rapport sur le Tourisme d’affaires[1] de Jean-Luc Margot-Duclot rédigé à l’adresse du Président de la région Ile-de-France en 2005. Ce rapport dit beaucoup, nous le verrons, et sans doute plus que ce qui sera dit après lui. Il se limite à la fois au périmètre de la Région Ile-de-France, mais placée dans les enjeux de compétitivité internationale, interroge les fonctions et le rôle des Foires, Salons et Congrès. Peu après le rapport Charié, en juin 2007, Bernard Plasait présente un avis au Conseil Economique et Social : « Le Tourisme d’affaire, un atout majeur pour l’économie ».[2]
Le député Charié semblait homme d’action, son rapport lançait l’initiative de la création d’un Haut Conseil National des Foires, Salons et Congrès. Un collectif fut effectivement créé et nous avons donc intégré, dans notre constellation, le rapport d’étape du Comité National de Pilotage des Foires, Salons et Congrès[3] en 2007 et le rapport des Assises provoquées par ce même comité en 2008[4] : « Premières assises nationales de l’Industrie des Rencontres et Evénements professionnels » (nous verrons par la suite ces passages des « foires, salon et congrès » au « tourisme d’affaires », puis à l’ « Industrie des rencontres et des événements professionnels » et d’autres titres encore). Dans le prolongement de son rapport, Jean-Luc Margot-Duclot, dans le cadre de la Région Ile de France remet, en 2010, une contribution de l’Agence Régional de Développement à la Stratégie Régionale de Développement Economique et d’Innovation[5] sur donc « la filière des Rencontres et Evénements Professionnels en Ile-de-France (Foires, Salons et Congrès) ». Elle se tient fidèle en grande partie aux pistes et réflexions du rapport de 2005.
Le périmètre de notre étude portera donc sur cette constellation de trois rapports de synthèses CHARIE, MARGOT-DUCLOT et PLASAIT et de trois rapports de plan d’actions et de traduction stratégique, les deux du Comité National de Pilotage et des Assises et la contribution de l’ARD de la Région Ile-de-France.
[1] MARGOT-DUCLOT Jean-Luc, Rapport de mission sur le Tourisme d'Affaires, remis au Président de la Région d'Ile-de-France J.P. Huchon, 2005
[2] PLASAIT Bernard, Le tourisme d’affaires : un atout majeur pour l’économie, Rapport pour le Conseil économique et social, juin 2007.
[3] COMITE NATIONAL DE PILOTAGE DES FOIRES, SALONS ET CONGRES, Rapport d'étape, 4 décembre 2007, par FSCEF (ex-UNIMEV), CCIP, FRANCE CONGRES
[4] PREMIERES ASSISES NATIONALES DE L'INDUSTRIE DES RENCONTRES ET EVENEMENTS PROFESSIONNELS, 28 janvier 2008 à Paris-Nord Villepinte, Une filière mobilisée pour hisser la France au premier rang mondial, par FSCEF (ex-UNIMEV), CCIP, FRANCE CONGRES
[5] MARGOT-DUCLOT Jean-Luc. Contribution de l'Agence Régionale de Développement à la SRDEI de la Région Ile-
de-France, la filière des Rencontres et Evénements Professionnels en Ile-de-France, 2010
2. Des travaux importants hors de la constellation
Après nos six rapports, furent écrits tout à tour un rapport sur les Grands événements, un nouveau rapport sur le tourisme d’affaires à Paris, un important volume préparatoire à la candidature française à l’Exposition universelle 2025 et enfin, signe récent et ultime, un contrat de filière, dernière formalisation de la volonté de créer des synergies entre l’Etat et les professionnels pour construire les positions françaises à l’international. Nous aurions pu voyager encore plus loin dans l’univers des rapports, détailler ceux produits sur le thème du tourisme ou sur ceux du développement territorial et de l’urbanisation. Ils auraient leur sens et donneraient encore du grain moudre pour penser la richesse et la complexité des Foires, Salons et Congrès et surtout combien ces derniers pourraient tenir un rôle plus stratégique encore dans notre économie et notre société. Mais nous partions alors pour une odyssée.
a. Le rapport Augier sur les Grands Evénements
Cette constellation n’est pas fermée. En 2009, Philippe Augier, Président de France Congrès, remet au Président de la République Nicolas Sarkozy un rapport intitulé « Pour une politique gagnante des grands Evénements »[1]. Le débat s’ouvre donc plus clairement, au-delà des salons et des congrès, vers les grands événements internationaux, sportifs, culturels ou politiques. Nous serons lecteur de ce rapport, mais pour ne pas déjà dériver hors des salons et congrès, nous ne l’intégrons pas dans notre constellation. Il est un contrepoint, il est aussi une manière, nous le verrons, d’insister sur l’importance d’une vision stratégique, au-delà des opérations.
