Cet article a aussi été publié dans les CAHIERS N°5 (voir ICI) de juillet 2019

Attention semences : les Foires, Salons, Congrès font pousser notre temps !

Regarder d’un peu près les quantifications de l’activité des FSC en m² et en fréquentation n’aide pas à prendre toute la mesure de leur puissance. Ils sont peu de chose, minuscules à l’échelle de notre économie planétaire. Leur force n’est pas dans leur taille, mais dans leurs puissances germinatives, dans leur essaimage dans la géographie et les activités du monde. On pourrait dire : « mais il s’agit des retombées », mais ce n’est pas énoncer et sentir assez combien les FSC poussent et font grandir notre temps et notre époque.

Combien nous, petits hommes, sommes dépassés lorsque nous entrons dans les vastes halls des « trade shows » ! L’idée de salons minuscules ne nous effleure pas quand les effets d’échelle nous disent que le néant est de notre côté. Les chiffres officiels d’évaluation de l’activité par les organismes professionnels internationaux ou nationaux, par les entreprises ou sites eux-mêmes annoncent des millions de m², des milliers ou des millions de participants. Que d’eau, que d’eau nous dirait la chanson. Quelle immensité ! Et pourtant sous le regard des économistes, les foires, salons et congrès émergent à peine, très loin de jouer aujourd’hui le rôle tenu hier par les foires médiévales dans le monde des échanges.

Le monde des Foires, Salons, Congrès serait donc petit ? Les halls démesurés, les millions de m², les foules nous tromperaient. Il nous faut aller voir, mesurer cette taille. Et si nous tombons sur une confirmation, oui, le monde des FSC ne se tient que dans le grain de notre présent, cela suffira-t-il à nous convaincre de sa taille microscopique ? Car enfin, nous sentons bien l’énergie des rencontres, les excès, les frénésies, les transgressions. Le minuscule vrombit, concentre des forces. Si les FSC ne sont que grain, ils sont peut-être graines, plis de vie dans leur coque obscure et il nous faut entendre un peu de leurs déplis, de leur propagation à travers le monde, dans tous les champs de le vie humaine et les batailles de l’actualité.

Peut-être avons-nous aujourd’hui le plus grand mal à saisir cette puissance germinative des Foires, Salons et Congrès ? Peut-être est-ce là aussi leur complexité et leur modernité dans notre économie et notre société : difficile de mesurer ce qui essaime partout et pousse avec les rencontres et les conversations des femmes et des hommes.

Il est possible de résumer la manifestation de l’ensemble de la filière des foires et salons à l’échelle planétaire à un parc des expositions grand comme Marseille, pendant 3 ou 4 jours.

Nous commencerons donc par un exercice de mesure des Foires, Salons et Congrès, la découverte de leur petitesse effective, puis nous balancerons du côté de leurs débordements, comment et en quoi ils sont des machines germinatives.

Les formes des surfaces et les limites des fréquentations n’épuisent pas l’expression des FSC et de leur rôle dans notre monde. Il s’agit toujours de s’interroger sur ce qu’ils peuvent. Que peuvent les Foires, Salons et Congrès aujourd’hui ? Ils germent et font germer.

A. Une ville à peine, éphémère, dans l’immensité planétaire

Notre tâche est de nous donner ici des ordres de grandeurs. Aujourd’hui compte évidemment d’abord l’arithmétique des surfaces, des participants. S’y ajoute souvent celle des retombées économiques, comme si déjà la première ne suffisait pas. Faisons un peu de calcul.

