Il s'agit de l'épisode 1 d'une série de 3, qui constitue l'ensemble de la rencontre publiée dans les CAHIERS N°4 (voir ICI)

RENCONTRE-USINE

EVENEMENT POINT ZERO

Avec Laurent TRIPIED, CEO de bziiit (Start up)

 

Il était difficile de laisser « Entretien » pour seul titre de cet échange avec Laurent TRIPIED, cofondateur et CEO de bziiit, parce que ce qu’il dit est opératoire, donne des idées, permet de se projeter, d’imaginer des nouvelles pistes dans le monde de l’événement. Les professionnels de l’événement qui liront cet entretien devraient y trouver de quoi méditer sur leur métier, sur l’approche des starts up, sur les enjeux de l’événement, et concrètement sur les croisements digital-event, datas-actions. C’était une RENCONTRE-USINE parce qu’il est possible d’y assister à des fabrications de stratégies, d’idées, de concepts, d’offres et parce que peut s’y sentir combien les événements eux-mêmes sont des fabriques à faire des « des pas de géant ». EVENT POINT ZERO : au bout du digital, en plein cœur des réseaux sociaux et de leur vitalité, les événements, c’est très simple. Et c’est si simple que bziiit a décidé de pivoter   entièrement sur l’événement et son leitmotiv est clair : « EVENT DATA REVELATOR »

Les Cahiers. -Tu reviens du CES de Las Vegas, quelles sont tes impressions ? Tu avais dit l’année dernière, à ton retour, que le salon t’avait « donné envie de manger le monde ». Est-ce que tu as retrouvé cette énergie en 2019 ? Et si oui, comment la décrire ?

Pour bziiit, Le CES 2019 s’est encore mieux passé qu’en 2018. Nous avons fait dix fois plus de chiffre d’affaires. Pour nous, il a été très puissant les deux premiers jours, vraiment il a démarré extrêmement vite. Les troisième et quatrième jours, nous avons misé plus sur l’aspect notoriété, presse et autre, et la promotion de nos réussites des deux premiers jours.

En termes d’énergie, le CES est remarquable parce que c’est un évènement qui vit au-delà de l’ouverture et de la fermeture. Les événements français en comparaison, même VIVATECH, ont une intensité entre 9 h et 18 h, mais peu hors les horaires d’ouverture. C’est un sujet important sur l’évolution des évènements. Nous y travaillons. Un des critères de puissance d’un évènement, c’est sa capacité à continuer à vivre en dehors des heures traditionnelles d’ouverture. 

L’énergie, c’est cela : la diversité des cultures qui passent, le flux des gens, la nécessité d’aller très vite, de se rendre identifiable très vite

Et cette envie ? As-tu éprouvé en 2019 la même envie qu’en 2018 ?

Oui, au CES de Las Vegas, les flux de passage sont extrêmement denses. Nous avons mesuré 10 000 passages devant notre stand en 4 jours, soit 2500 / j en moyenne, et en plus avec des nationalités très différentes. Tu vas voir passer un Français -beaucoup de Français-, un Américain, des Asiatiques, bizarrement peu d’Allemands, et donc tu as une diversité de cultures qui fait que tu dois t’adapter sans cesse. Un coup tu pitches en français, un coup en anglais, et plus tu avances dans l’évènement, plus tu te rends compte qu’il faut pitcher très vite. Les gens cherchent du sensationnel. Cela génère de l’énergie. Cela amène les exposants à aller au-delà de leurs schémas classiques pour se rendre identifiables très vite. L’énergie, c’est cela : la diversité des cultures qui passent, le flux des gens, la nécessité d’aller très vite, de se rendre identifiable très vite. Il faut aussi être très rapide et vigilant pour se concentrer sur son cœur de cible et éviter poliment les curieux.