b. Le rapport Pélisson
En 2011, un autre rapport, commandé par le Ministère de l’Economie, est rédigé par Gilles Pélisson[2], ancien PDG du groupe ACCOR : « Le Tourisme d’Affaires dans le Grand Paris. Pour une nouvelle ambition ». Ce rapport se tient donc sur le périmètre limité du Grand Paris, principalement centré sur les recommandations opérationnelles de mise en cohérence de la destination et des choix nécessaires d’investissement dans les transports et les infrastructures. Ce rapport s’inscrit largement dans le champ plus vaste des rapports précédents.
c. Le contrat de filière « Rencontres d’affaires et événementiel »
Enfin surtout, dix ans après le rapport Charié, en octobre 2016, est signé en France le Contrat de filière « Rencontres d’affaires et Evénementiel »[1]. Ce contrat, entre l’Etat et la filière, est une très large reprise des énoncés des rapports Charié, Plasait, Margot-Duclot et du Comité de Pilotage des FSC. Importe ici au fond moins son contenu que son existence, dix ans après. Ce contrat sonne comme une tentative de reprendre les conclusions des années 2005-2007, sans d’ailleurs que la filiation soit clairement rappelée. La filière a bien du mal, mais fait des efforts, pour construire son « collectif », sa cohérence et son ambition. Le signataire professionnel est d’ailleurs identifié comme « Vice-président du comité de préfiguration de la filière » (c’est nous qui soulignons), ce qui laisse bien entendre que notre filière n’a pas encore son visage. Ce contrat est souvent perçu comme une très bonne nouvelle, voire une prouesse. Il fallait réussir à se rassembler. Que cela signifie-t-il sur le sens de la filière ? Est-ce que la stratégie de développement des Foires, Salons et Congrès n’a pas d’autres chemins à prendre, outre et avec celui-là, c’est-à-dire un mécanisme collectif porté par la centralité de l’Etat. Ce contrat de filière ne concerne d’ailleurs qu’une partie de l’activité, celle des grands salons internationaux français, avec une prédominance des opérations menées sur Paris (qui concentre en France plus des deux-tiers de l’activité française). Le mot « Evénementiel » apparaît haut et clair dans le titre et quelques mois plus tard, un autre contrat de filière est signé, celui de la filière « La communication »[2] qui inclut elle-même l’activité de communication événementielle. Nous sommes donc bien dans un monde où les filières se croisent et se confondent en partie[3].
[1] CONTRAT DE FILIERE "Rencontres d'affaires et événementiel" entre l'Etat, représenté par Matthias FEKL, Secrétaire d'Etat au Commerce extérieur à la promotion du Tourisme et aux Français de l'Etranger et Christophe SIRUGUE, Secrétaire d'Etat à l'Industrie, et la filière "Rencontres d'affaires et événementiel" représentée par Renaud HAMAIDE, Vice-Président du comité de préfiguration de la filière, 20 octobre 2016, publié par la Commission Nationale des Service, Le Gouvernement de la République Française
[2] CONTRAT DE FILIERE « La Communication ». Le contrat de filière a été présenté par Madame Mercedes ERRA, préfiguratrice du comité de filière « La communication », à Madame Audrey AZOULAY, Ministre de la culture et de la communication et à Monsieur Christophe SIRUGUE, Secrétaire d’Etat chargé de l’industrie, lors de la cérémonie de signature du 21 février 2017.
[3] Cette communauté de segment a des avantages qui pourraient servir à terme, notamment celui de rappeler le lien entre activité des Foires, Salons et Congrès et le large domaine des « industries créatives ». La filière communication s’y intègre, celle des FSC est rarement corrélée dans les esprits à ces industries, alors que nous savons que la réalité est fondamentalement autre, que cela soit par les contenus médiatisés (Cinéma, Télévision, Digital, Edition, Arts, …), la culture produite par leur nature (culture des foires par exemple) ou par sa fonction de Média, donc de média parmi les médias qui appartiennent bien au registre des industries créatives et de la culture.
d. Le rapport sur la candidature de la France à l’Exposition Universelle de 2025
Et la France pose sa candidature pour l’Exposition universelle 2025. Nous aurions pu intégrer le rapport des députés Fromantin et Leroux déposé sur le sujet en 2014[1]. Mais nous devons constater qu’il y ait à peine fait référence au monde des foires, salons et congrès[2]. Voilà un grand événement, dont les liens historiques avec l’émergence des foires, salons et congrès sont profonds et décisifs et ces derniers disparaissent ! La question de l’existence de la filière des foires, salons et congrès en France est donc bien mystérieuse.