1. De Saint-Malo à Marseille

L’ensemble des surfaces des parcs des expositions dans le monde est évalué[1] par l’UFI (Association internationale de l’Industrie de l’Exposition[2]) à 35 millions de m², soit 35 km², soit un peu moins que la ville de Saint-Malo. Cela représente près de 1200 parcs des expositions dans le monde[3]. La surface nette (seule la surface d’exposition louée) de l’ensemble des manifestations[4] atteint 124 km², un peu moins que Montauban. Si on rajoute à cette surface l’ensemble des surfaces non louées utiles à la circulation et l’ensemble du fonctionnement des manifestations, cette surface peut être estimée à 250 km² (le ratio de la profession entre surface nette et surface brute est habituellement de 2 environ), soit à peine plus que la surface de la ville de Marseille. Cela représente 31 000 manifestations[5]. Or comme les manifestations durent en général autour de 3 ou 4 jours, il est possible de résumer la manifestation de l’ensemble de la filière des foires et salons à l’échelle planétaire à un parc des expositions grand comme Marseille, pendant 3 ou 4 jours.

L’ensemble de l’activité mondiale des foires et salons peut ainsi se réduire effectivement à une ville éphémère, une brève apparition dans le temps et l’espace du monde. A titre de comparaison, l’Exposition Universelle de Shangaï couvrait en 2010 une surface d’un peu plus de 5 km² pendant 6 mois (182 jours)[6]. Si nous osons la comparaison en km²/jour, la première atteint entre 750 et 1000 km²/j, la seconde 910 km²/jour, soit donc environ le même ordre de grandeur (même si les Expositions Universelles ont lieu tous les 5 ans et que celle de Shangaï fut l’une des plus grandes)[7]


[1] World Map of Exhibition Venue, UFI, Edition 2017 revised January 2018,

[2] La véritable dénomination de l’UFI n’existe qu’en anglais : « Global Association of the Exhibition Industry ». L’expression industrie de l’exposition n’est pas usitée dans la profession. L’UFI a été créée en 1925. Sa dénomination première est Union des Foires Internationales. Son siège est en France, à Levallois-Perret. UFI is the leading global association of the world’s tradeshow organisers and exhibition centre operators, as well as the major national and international exhibition associations, and selected partners of the exhibition industry. UFI’s main goal is to represent, promote and support the business interests of its members and the exhibition industry. UFI directly represents around 50,000 exhibition industry employees globally, and also works closely with its 50 national and regional associations members.768 member organisations in 87 countries around the world are presently signed up as members.

[3] L’UFI considère les parcs des expositions au-dessus de 5000 m². A titre de comparaison, l’UNIMEV, Union Française des Métiers de l’Evénement annonce en 2015, 5,9 km² de surface nette (MEMO, Données générales et retombées économiques des Foires, Salons et Congrès en France et en Île-de-France, UNIMEV)

2 Global Exhibition Industry Statistics, UFI, March 2014

[5] UFI, ibidem, 2014

[6] Source : Bureau International des Expositions (https://www.bie-paris.org/site/fr/les-expos/a-propos-des-expos/la-famille-des-expos/les-expos-universelles). Le siège du BIE est à Paris, assez voisin de celui de l’UFI. L’expo de Shangaï fut fréquentée par 73 millions de visiteurs.

[7] Cette comparaison peut surprendre celui qui croyait ces deux activités réunies. Ce n’est pas le cas. Elles n’ont que très peu de relations entre elles, malgré des croisements historiques essentiels (les foires-expo du début du 20ème siècle prenaient la relève des expositions industrielles et des beaux-arts de leur région, auxquelles était reproché alors leur manque de commercialité). Cette distance fait partie sans doute de la mystérieuse discrétion des foires et salons. A ce titre, il est d’ailleurs intéressant que le projet en France de l’Expo 2025 ne faisait que très peu référence à la situation des foires et salons en France, ne s’y reconnaissait que peu de parenté, même si les infrastructures d’expositions en France et les prestataires de la filière de l’événement pouvaient y être impliqués en tant qu’opérateurs.

2. Premiers chiffres sur les congrès

Il n’est pas incohérent que la population mobilisée dans les échanges dans les foires et salons avoisine les 300 millions de personnes. A titre de comparaison, l’Organisation Mondiale du Tourisme compte plus de 1,4 milliard de touristes[1] dans le monde en 2018.