Je vais te donner un exemple plus concret. La région Nouvelle-Aquitaine avait mis à disposition une meeting room. C’était très sympa, elle réserve une salle à l’étage dans laquelle tu pouvais inviter ou rencontrer des gens. Elle fait venir un Français connu par son réseau, qui est basé à Las Vegas et donc qui discute avec les gens de Las Vegas. On lui présente notre offre et on lui dit qu’on aimerait ouvrir le marché américain. Et là, il nous répond un truc – et c’est là que tu prends des zestes d’énergie – : « je vais t’aider à signer le CTA (Consumer Technology Association) ». C’est l’organisateur du CES. Avant que je lui parle, ce n’était même pas quelque chose qu’on envisageait, c’était en dehors de notre scope de réalité. C’est ça l’énergie. Il y a des gens qui viennent te voir et te disent « mais oui, ton offre, elle est adaptée pour ça et je vais te faire rencontrer les gens du CTA ». Comment ? Je peux envisager de travailler pour l’organisateur du plus grand salon du monde ? Autre exemple, on rencontre Tagheuer (la fameuse entreprise suisse de montres haut de gamme), on s’assoit, on discute et on leur pose la question : est-ce que vous faîtes des événements ? Et là, notre interlocuteur marque un petit temps d’arrêt et il répond : on en fait un par heure. J’ai cru qu’il se trompait, un par heure ! Tu rentres dans un autre monde. Tu te projettes. Il y a des gens qui font un événement par heure, donc je peux négocier avec des gens qui font un événement par heure ! Jamais en dehors du CES de Las Vegas, on aurait pu imaginer cela. Donc c’est une énergie de conquête commerciale.

Il y a aussi l’énergie du show. Cette année pour se faire identifier, on avait mis des lunettes sur lesquels bziiit était écrit. Tu cherches, tu es obligé de trouver quelque chose qui te rende visible, tu fais des choses que tu ne ferais pas habituellement. Alex (NDR : chef de projet au sein de l’équipe bziiit)) chassait les clients avec le gyropode de notre ami SIMOB (startup spécialisée dans la mobilité et présente avec nous sur le pavillon Région Nouvelle Aquitaine). Il fonçait sur les gens, en faisant attention évidemment, il s’arrêtait, il enlevait ses lunettes, et puis pof !, il posait la question : organisez-vous ou participez-vous à des événements ? C’est ça l’énergie : tu te dégoupilles sur ce qui est possible. Tu n’as plus de barrières pour les opportunités et sur la façon de rentrer en contact avec les gens. Tu n’as plus cette appréhension : est-ce que je peux lui parler, pas lui parler ? C’est un CEO ? Puis-je l’aborder ? Nous avons rencontré un des co-fondateurs du Groupe Coyote. Tu n’es pas dans le registre : « ah oui, c’est le CEO quand même » Tu lui parles simplement. C’est ça ce côté énergie. Tu te désinhibes de tes schémas européens. Habituellement en France quand tu rencontres le CEO d’un grand groupe, et souvent quand c’est un partenaire qui t’aide à obtenir le rendez-vous, tu as tout un protocole où on te dit : fais attention, parle plutôt de ça ou ça. Sur un stand au CES, vu l’énergie, le flux et l’intensité des rencontres, c’est beaucoup plus direct.

Tu rentres dans un autre monde. Tu te projettes. Il y a des gens qui font un événement par heure, donc je peux négocier avec des gens qui font un événement par heure !

Et sur la frénésie provoquée par l’innovation ?

Vu l’investissement que représente le CES, on va là-bas prioritairement pour faire du business. On est très centré sur la conversion, la détection, ramener du lead, signer, parce que c’est un coût important, des frais et que l’on a des comptes à rendre.

La veille sur les innovations et les nouvelles tendances, on fait cela à quelques moments-clefs du salon et, bien sûr, via l’analyse des data que collecte et qualifie notre plateforme.

Par exemple, je me suis rendu à l’Unveiled. La veille du salon, toutes les innovations sont présentées en avant-première aux journalistes. C’est le « Casablanca de l’objet électronique connecté », et tu es presque dans la caricature de ce qui se connecte : un gars te dit « mon tee-shirt est connecté, ma montre est connectée, ma bague est connectée, mes plantes sont connectées ». Cela m’a un peu surpris, c’est un peu la caricature du « parce que je connecte tout, je change le monde ». Cela fait sourire.