[1] FROMANTIN Jean-Christophe et LE ROUX Bruno, Rapport d'information n°2325 déposé par la mission d'information sur la candidature de la France à l'exposition universelle de 2025, Assemblée Nationale, octobre 2014
[2] Les références aux Foires sont avant tout présentes en annexes dans la retranscription des auditions, principalement :
- Dans celle évidemment de Thierry Hesse, commissaire général du Mondial de l’automobile et Président de l’UNIMEV (Union Française des Métiers de l’Evénement, ex-Fédération des Foires, Salons, Congrès et Evénements de France). Le propos général est largement issu de l’expérience et des enseignements possibles de l’organisation du grand Salon Mondial de l’Auto pour l’Expo 2025 et porte que très peu sur l’articulation entre Exposition universelle et Foires, Salons et Congrès. Cette dernière porte d’abord sur le marché possible de l’expo 2025 pour les professionnels FSC, p. 489 : « J’interviens à la fois en tant que commissaire général du Mondial de l’automobile et en tant que président – depuis maintenant sept ans – de l’UNIMEV, qui représente l’ensemble de la filière des organisateurs de salons, de foires, de congrès et d’événements, mais aussi les sites d’exposition comme le Palais des congrès ou le Parc des expositions, ainsi que les prestataires, c’est-à-dire tous les partenaires dont nous serons susceptibles d’avoir besoin en 2025 si la candidature de la France est retenue. »
- Dans celle de l’historien Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, p.334: « L’autre fonction présente dans l’esprit des fondateurs, mais au second rang, est celle de foire commerciale. Ces expositions ont, dès l’origine, supposé une coopération entre secteur public et secteur privé et il y a toujours eu une compétition entre sociétés privées et regroupements nationaux d’entreprises. Cela explique aussi que les pavillons qui restent puissent être des pavillons privés. Ainsi, lors de l’Exposition internationale de 1937, est exposée au pavillon de l’électricité La Fée Electricité de Raoul Dufy, dite à l’époque « la plus grande toile jamais peinte » ; c’est une commande privée, pour l’Exposition, de la Compagnie parisienne de distribution d’électricité. La dimension commerciale de l’exposition universelle, version modernisée des foires médiévales, permet donc, selon des formes variables, une coopération entre public et privé, mais c’est la puissance publique qui donne le branle, dessine le cadre et donne les récompenses – les médailles des expositions »
- Dans celle de Marc Giget, Président de l’Institut européen de stratégies créatives et d’innovation et du Club de Paris des directeurs de l’innovation, qui rappelle que le monde a changé et que les expositions universelles ont maintenant lieu dans un monde salons, p.347 : « Aujourd’hui, on fait des expositions sur tout, dans tous les domaines, et on peut imaginer que le salon international de l’agroalimentaire (SIAL) est plus complet en ce domaine que ne le sera la prochaine exposition universelle de Milan, pourtant consacrée à la nourriture. »
Cette inquiétude qui traverse la filière française des Foires, Salons et Congrès mène à une production réflexive originale. Ce n’est pas d’abord le contenu de la réflexion qui est original, plutôt l’existence même de cette réflexion. Nous n’avons pas trouvé d’équivalent chez nos voisins allemands, italiens ou espagnols. Certes cette réflexion est peu partagée, peu lue, à peine travaillée par les opérateurs, mais elle est un fait, un paradoxe de plus sans doute. Le cri d’alarme du député Charié partait du constat d’une France parmi les leaders qui risquait de perdre ses positions alors que les FSC portent tant d’enjeux économiques majeurs. Il appelait à l’effort. Et la richesse des propos rencontrés dans la constellation nous invite à aller plus loin encore.
Chacun des rapports de cette « constellation française » que nous décidons de rassembler détient son caractère, ses tournures et ses pistes. Ils se répètent certes de l’un à l’autre, mais créent à leur passage des ouvertures, parfois légères, en aparté, en supplément, ou au contraire inscrite de manière décisive dans la structure de l’argumentation ou les grandes lignes d’introduction, qui pourraient devenir essentielles pour décrire et comprendre les fonctionnements et les enjeux de la filière.
Il nous faudra donc d’abord, avec patience, circonscrire la base commune, d’autant plus que cette dernière restera dix ans plus tard le fond du contrat de filière « Rencontres d’affaires et Evénementiel ». Ce sera l’objet de la partie suivante (voir l'article sur la partie B et le triptyque TERRITOIRE-GOUVERNANCE-FILIERE à paraître).
Mais ces différences, ces ouvertures sont autant de trésors. Le député Charié écrivait « Agir ensemble autrement » : cette invitation à changer la donne est difficile à refuser. La filière est jeune donc, à peine configurée. Suivons donc les pistes de l’ « autrement », en commençant par les pistes déjà lancées dans notre « constellation », elles peuvent encore résonner, ou plutôt, elles n’ont pas encore résonné suffisamment et laisser voir leurs opportunités stratégiques. Ce sera l’objet de la dernière partie (voir l'article sur la partie C et les trois axes DEHORS-SENS ET VALEUR-JEUX POSSIBLES DES TERRITOIRES à paraître.)