Du côté des congrès, l’Union des Associations Internationales, dont les statistiques sur l’activité des congrès font référence, annonce 10 à 12 000 congrès internationaux par an[1], mais cela ne représente qu’une partie de la réalité, notamment en excluant tous les congrès nationaux et régionaux. Sur la seule France, l’Unimev[2], de son côté, estime à 2800 le nombre de congrès. Dans l’étude réalisée en 2003 (certes cela date, mais l’ordre de grandeur y est) par l’Université du Québec de Montréal pour le 1er Colloque de l’Industrie du Congrès, il est fait référence à des statistiques qui donnent « plus d’un million (de congrès et réunions) en 2001, soit 11 800 congrès associatifs internationaux et nationaux, 177 700 autres types de réunions tenus par les associations et 844 000 réunions corporatives et d’affaires »[3] . L’ICCA (International Congress and Convention Association), autre référence dans la profession, estimait[4] le nombre de « meetings » sur la période de 2008 à 2012 à 54 844, soit 10 000 par an environ. Apparaissent déjà dans ces premières statistiques la prolifération des termes et des types de réunions, au-delà du congrès, et la multiplication possible de leur comptabilisation.

Il n’existe pas d’évaluation globale des surfaces de congrès et réunions, ni des lieux qui les accueillent. Cette tâche semble impossible étant donnée la multiplicité des lieux possibles (centres de congrès, universités, hôtels, parc d’attraction, lieux patrimoniaux, stades, etc). Mais nous verrons plus tard, à partir de l’évaluation de la population participante s’il n’est pas possible d’imaginer une hypothèse de surface.

3. 300 millions des 7 milliards de terriens humains

L’UFI évalue le nombre de visiteurs annuels à 260 millions[5]. Mais il faudrait pouvoir considérer combien de ces visiteurs fréquentent plusieurs foires et salons par an, ce qui est souvent le cas, pour mesurer combien cette évaluation reste optimiste (Combien se disent en quittant un salon « See You There » ou « See You Next Time » ?). Il faut y ajouter 4,4 millions d’entreprises exposantes (elles-mêmes comptées en partie plusieurs fois en raison d’une pratique plurielle des manifestations par an). L’évaluation n’est qu’approximative, mais il n’est pas incohérent que la population mobilisée dans les échanges dans les foires et salons avoisine les 300 millions de personnes. A titre de comparaison, l’Organisation Mondiale du Tourisme compte plus de 1,4 milliard de touristes[6] dans le monde en 2018.

En termes de population dans les congrès, les chiffres globaux sont plus rares. L’ICCA donne une évaluation de la fréquentation sur le période 2008-2012 de 22 millions de participants, soit un peu plus de 4 millions de participants par an. L’IAPCO (International Association of Professional Congress Organizers) écrit dans son étude annuel 2018[7] que près de 6 millions de personnes ont participé aux événements organisés par ses adhérents.

En reprenant le ratio calculable à partir des données de l’UFI sur les foires et salons d’une personne par m² (260 millions de participants / 250 millions de m²) et en reprenant la précédente hypothèse de l’ICCA (un peu plus de 4 millions de participants), il est possible d’imaginer une surface de congrès et réunions de 4 millions de m², soit 4 km². Et de la même manière, nous pourrions rapporter cette surface à quelques jours de manifestations. Nous approchons ainsi de l’évaluation de la taille du grand monde des FSC.