Sincèrement, c’est bien que bziiit n’ait pas pris l’Unveiled, ce n’est pas notre place, parce que je n’ai pas vu de moments ni d’espaces où on se pose et où on partage quelque chose pour ensemble changer le monde. Par contre, pour ceux qui obtiennent un Award, cela ouvre des grandes perspectives de développement international.

Et qu’en est-il de l’énergie donnée par le digital ?

Je fais l’analogie avec une centrale de production d’énergie. L’événement, c’est une centrale de production d’énergie. Il a une puissance et il produit de l’énergie pour des gens qui vont la consommer. Ce que nous mesurons avec notre plateforme, que cela soit pour un organisateur ou pour un exposant, c’est ce qui différencie un événement : sa puissance digitale. La puissance digitale, c’est la capacité d’un producteur d’énergie, à l’instant t, de dire voilà je vous offre cette puissance-là (en termes de visibilité, de mise en relation digitale avec des influenceurs, des prospects, des partenaires).

Le CES se différencie des autres événements, parce que sa courbe digitale se tient toujours au même haut niveau d’énergie : elle ne s’arrête pas, c’est une centrale de production d’énergie qui ne dort pas. Tu prends d’autres événements, tu vas avoir des courbes avec des fluctuations très fortes : tu retrouves tes pics quand il est 9 heures et puis très peu à partir de 18 heures.

Pour caractériser un Salon, on regarde sa puissance digitale, avant, pendant et après. Plus la puissance digitale est importante, plus le consommateur de la centrale interagit. Dans le cadre d’une production électrique, il faut des appels d’énergie. Si tu as une puissance digitale qui est faible, tu as un appel de consommation d’énergie qui est faible.

Courbe de la puissance digitale du CES comparée aux autres événements. Laurent Tripied

Là où il y a une révolution très intéressante dans laquelle on peut travailler, c’est que cela ne soit pas seulement l’organisateur qui produise de l’énergie. L’événement peut vivre la même révolution que celle de la production d’énergie au sens classique du terme : un nouveau moyen d’augmenter sa puissance, et donc son appel de consommation, est de délocaliser sa production, en l’occurrence digitale.

Comment faire ? Les schémas sont très simples, j’implique, dans ma production d’énergie digitale, les partenaires. Tous les événements ont des partenaires. Or dans la dynamique des tarifs ou des formes de partenariat, on aborde encore rarement quel doit être le rôle digital du partenaire pour décupler la puissance de l’événement. Bien avant le jour J de l’événement, bziiit monitore précisément la puissance digitale de l’organisateur, des partenaires, des exposants et de tous ceux qui s’intéressent à l’événement parce qu’en fonction de son niveau, nous savons que l’évènement va avoir une certaine capacité à embarquer des visiteurs. Et là, tout de suite on regarde quels peuvent être les relais de production décentralisée d’énergie digitale, donc les partenaires, puis les fameux influenceurs et amplificateurs.

Schéma d’une centrale de production et de la délocalisation des centres de production. Laurent Tripied.

C’est partager qui donne de l’énergie ?

Oui, seul, tu ne peux pas, tu n’as pas la même énergie en groupe que lorsque tu es seul. Et là la Région Nouvelle-Aquitaine a fait un travail de dingue. Nous étions vingt-huit start ups. Bziiit avait en charge l’animation digitale des start ups. Tous les matins, on pitchait à 7 h 30. En fait on est en train de généraliser un concept que l’on appelle la « data room ». La data room, c’est quand on est sur un événement, avec plusieurs clients communs sur un même événement, on anime une data room. Tu n’as pas besoin de beaucoup d’espace pour une data room, 6 m², on projette les datas d’hier, on montre ce qui a fait l’énergie la veille et on donne les recommandations aux gens qui sont sur l’événement pour se rendre visibles, s’adapter et tirer parti des particularités de l’événement. Et on l’anime comme une mi-temps de coupe du monde. Au CES à 7 h 30 les équipes sont fatiguées car cela a fini tard la veille. On leur dit « Allez, le match, c’est à 9 heure, c’est dans une heure trente ». C’est presque un exercice de coaching enrichi d’une analyse de données qui permet d’être très concret sur ce qui fonctionne et sur ce qui doit être amélioré. Pour un dispositif comme ça, il faut injecter de l’énergie.

