Pour faire bref, les foires et salons n'ôtent pas le voile, mais la transparence, alors quelque chose est possible.
L’enlèvement d’un mince film de polyéthylène transparent, le polyane, de l’ensemble des moquettes annonce l’aube de la manifestation, son rideau, ses trois coups. Le polyéthylène, malgré ses quelques centaines de microns d’épaisseur, tient le monde des Foires et Salons. Il se trouve partout pendant le montage, entourant dix fois tel ou tel mobilier, tel ou tel objet qui sera exposé. Il descend des camions internationaux, forme en colonne sur les transpalettes des cubes ou des masses qui paraissent noires, s’enroule, couvre, solidifie, se déchire, se retire, se coupe. Il est emballage de transport, il est garant de la propreté du premier jour. Mais peut-être est-il la seule transparence qui règne vraiment dans les Foires et Salons, en cocon logistique ou dernier derme avant l’écorchure inaugurale ? Est-ce déjà là le premier signe de cette marginalité des Foires et Salons, à revers de la grande Transparence tant désirée de notre modernité. Ah, il faut tout voir, tout dire, tout montrer. Tout doit être connu ou connaissable. Nous n’avons pas de secret entre nous. Affirmons à petit pas qu’autre chose se passe dans nos Foires et Salons. Exposer, manifester, apparaître donc n’impliquent pas que tout sera vu jusqu’à la dernière goutte d’ombre, mais que l’inconnu y grandit à force d’être là. C’est la vie.
Oui, les Foires et Salons sont aimables. Allons-y, nous pouvons les aimer. Dans une nouvelle cosmologie qui ne les oublierait pas, ils seraient du côté de l’amour. Ils ont lieu sur des terres, dans des pays, des villes, de notre planète entière, sous forme de série d’éditions souvent annuelles, parfois de fréquences plus larges. Ils rythment sur une toile éclatée la géographie de nos continents. Ils conditionnent des rencontres et un tissu de conversation entre des personnes lointaines et étrangères, qui peuvent appartenir ou pas à une même communauté sur les champs économiques, scientifiques, sociaux ou politiques. Il n’est pas exclu que leur rôle ait bien à voir avec les devenirs de la communauté des hommes et de leurs sociétés. Supprimons les Foires et Salons, nos grandes sociétés d’hommes dureraient-elles ? Combien de bois, de moquette et de transparence polyéthylénique s’y gaspillent et tous ces excès des hommes en si peu de temps, imaginons, quand même, le silence de leur clignotement et l’aplanissement de leur paysage, combien de temps vivrons-nous encore ? Dommage que Georges Pérec n’est pas entre pays et rue, ou ailleurs écrit un peu d’elles, nos manifestations, à moins qu’elles soient là dans « sa prière d’insérer » : « l’espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ? »[1] Maintenant que tout est « mappé » et que sur notre moteur de recherche notre regard passe de l’univers à l’incise sur notre porte de son numéro, nos Foires et Salons constituent peut-être des espaces tiers et différents, des cartographies sans évidence qui relancent la discontinuité de nos espaces quotidiens et de nos vies. Il y a bien des rifs et l’autre côté.
[1] PEREC Georges, Espèces d’espaces, Galilée, Paris, 1974/2000 (nouvelle édition revue et corrigée)