[1] UAI (Union des Associations Internationales), extrait des données 2008-2012 accessible gratuitement sur le site UAI.org via un aperçu du International Meetings  Statistics Report 57th edition published June 2016. Nous pouvons aussi nous référer au travail de Sylvie Christofle qui présente un graphique des évolutions des données de l’UAI, par exemple dans Tourisme de Réunions et de Congrès, Mutations, Enjeux, Défis, Collection Sciences et Tourisme, Edition Balzac, 2014, p.75

[2] UNIMEV, 2015, Ibidem

[3] l’étude réalisée en 2003 par l’Université du Québec de Montréal pour le 1er Colloque de l’Industrie du Congrès, Direction Michel ARCHAMBAULT, professeur et titulaire, Chaire de Tourisme de l’UQAM, p.7

[4] Rapport sur les 50 ans de l’ICCA , « A modern History of International Association Meetings, 1963-2012

[5] UFI, 2014, ibidem

[6] https://www2.unwto.org/fr/press-release/2019-01-21/les-arrivees-de-touristes-internationaux-atteignent-14-milliard-deux-ans-pl

[7] https://www.iapco.org/about-iapco/annual-survey/

4. Pas plus qu’un clignotement

L’addition de l’activité des foires et salons et de celle des congrès peut donc encore se mesurer approximativement à cette ville éphémère de quelques jours d’une taille comparable à Marseille, d’une population étalée sur ces jours de 300 millions environ de participants (bien plus dense toutefois que la population réelle de Marseille à moins d’un million d’habitants), se rencontrant dans plus de 40 000 manifestations, tout cela dans le grand tout de notre monde à 7 milliards d’individus.

Résumée à quelques chiffres de population, de surface et de manifestations, l’activité des Foires, Salons et Congrès n’est qu’un clignotement et semble à bien grande distance des échelles des GAFA à parfois plusieurs milliards de consommateurs à la journée. Pourtant, et même si l’exercice des quelques lignes ci-dessus et de ses comparaisons osées est peu pratiqué, ce sont ces chiffres qui circulent d’une manière ou d’une autre pour « rendre compte » de cette activité. D’autres s’ajouteront, de manière récurrente, en termes de retombées économiques, d’impact sur l’emploi. Mais le clignotement restera clignotement.

Faut-il pleurer ou simplement y reconnaître quelques signes de la nature des Foires, Salons et Congrès. Ils ne sont pas grands par leur taille, même lorsque nous nous retrouvons perdus dans une marée humaine à l’entrée d’un grand salon international. Les agglomérer physiquement traduit une certaine réalité des chiffres. Mais au fond, les Foires Salons et Congrès valent d’abord par leur dispersion, leur nature granulaire, leurs localisations interstitielles. Et s’il fallait rationaliser et mesurer, alors il faudrait inventer des indicateurs de dispersion, de connexion, de transmission interstitielle entre des mondes économiques et sociaux multiples. Leur puissance ne peut passer que par leur essaimage planétaire, leur présence dans la diversité des activités humaines. Mais pourquoi ? C’est là que nous devons mieux saisir leur capacité à germer à chacune de leur implantation granulaire. 

B. Les débordements des Foires, Salons et Congrès

L’image de la ville éphémère si relative par rapport à l’échelle de la planète, d’un même geste, réduisait à une miette tout ce monde de l’exposition et des congrès. Il nous faut franchir les portes de la ville pour saisir les puissances germinatives des FSC.

Pour commencer, nous essaierons de saisir en quoi les FSC sont des machines qui peuvent se déplier avec une telle envergure dans une réalité bien plus grande qu’eux. Nous passerons en revue quelques grands débordements sur les champs des activités humaines, sur la géographie et sur les populations.  Il s’agit là en quelque sorte d’une fertilisation des réalités. Puis nous ferons alors un pas de côté, vers les FSC eux-mêmes, sur eux-mêmes, quand ils fleurissent sur leurs propres terres, en imagination, en fantasme, en fiction, en production culturelle.

La graine est donc bien spéciale, toujours plus s’intensifiant, se cultivant même dans sa propre enveloppe. Tout cela nous conduit vers la perception de la complexité du fait des Foires, Salons et Congrès.