Ce qui était aussi intéressant dans l’idée d’énergie sur un salon, ce n’était pas seulement la grosse puissance, le barnum, mais le fait qu’il suffisait de discuter avec quelqu’un, et cela n’est pas très consommateur d’énergie, tu discutais avec quelqu’un et ça pouvait donner l’envie de se projeter au-delà de la manifestation

La vraie conviction que j’ai, c’est que pour que les gens se rencontrent, il faut les aider à se désinhiber. Et la puissance digitale de ton événement, si elle est très forte, facilite le fait que les gens se désinhibent. C’est ça que j’observe.

Et comment ?

Il faut regarder d’abord à l’échelle non digitale. Tu vas entrer dans un événement où le schéma physique de relations est tellement puissant que tu vas te retrouver dans un environnement où tu es bousculé et donc tu vas devoir abandonner tes schémas classiques de mise en relation.

Effectivement, mais ce n’est pas digital…

Non, en effet c’est la puissance locale. On oublie d’abord le digital, la puissance de ton événement est fonction du flux important, de la façon de manager le parcours, de favoriser les diversités culturelles. C’est capital : lorsque tu fais un événement, si tu n’as que des français ou des gens de ta région, il ne va pas se passer la même chose que si tu fais venir un koweitien, un indien et un chinois et un français. Là se produisent des chocs qui font que tu sors de tes schémas, et des mises en relation imprévisibles s’opèrent.

Et le digital, il rajoute quoi là-dessus ?

Le digital, va permettre d’amener les gens. Le digital doit avoir trois vocations : une vocation avant pour élargir le cercle de visitorat de l’événement, une vocation pendant pour favoriser les relations et une vocation après pour encourager des nouvelles relations grâce aux nouveaux liens nés pendant l’événement. L’organisateur a là des pistes de progrès énormes. Normalement il a capté des datas extrêmement riches pendant l’événement, et donc après événement, il peut s’en servir comme teaser pour favoriser de nouvelles relations et ainsi améliorer l’édition suivante. Souvent il s’arrête. Bien sûr il fait son bilan, il donne les grandes tendances observées pendant l’événement mais de ce que l’on a vu, il n’investit pas dans la facilitation, la recommandation pour poursuivre, encourager, voire provoquer de nouvelles relations.

Par exemple sur le CES, on peut s’inspirer du formidable travail d’Olivier Ezratty qui fait son rapport monumental de 450 pages[1] : c’est un des observateurs critiques les plus pointus depuis plus de 20 ans. Avec ce type d’analyse, intégrée dans une plateforme avec une intelligence artificielle conçue pour développer les relations post-évènements, on peut franchir un pas important en recommandant que la société A aille rencontrer la société B, montrer des points de jonction entre les deux. Ce rapport pourrait servir de base pour favoriser la relation, il pourrait servir à inciter les gens à se rencontrer même après l’événement.

On peut imaginer un message après l’événement qui dit : John pendant l’évènement on a vu que vous vous intéressiez à cela et on vous recommande d’entrer en relation avec telle personne : message envoyé à John et la personne recommandée bien sûr

Fin de l’épisode I, la suite dans l’épisode II « Les révélation de la captation digitale » la semaine prochaine. ENSEMBLE DE LA RENCONTRE DANS LES CAHIERS N°4

 

 

[1] https://www.oezratty.net/wordpress/2019/rapport-ces-2019/

Tag(s) : #LES CAHIERS, #Start ups, #Entretiens
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