1. Les graines et les pliages, machines à voir

Deux grands mécanismes peuvent en partie expliquer les puissances germinatives des FSC, leur capacité à faire grandir : leur type de rapports de médiation avec la réalité dans laquelle ils s’exercent et leur nature temporelle fondée sur la répétition.

a. Le triptyque Médiation-Réalité-Microcosmos

Deux grands mécanismes peuvent en partie expliquer les puissances germinatives des FSC, leur capacité à faire grandir : leur type de rapports de médiation avec la réalité dans laquelle ils s’exercent et leur nature temporelle fondée sur la répétition.

La tentation existe parfois de dire que les FSC sont des médias, ou appartiennent au monde des médias. Mais le chemin est trop court et coupe une part essentielle de la nature même des FSC, ils médiatisent avec eux-mêmes. Ils ne sont pas au bord d’un monde, un tiers qui en témoigne et le raconte, ils sont ce monde même qui se fabrique et se dédouble. Ils sont à la fois lieu de médiation (comme un magazine, avec des contenus et un ordre éditorial, quel qu’il soit), mais fabriqué avec la réalité des acteurs et de leurs activité in situ, par leur présence (et non pas par le seul symbolique des signes écrits ou visuels du texte ou la matérialité de papier) et fabrication d’un monde à lui tout seul, même si réduit (microcosmos) par apport à la réalité initiale. Et ce microsmos  répète cette dernière en en rendant plus visible l’ordre et les mécanismes. Ils forment un trityque Médiation-Réalité-Microcosmos, une machine pliée à trois grands volets qui se forment les uns des autres.

Ce triptyque Médiation-Réalité-Microcosmos est une machine itérative où la réalité s’exprime avec elle-même. 

Le congrès scientifique est à la fois médiation pour une communauté de chercheurs, fragment de cette communauté et cité éphémère de cette communauté par laquelle elle se crée sur une scène entière et unitaire. Et ce théâtre devient lui-même une fabrique de la science, au-delà de la seule circulation des informations médiatisées.

Cela est patent pour la science. Mais nous pourrions le reproduire dans l’industrie pour laquelle le salon sera à la fois lieu de communication et de commerce, rassemblement de ses acteurs éparpillés sur les continents, qui viennent quelques jours habiter la ville qu’ils co-construisent et qui en même temps permet l’identification des acteurs et des process, les mises sur le marché, voire une certain forme d’exercice libre des technologies et des techniques mises en mouvement pour raison de démonstration, c’est-à-dire la formation et l’organisation même de la vie de cette industrie.

Alors le salon n’est pas un élément extérieur d’une industrie, le témoin en retrait qui en dirait l’actualité, mais un segment constituant : pas d’industrie dans salon, pas de recherche sans congrès.

b. Le mécanisme temporel de répétition

Le deuxième mécanisme est lui aussi un phénomène itératif : il s’agit de la nature même des FSC d’être non pas des moments uniques dans le calendrier, mais des rendez-vous répétés à l’échelle de plusieurs années, voire de dizaine d’années, voire de siècles.

Cette temporalité répétitive est une machine de prolifération des manifestations dans le temps, à la fois productrices de répétition, de retour à l’identique, et productrices de différences, à la fois construction de l’identité d’un monde capable de revenir, de se retrouver et en même temps de se transformer et de saisir les strates de son actualité d’année en année. S’il était possible de « carotter » un salon, à l’instar des échantillons géologiques, serait alors possible de voir ce qui s’est passé sur des plages de temps longs.

S’il était possible de « carotter » un salon, à l’instar des échantillons géologiques, serait alors possible de voir ce qui s’est passé sur des plages de temps longs.

Sur les bases de ses deux premiers mécanismes itératifs, le triptyque Médiation-Réalité-Microcosmos et répétition dans le temps, les FSC peuvent être considérés comme des machines exploratoires décisives. Leurs tailles miniatures, y compris lorsqu’ils s’étendent sur quelques centaines de milliers de m², fendent à la fois les immensités d’un espace planétaire et les durées. 

Ils forment des sortes de cristaux des mondes dans lesquelles ils s’appliquent et avec lesquels ils se fabriquent, cristaux de leur réalité présente et cristaux de leur temporalité dans la série des répétitions. Ces cristaux diffractent la complexité de ces mondes et donnent à saisir et à éprouver leurs forces. Or ils s’appliquent partout et dans tous les temps. Les FSC ne seraient alors que de grandes semailles qui font pousser notre époque.

Ils créent des avant-postes, des lignes frontières de réalités qui semblent se repousser à mesure qu’elles se dessinent. Ils sont en quelques sortes des usines, constituant un filet de centres de production des réalités multiples de l’activité humaine distribués sur l’ensemble de la géographie planétaire. Ils ne peuvent qu’appeler les curiosités, les désirs de connaissances, les soifs d’explorateurs.

2. Débordements et nomadisme sur les filières, les territoires, les populations,

Chaque manifestation est toujours ailleurs, sur un morceau d’une réalité extérieure d’une filière, d’une communauté, d’un secteur d’activité. Et chaque lieu qui accueille cette manifestation devient, outre sa nature de bâti d’une ville, la coquille d’une autre ville, avec ses propres habitants.

Le Marché du Film à Cannes est autant segment de l’industrie du cinéma que machine d’exposition, autant île habitée par les acteurs de cette industrie qu’espace de la ville de Cannes. Il existe une sorte de principe de débordement permanent de l’activité des FSC, jetant et projetant toujours ailleurs.

Reprenons ce trait de la culture des FSC le long du fil tendu entre sédentarisme et nomadisme. Les FSC forment bien des caravanes possibles, des grandes routes sur tous les continents possibles, qui offrent autant de découvertes. Nous évoquions des machines à voir, que pouvons-nous voir ? Nous nous en tiendrons à trois grands horizons : les secteurs d’activité, les villes et les territoires, et les populations. Cela renforcera la description du champ des FSC comme FAIT COMPLEXE.

a. Débordement sur les secteurs d’activité.

L’activité des FSC peut nous conduire à explorer, certes, tout le spectre des sciences et de la production de la recherche, mais aussi bien le secteur de l’emballage, du bâtiment, de l’agriculture, de l’aéronautique, des vins, de la sous-traitance industrielle, de l’environnement, du design et du mobilier, de l’industrie automobile, de l’art contemporain, de l’édition, aujourd’hui des technologies digitales, et la liste serait longue des secteurs industriels. Et les ponts iraient aussi à l’autre rive de l’Economie Sociale et Solidaire, des partis politiques, des syndicats, des différents corps de métiers (notaires, expert-comptable, avocats, …), des causes sociales pour l’enfance, pour la défense des consommateurs, de l’emploi, etc…

L’activité des FSC dissémine bien dans tous les champs possibles. A chaque fois, elle autorise, d’une manière ou d’une autre, une plongée dans ses univers spécifiques et toutes les observations. Et nous avons vu qu’ils sont autant des véhicules dans ces mondes qu’un part de ces mondes-mêmes. Ils deviennent tour à tour chaque autre monde. Leur puissance de dissémination semble immense.

b. Débordement sur la géographie

La dissémination géographique est aussi essentielle. Les manifestations comme les infrastructures s’ancrent bien dans un territoire, avec toute sa complexité, ses échelles urbaines, régionales, nationale et au-delà, ses mises en réseaux avec d’autres territoires, les cristallisations des excellences locales dans les registres de l’économie, de son histoire et de la culture, de la démographie.

Le cas est patent et compris pour des raisons d’investissement des pouvoirs publics ou en raison des articulations fonctionnelles avec le système du tourisme. Mais il est aussi réel sur l’interrogation de ce qu’est aujourd’hui un territoire, ses frontières, ses mises en relation avec d’autres territoires, sa fabrication comme complexe économique, social et politique.

Il est assez facilement lisible que des liens peuvent être établis entre la croissance urbaine mondiale et le développement des parcs des expositions, des centres de congrès et des manifestations. Les puissances des villes intègrent le levier des FSC dans leur stratégie. Et dans une planète de plus en plus urbanisée, les FSC comme autant de formes portuaires, de zone frontalière, de dedans-dehors appartiennent à toute réflexion sur la ville et à ses liens avec les réseaux des villes du monde.

Les sites mêmes des FSC, Parcs des expositions, Centres de Congrès, deviennent des objets urbains à part entière[1], peu à peu mis en série et en continuité avec les autres segments des villes et des villes entre elles. Les métropoles deviennent puissances de décision en partie grâce à l’inclusion de l’activité des FSC.

Plus largement, les FSC sont autant dans la matérialité de la ville et de ses infrastructures que dans ses mécanismes immatériels de décision.  Ils font grandir la ville et ses fonctions.

Leur dissémination sur la planète semble ainsi assurée et prometteuse avec la croissance exponentielle de l’urbain.

c. Débordement sur la démographie

Et au cœur de ses territoires et de ses villes, vivent les habitants, les populations. Comment ne pas faire le lien entre la croissance démographique exponentielle en cours, la multiplication quasi mécanique des frottements sociaux et des échanges, et le développement de l’activité des FSC, quelles que soient ces populations et, en même temps, dans le détail spécifique de chacune d’entre elles.

La population scientifique croît, tel ou tel champ de savoir, biotechnologie, informatique, santé, environnement, etc, exige plus de chercheurs.  Il y aura donc plus de congrès ou des congrès plus grands, et sur toute la planète, au-delà de l’Europe ou des Etats-Unis.

Les questions peuvent se multiplier et les réponses semblent pouvoir tourner favorablement. En quoi les dispositifs sociaux que sont les FSC peuvent contribuer à la gestion des populations si déterminantes pour les gouvernants, mais tout aussi bien pour les populations elles-mêmes dans la création de leurs liens sociaux ? La croissance des voyages et du nombre des voyageurs, les fragmentations multiples des communautés sur une planète de plus en plus petite ne produira-t-elle pas quasi naturellement un développement de l’activité des FSC ? Et l’observation sociale aussi bien que politique ne gagnera-t-elle pas à user des terrains multipliés des FSC dans le monde, dans toutes les sociétés, avec autant de diversité de normes et valeurs, de fonctionnement, de langages, etc… ? Et comment les dispositifs FSC, plus que des outils d’observation, peuvent devenir des modes d’intervention et de modification de la réalité sociale et de la vie des populations ?


[1] Voir les Cahiers n°1

3. Vers la culture et la troisième machine de germination

Le champ de la culture est un mélange de secteurs d’activité, de territoires et de populations. Nous en faisons un cas à part, parce qu’il permet de pointer un paradoxe de plus de l’activité des FSC, faits culturels majeurs, assez peu considérés en tant que tels. Les FSC sont à peine reconnus comme appartenant aux industries créatives, y compris par leurs propres acteurs professionnels.

L’Edition, l’Art contemporain, le Cinéma, L’Architecture, le Design, …La Communication, le Digital font salons et congrès, avec parfois un caractère décisif (que serait le cinéma sans le festival de Cannes, que serait l’art contemporain sans ses foires internationales, … ?). Les Médias, les plateformes digitales bien sûr peuvent se classer sous cette dénomination, les FSC non. Nous voyons bien pourtant que les germes poussent bien aussi dans ce jardin.

Et peut-être pouvons-nous même évoquer une troisième machine de germination, après le triptyque Médias-Réalité-Microcosmos et la répétition dans le temps, celle de la machine culturelle. Les FSC sont des lieux de productions culturelles des milieux qui les utilisent : normes et valeurs y sont répétés, codes et symboles multiples, dramaturgies, rites, etc…Les FSC projettent donc bien sur tout le pan de la créativité, de la création et de la culture et portent eux-mêmes une machinerie de production culturelle, valable elle sur tout secteur.

Il faudrait détailler cette production et préciser combien elle est teintée par la culture même des métiers des FSC et de leurs professionnels. L’héritage de la culture des Foires ne doit pas peu peser dans le sens de l’ouverture, des visions géographiques, les formes des règles et mesures.

La culture du collectif, sans doute aussi de l’engagement, de la fête aussi et de la convivialité se transmettent bien de manifestation en manifestation. L’art de jouer avec le temps, les démarches de construction de projet, une certaine forme d’oralité n’apportent-ils pas quelques pièces de plus à la production culturelle qui a lieu dans chaque manifestation ?

Nous arriverons sans mal au rôle des FSC dans le sens même des dimensions culturelles des hommes et des citoyens. Les adversaires ne faisaient-ils pas trêve en temps de foire ? Et le débat démocratique ou les discussions entre pairs ne sont-ils pas rendus possibles sur les congrès ? Cultures et FSC se plient les uns sur les autres.

Il est donc bien illusoire de croire qu’un petit monde des FSC s’isolerait par ses traits culturels quand ses modes même d’existence reposent sur la traversée des cultures, du champ des industries créatives, les mécanismes même de ce qui fait que les hommes réunis produisent ensemble les signes de leur coexistence et de leurs proximités.

Conclusion

Les FSC débordent toujours hors d’eux-mêmes. Ils ne tiennent qu’en relation avec un dehors, ils n’existent que quand de l’autre côté de leur frontière un monde existe, une réalité tierce. N’est-ce pas une des explications possibles de leur invisibilité, jamais au fond définis dans leurs limites physiques, toujours en train de faire croître des mondes, qu’ils soient économiques, sociaux, scientifiques ou culturels ?

Nous avons réuni les Foires, Salons et Congrès en une ville éphémère, une sorte de ville graine clignotante : mais ce ne pouvait être que pour rire. Les consolidations chiffrées, telles que nous en avons fait l’exercice, ne dit rien de comment la vie économique et sociale se déploie. Que notre ville minuscule éclate en dizaine de milliers de manifestations plus minuscules mais essaimées et là se passent les croissances et les fertilisations.

Celles-ci passeront pourtant sous le regard théorique et nous resterons bien loin de l’idée que les FSC jouent aujourd’hui un rôle majeur dans l’économie mondiale.

Le triptyque Médiation-Réalité-Microcosmos, la machine de répétition, celle de production culturelle lancent à plein régime les blocs d’espace-temps sur la planète, que nous pouvons voir comme autant de gestes du dehors pour se saisir et exister, des formes de réflexions créatrices, de redoublements productifs. La distance n’est pas si grande d’imaginer les FSC comme les voies d’un monde qui apprend à se connaître lui-même. Et au fond quoi d’étonnant pour un monde où les hommes apprennent à faire connaissance et dans une économie et une société dite « de la connaissance » ?

Et cette connaissance ne se fera pas en un point mais par une multiplicité de zones intenses dans l’espace, dans les activités des hommes et dans le temps. Les forces des FSC ne sont pas dans l’addition de leurs forces et de leur quantité, mais dans leur dispersion et leur répétition, quand ils sont colonies de manifestations. Là ils deviennent principes de croissance, certes encore invisibles, mais terriblement efficaces, de notre temps. Autant dire que la seule intégration de la transformation digitale dans la profession n’est qu’un petit bout de l’avenir face aux effets des multiplicités physiques des FSC dans l’espace et le temps planétaires. n

Retrouver aussi le GRAND ENTRETIEN avec André TORRE

 

Voir les CAHIERS N°5  ICI

 

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